Avons-nous vieilli ? Mûri ? En 1992 lors du rejet de l’accord sur l’EEE nous comprenions Jean-Pascal Delamuraz qui parlait d’un dimanche noir. Commentaire qui, surtout en Suisse allemande, fut considéré comme témoignant d’un manque de respect envers le peuple et la démocratie. Dimanche dernier, à l’instar du Conseil fédéral, ce fut tout de suite l’interrogation : comment faire maintenant ?
Pourtant, il y avait de quoi s’étrangler ; un score incroyablement serré. Les grandes villes du pays qui comptent le plus d’étrangers ont voté non. Les cantons frontières les plus concernés, sauf le Tessin bien sûr, ont voté non : tels Bâle ville, Genève, Vaud. Et dans un canton comme Berne, la ville a voté non. Mais c’est ainsi. On pourrait commenter également en relevant que si , en Suisse romande, il y avait eu un peu moins de oui, si au Tessin que l’on a délaissé il y avait eu un peu moins de oui l’Initiative eût été rejetée. Une majorité populaire nationale se forme partout. Certes, il y a un clivage entre Romands et Alémaniques ; mais pas absolu puisque Bâle ville, Zoug et Zurich ont voté non : mais pas assez. Bref, rien ne sert de commenter les divisions. Après tout, si les Appenzellois, sans beaucoup d’étrangers, ont des craintes pour leur identité, cela fait partie de l’alchimie confédérale.
Cela étant, quelle sera la suite. A chaud, le Président de la Confédération a déclaré que le Gouvernement ne dénoncerait pas l’Accord sur la libre circulation des personnes et que ce serait l’Union européenne qui en prendrait le cas échéant la responsabilité. Mais lundi soir, à la radio suisse romande, le ministre belge des affaires étrangères a dit un peu le contraire. C’est au Gouvernement helvétique d’expliquer sa position, comment il entend traduire l’Initiative dans les faits et l’UE verra si cela peut être compatible avec le principe de la libre circulation. En outre il a bel et bien laissé entendre que les accords de base passés avec la Suisse, --sept sauf erreur--, étaient liés. On ne peut pas, concluait-il, se féliciter, par exemple, de la libre circulation des capitaux et ne pas vouloir la libre circulation des personnes. Quant à la constatation selon laquelle la Suisse recevait plus de 80-000 étrangers par an, elle ne l’émouvait pas. Pour la plupart, ne répondent-ils pas à des demandes de l’économie ou des services dans notre pays.
Cependant, on pouvait entre les mots deviner une petite ouverture. La libre circulation des personnes n’est pas absolue entre les pays de l’UE. La Belgique, par exemple, réserve la préférence nationale dans quelques secteurs. Donc, pourrait-on imaginer, sans que l’UDC ne crie au scandale, un contingentement partiel dans un cadre relativisé mais non effacé de libre circulation avec l’UE ? Très difficile à concevoir mais c’est le chemin étroit que le Conseil fédéral, nos diplomates vont devoir trouver. Le Parlement devra les épauler. Et, s’il le faut, le résultat pourrait faire l’objet d’un nouveau vote populaire.
Evidemment, la réaction du peuple suisse trouve des échos dans les pays de l’UE. Les citoyens de ces pays sont nombreux à s’inquiéter non seulement de l’immigration extra européenne mais aussi intra européenne. Au sein même du Gouvernement français il y a des ministres qui prônent un rétablissement de limites. Quant au sentiment des Anglais, il tracasse fortement les instances bruxelloises. Et puis, d’une façon générale il ya des préoccupations légitimes sur les effets de la croissance démographique et sur les brassages de population qui rendent plus flous les repères nationaux rassembleurs. Cela pourrait être un élément incitant nos interlocuteurs de l’UE à la discussion. Mais cela pourrait aussi les inciter à proclamer de façon plus rigide des principes qu’ils sentent menacés par l’état d’esprit de leurs populations. On ne va pas tarder à observer ce qu’il en sera.
Dimanche soir, les présidents de partis s’envoyaient des piques. Peut on espérer un concours de bonnes volontés politiques afin de soutenir le Conseil fédéral dans sa recherche d’un chemin étroit qui ne renie pas la décision du peuple mais ne coupe pas trop de ponts avec une Union européenne dont nous avons besoin. Il y a tout de même des intérêts réciproques permettant d’espérer que cela ne sera pas mission impossible.
Jacques-Simon Eggly, 10 février 2014
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