Rien à faire, j'ai beau assimiler à longueur de journée que l'immigration massive, car elle est massive, suscite une immense richesse - richesse dont je ne verrai d'ailleurs jamais le premier sou, mais qu'importe -, que mon pays peut admettre 2 millions d'étrangers de plus, que les infrastructures se développeront d'autant, que ce sera grandiose, que les promoteurs bâtiront des chalets à gérania plutôt que des barres de béton tout le long du Plateau, que des mesures d'accompagnement dont je ne sais rien feront augmenter mon salaire et baisser mon loyer, j'ai beau croire que les étrangers feront mieux que moi un travail dont, paraît-il, je ne veux pas, qu'une initiative qui demande la régulation de l'immigration demande en fait, me dit-on, la suppression totale de tout mouvement aux frontières, j'ai beau scruter ma conscience pour la purifier de la moindre trace de xénophobie dissidente, j'ai beau croire que l'Union européenne, qui a le droit et la force pour elle, bouclera hermétiquement l'Helvétie jusqu'à l'asphyxie et soldera le compte de tout un pays d'un simple effet de sa volonté, rien n'y fait.
Rien n'y fait, soir et matin, je ferme ma porte à clef, la frontière de mon petit chez moi et ça ne m'empêche pas d'aimer les gens. J'ai d'excellents rapports avec mes voisins, la fête du quartier, le vin chaud à Noël, mais je suis seul à décider qui franchit ou non le pas de ma porte, personne, fût-il mon propriétaire, ne m'impose la visite ou le gîte de quiconque.
J'emploie une femme de ménage, elle a sa clef, c'est entendu (et je la déclare !), mais hors de question d'embaucher qui que ce soit dont je n'ai pas besoin et que je ne pourrais pas payer. Toute honte bue, je me dois d'assumer ma qualité d'égoïste et de parfait salaud, d'immonde raciste, à titre préventif je suis allé faire un petit tour à la cave pour bien m'assurer que je n'y torturais pas de travailleurs clandestins, mais non, rien. Depuis, je vis dans les ténèbres extérieures de la pensée non alignée, tentant d'exorciser le démon UDC, xénophobe, raciste et fascisant qui sommeille en moi en me flagellant avec le bordereau de ma facture Billag au son mélodieux des mélopées incantatoires des six minutes horaires des plages info de la RTS. Rien à faire, obsédantes et monotones, les évidences se bousculent et dansent au tréfonds de ma conscience. Sainte Esther, prends pitié, délivre-moi du mal de la réalité !
Source : Un de nos lecteurs.
Vraiment excellent !