Les préjugés racistes dans les médias sont-ils plus nombreux qu'auparavant? Comment traiter l'affaire Dieudonné? La lecture du Précis à l'usage des journalistes qui veulent écrire sur les noirs, les musulmans, les asiatiques, les roms, les homos, la banlieue, les juifs, les femmes, est en tout cas riche d'enseignements.
La question du racisme a largement inondé l'actualité ces derniers temps et les polémiques récentes sur l'affaire Dieudonné ne font qu'alimenter les débats. Ainsi, après plusieurs dérapages, beaucoup de journaux et de personnalités se sont posés la même question: la France est-elle raciste? Et dans une tribune au Monde, début novembre, le journaliste Harry Roselmack, animateur du magazine "Sept à Huit" sur TF1 déplorait "le fond de racisme qui résiste" dans la société française.
Dénonçant les propos de la candidate du FN, Anne-Sophie Leclère, qui avait associé sur sa page Facebook l'image de Christiane Taubira à un singe, il écrivait: "Me voilà ramené à ma condition de nègre. Me voilà attablé avec d'autres Noirs parce qu'ils sont noirs. Et me voilà en train de m'offusquer d'une idiotie qui ne m'atteignait guère: le racisme".
La responsabilité des médias et des journalistes
Il est toujours difficile d'évaluer la responsabilité collective des médias, qui plus est face à un phénomène aussi complexe que "cette libération de la parole raciste" dont il faut évidemment s'indigner, mais dont il est trop tôt pour dire s'il s'agit d'un mouvement de fond, car seuls les sociologues, les historiens peuvent analyser les flux et les reflux du racisme.
Faut-il laisser toutes les opinions s'exprimer dans l'espace public? En France, la loi a tranché. Mais demeure néanmoins beaucoup de questions à l'intérieur de ce qui est permis.
Peut-on dialoguer avec tout le monde comme le fait Eric Naulleau avec Alain Soral, marginal d'une extrême droite ouvertement antisémite, dans ses Dialogues désaccordés? Eric Naulleau, que l'on voit partout, chez Ardisson, au Grand Journal, chroniqueur hier aux côtés de Laurent Ruquier sur France 2, aujourd'hui sur Paris Première ou RTL.
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Et plus encore, la Une de Minute "Maligne comme un singe, Christine Taubira retrouve la banane", a suscité un choc, un effarement collectif et provoqué une enquête du parquet de Paris pour injure publique à caractère racial.
Certes, on peut penser que Minute n'est plus qu'une feuille de chou d'extrême droite qui cherche à exister par la provocation mais que dire des Unes de Valeurs actuelles - les dernières en date - "Naturalisés, l'invasion que l'on cache" ou "Roms, l'overdose" ou celles de l'Express sur "l'islam, le danger communautaire". Que dire également de ce mouvement de fond qui, au prétexte de la dénonciation des abus du politiquement correct, autorise une parole raciste, misogyne ou homophobe. Et ces champions du "politiquement incorrect", ces grands briseurs de tabous sont les rois du prime time. Chritiane Taubira n'avait-elle pas été la cible d'Eric Zemmour sur T-RTL.
Un précis utile
Ce précis à l'usage des journalistes qui veulent écrire sur les Noirs, les musulmans, les Asiatiques, les Roms, les homos, la banlieue, les Juifs, les femmes... propose avec humour des conseils, astuces et recettes pour un espace médiatique plus sain. Car les journalistes sont des gens comme les autres avec des préjugés inconscients, et ils ne sont pas à l'abri de ressasser des clichés concernant les minorités. L'objectif de cet ouvrage élaboré par un collectif de journalistes et de militants associatifs, à l'initiative de l'institut Panos, une ONG engagée depuis plusieurs années en faveur du pluralisme dans l'industrie médiatique est d'interpeller sans donner de leçons, de tenter de décrypter avec humour certains clichés que continuent de véhiculer les médias.
"On peut porter le voile et être militante féministe, être Rom et chercher un emploi sédentaire, être Noir et ne pas aimer danser" affirme la directrice du collectif, Virgine Sassoon, et la complexité du réel échappe souvent aux représentations médiatiques.
Dans "Comment écrire sur l'Afrique, les Africains et les noirs sans se faire tancer", Kidi Bebey, journaliste explique qu'il faut mettre ses gants à la poubelle. À vouloir dépassionner le débat, on finit au contraire par irriter tout le monde. Elle affirme qu'il faut arrêter de penser que tous les noirs aiment le manioc, le rap et les baggy, qu'il ne sert à rien de jouer les anthropologues, qu'il faut éviter de tomber dans la fraternité niaise.
Rokhaya Diallo relève quant à elle des pépites journalistiques quant à la description de femmes non blanches accédant à de hautes fonctions politique. "Stop aux fantasmes exotiques!" L'éditorialiste et essayiste, co-fondatrice de l'association les Indivisibles qui visent à détruire les préjugés ethnico-raciaux, pointe certaines dérives: Rama Yade, une femme physique, instinctive, la Naomi Campbell du gouvernement, la "perle noire de Sarko". Najat Vallaud Belkacem, qui a conservé "de ses origines marocaines (...) les yeux cernés de khôl", se voit affublée du totem de "gazelle". Fleur Pellerin, quant à elle, est qualifiée de "geisha intellectuelle". Sans compter qu'elles se ressemblent toutes; Seybah Dagoma, désignée tête de liste PS aux municipales à Paris, est aussitôt la "Rama Yade de Bertrand Delanoé. Aminata Konaté candidate UMP aux législatives de 2008 était, elle, présentée comme la "petite sœur" de Rama Yade... Quelle grande famille n'est-ce pas!
Le livre recommande aussi les 10 commandements à l'usage des jeunes journalistes qui souhaitent éviter d'être nommés au "Y a bon Awards". Un "Y a bon award", c'est une banane dorée conçue pour récompenser les auteurs de propos empreints de préjugés racistes, une cérémonie satirique créée en 2009 par les Indivisibles.
Dénoncer par l'ironie, on comprend bien l'esprit; même si la liste des "primés" fait légitimement débat. À mettre trop de personnalités dans le même panier on ajoute de la confusion au débat. Trop de dénonciations tue la dénonciation.
Pour éviter de d'être récompensé en 2014, Gilles Soukoudjou fait 10 recommandations. Les appellations d'origine contrôlées du éviteras, les métaphores animalières tu supprimeras, la définition de la laïcité tu apprendras, des clichés exotiques tu nous dispenseras, les bonnes couleurs tu utiliseras, les poncifs sur la banlieue tu éviteras, de l'injonction à l'intégration, tu débattras.
Même prise avec humour, cette démonstration pourrait paraître caricaturale puis qu'elle ne dénonce que les excès. Et il convient aussi de rappeler que beaucoup de journalistes, de médias sont aussi conscients et vigilants à l'égard des stéréotypes et des préjugés raciaux. Mais ce précis est aussi capable d'autodérision comme en témoigne le dernier texte de David Abiker, "le juif errant est arrivé dans mon hamac". En nous invitant à relire les descriptions romanesques du Juif errant d'Albert Londres, David Abiker rappelle que le Saint patron des journalistes n'avait pas peur de décrire la différence de couleur, de texture, d'allure, d'odeur, qu'il n'avait pas peur d'écrire sur son prochain parce qu'il en était curieux. Aussi, à rebours de tout ce qui a été dit dans le livre, il n'hésite pas à conseillers à ces jeunes confrères de ne surtout pas écrire en songeant aux ribambelles d'associations qui ont fait leur métier de judiciariser le débat public. Je préfère, ajoute-t-il, un cliché magnifiquement utilisé pour décrire un homme, une femme, un noir, un juif, un martien, plutôt que le respect des directives de la police du style.
Au total donc, dans le contexte de débats régressifs et obsessionnels, un petit livre rafraichissant.
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