Surtout, députés, souvenez-vous, pendant ces 54 mois, que vous êtes issus du peuple, et que vous lui devez des comptes. Vous êtes, aussi, à son service. Ce devoir seul doit vous guider, doit être plus puissant que le sentiment d’appartenance communautaire à un club. Si vous sombrez dans ce travers, hélas si courant, vous aurez perdu la partie. Et trahi votre engagement envers vos électeurs.
Députés, me revoici vers vous. D’abord, pour vous féliciter une nouvelle fois de votre élection : chacun d’entre vous, au milieu de 476 candidats, a dû se battre pour parvenir au Grand Conseil, donc bravo. Aussi, pour vous dire ma reconnaissance de citoyen pour le travail que vous allez accomplir : je crois un à modèle de République où le peuple est souverain, ce qui ne signifie pas qu’il doive tout faire lui-même. Le Parlement, comme le gouvernement, comme le corps de l’ensemble des citoyens (qu’on appelle « peuple », à ne pas confondre avec « population ») sont trois organes complémentaires de notre démocratie. Aucun ne peut, ni ne doit faire l’économie des deux autres. Mais il faut que les tâches soient claires. Que chacun soit dans son rôle.
Celui du Parlement est de faire des lois et de contrôler l’activité du gouvernement et de l’administration. C’est déjà un sacré programme ! Les députés du Grand Conseil sont responsables de cela, qui est une grande et noble tâche. Mais ils ne sont responsables que de cela. Il n’est écrit nulle part qu’ils doivent être amenés, sous prétexte qu’ils se rencontrent souvent pour siéger, à constituer une caste à part. Ni une amicale. Ni un groupement d’intérêts. Il n’est stipulé nulle part, non plus, qu’ils doivent à tout prix se tutoyer, se ménager, se cajoler, fréquenter à longueur d’années les mêmes cocktails, se distribuer entre eux les liens d’intérêts, les postes et les prébendes. Citoyen, je demande aux députés de la République de défendre le peuple de Genève : ils sont au service de ce dernier, et non le contraire.
Prenons le tutoiement. Vous me direz que c’est un détail. Je ne suis pas d’accord, et il me choque depuis toujours, parce que le signal donné en public (par exemple sur les réseaux sociaux) est celui d’un vaste conglomérat de copains où l’on ne s’affronterait que pour la galerie. Malsain, et surtout non conforme au mandat donné. Pour ma part, je n’ai pas envoyé des concitoyens siéger au Parlement pour qu’ils deviennent particulièrement copains entre eux (ni ennemis, bien sûr). Je les ai élus, en écrivant un à un leurs noms sur une liste vierge de cent cases, pour qu’ils défendent mes idées, ma conception de l’Etat et de la politique. Et ma foi, si cela doit passer par des tensions, des frottements, des étincelles (je n’ai pas dit « des verres d’eau »), voire quelques franches engueulades, cela fait partie du jeu. Il est parfaitement normal qu’à l’intérieur d’un cénacle où une centaine d’individus doivent siéger des heures, sur des sujets antagonistes, le ton soit parfois appelé à monter. Lisez les minutes de la Convention, où Jacobins et Girondins s’étripaient par le verbe, vous ne vous trouverez pas dans un salon de thé, et c’est très bien, parce que la République, ça passe par le conflit.
Surtout, députés, souvenez-vous, pendant ces 54 mois, que vous êtes issus du peuple, et que vous lui devez des comptes. Vous êtes, aussi, à son service. Ce devoir seul doit vous guider, doit être plus puissant que le sentiment d’appartenance communautaire à un club. Si vous sombrez dans ce travers, hélas si courant, vous aurez perdu la partie. Et trahi votre engagement envers vos électeurs.
Pascal Décaillet
Source : GHI, 27 novembre 2013
Cet éminent chroniqueur oublie que les Girondins, après s’être “étripés par le verbe” avec les Jacobins, se sont tous fait raccourcir par la guillotine en 1793…