La propagande politique n’a pas sa place à l’école (partie 1)

Stevan Miljevic
Enseignant

Lorsque le libéral-radical Claude Roch était à la tête du département responsable de l’instruction publique en Valais, il semble que certains aient profité d’un certain laxisme pour insérer dans les cursus scolaires certaines choses relevant à mon sens plus de la propagande politique que de connaissances et compétences scolaires, tout du moins au niveau du cycle d’orientation.

 

Certains billets comme celui-ci se voudront donc critique envers ces manières de faire et, je l'espère, contribueront à lancer un débat sain sur ce qui doit se faire ou non dans le cadre de l'école obligatoire. Avec un peu de chance, certaines errances pourront être corrigées.

Nous commencerons donc aujourd'hui par une séquence de géographie portant sur les changements climatiques destinée aux élèves de deuxième année du CO. Ce billet se composera de trois parties principales, la première ayant trait à la problématique du réchauffement climatique, la deuxième s'intéressera à un sujet bien plus local, la nouvelle correction du Rhône, alors que la troisième se veut une synthèse conclusive à propos de tout cela. Le billet est peut-être un peu long, je suggère à ceux qui ont de la peine à se concentrer devant un écran d'éventuellement l'imprimer pour mieux pouvoir le digérer.

 

A) De la propagande pro-GIEC

  • Al Gore convoqué à la barre

L'intro de la séquence consiste à faire prendre conscience aux élèves que nous vivons une période de changements climatiques. L'enseignant est invité à montrer à ses élèves un extrait du film d'Al Gore "Une vérité qui dérange" comme vous pouvez le voir dans l'extrait du dossier distribué aux élèves que vous trouvez ci-dessous:

Or le film en question a été fortement contesté à son époque, Al Gore se servant de données fantaisistes pour étayer son propos. Cette information est d'ailleurs donnée dans les instructions fournies aux enseignants sur la manière de travailler cette séquence par son créateur. Le premier souci est de constater que cette information ne se trouve par contre pas dans le cours des élèves. Même si l'enseignant donne les compléments de mise en garde nécessaires au visionnage du film d'Al Gore, à la longue, seule restera l'invitation à en visionner une partie. Seuls les écrits restent. Celui qui voudrait approfondir le sujet en regardant à terme le documentaire en son entier n'aura donc aucune mise en garde sur la qualité scandaleusement douteuse du film d'Al Gore.

  • deux poids, deux mesures

S'il faut saluer la tentative du concepteur de la séquence de permettre aux élèves de se familiariser avec les deux versions à savoir les prophètes de l'apocalypse et les climato-sceptiques, en revanche, la réalisation laisse fortement à désirer: la présentation commence par un petit explicatif de ce qu'est le GIEC:

A ce niveau-là, on peut regretter que la séquence laisse croire que les motivations du GIEC ne sont guidées que par des considérations scientifiques: on laisse en effet croire que le GIEC se compose uniquement de scientifiques, ce qui est parfaitement inexact puisqu'il compte également dans ses rangs toute une kyrielle de politiciens. Les élèves ont le droit de savoir qu'il s'agit tout autant d'une institution politique que scientifique. Ce d'autant plus que lorsqu'il s'agit de présenter les climato-sceptiques, l'auteur de la séquence n'y va pas de main morte:

Ainsi donc un chiffre de 95% dont on ne sait pas vraiment d'où il sort est brandi pour justifier la position du GIEC. On signalera en passant à ce sujet que, si la science était démocratique, on en serait alors encore à la conception de la terre plate puisqu'au moment où elle a été mise en cause, une forte majorité des savants y croyaient. Mais passons plus loin. Immédiatement une deuxième salve, plus importante, est tirée contre les chercheurs climato-sceptiques puisque la séquence présente certains de ceux-ci comme à la botte du lobby pétrolier. S'ensuit d'ailleurs une tirade sur Exxon ayant reconnu faire acte de malhonnêteté en la matière en sponsorisant de contre-études:

On va donc chercher dans le passé des casseroles pour influencer les élèves et leur faire comprendre que la posture du doute ne tient pas et que, pour être raisonnable, il faut impérativement avaler la propagande réchauffiste. Je n'ai rien contre le fait qu'on relève les épisodes scandaleux qui jalonnent le débat sur le réchauffement climatique, mais si on veut faire honnêtement les choses, on fait pareil pour les deux camps. Ce d'autant qu'en matière de casseroles, le GIEC est un véritable expert: on peut relever, notamment, le climategate de 2009 lorsque des échanges e-mails entre les grands pontes du GIEC faisant état de procédés extrêmement douteux pour adapter la réalité des faits à la théorie ou des éléments attestant apparemment d'un boycott sciemment organisé par les revues et publications pour censurer toute étude n'allant pas dans le sens du GIEC. Alors certes, ces allégations critiques envers certains chercheurs du GIEC ont été démenties par une commission d'enquête dite "indépendante", mais, dans la pratique, il semble que cette commission ait été en fait complètement téléguidée (puisque financée) par ceux qu'elle était en charge d'inspecter. Lorsqu'Exxon finançait la désinformation, les élèves étaient au courant, mais là, silence radio!

Il aurait également pu être fait mention de l'utilisation par le GIEC de schémas trafiqués de manière à devenir beaucoup plus alarmistes dans l'un de ses anciens rapports.(2) Mais là aussi, motus et bouche cousue. Tout comme d'ailleurs dans le scénario de l'himalayagate, lorsque le GIEC faisait état d'une fonte des glaciers extrêmement inquiétante non avérée, à l'aide de données fournies par... le WWF!(3)

On peut également regretter le sens unique au sujet des intérêts économiques. Si le lobby pétrolier est mis en évidence pour décrédibiliser les sceptiques, pas un mot sur ce qu'Etienne Dubuis appelle "les dividendes du réchauffement", autrement dit les intérêts économiques qui sous-tendent la position de ceux qui veulent impérativement faire de l'homme un des principaux promoteurs d'une catastrophe climatique. Et de citer Margaret Thatcher qui, en 1988 déjà, déclarait devant la Royal Society que le changement climatique la préoccupait. A l'époque Mme Thatcher se prononçait notamment en tant que politicienne acharnée à la défense des intérêts britanniques en matière de pétrole et de gaz contre les producteurs d'énergie à base de charbon. Sa position a été le prétexte à l'enrichissement de ceux qui, aujourd'hui, sont dénoncés pour les mêmes raisons, par le biais de la fermeture de plusieurs usines à charbon. En vrac, on peut ajouter que:

- l'industrie du nucléaire elle aussi à tout intérêt à se ranger dans les rangs des promoteurs de l'apocalypse climatique, ses émissions de CO2 étant largement inférieures à celles du pétrole et du charbon.

- de juteux bénéfices sont promis aux entreprises qui amélioreront l'efficacité énergétiques des voitures ou des bâtiments, à toutes les entreprises qui produiront de nouveaux carburants, qui développeront des sources d'énergie renouvelables.(1)

Enfin, n'oublions pas la manne croissante tirée par les climatologues travaillant sur le sujet du réchauffement climatique tant que leurs conclusions vont dans le sens du GIEC, phénomène largement dénoncé (tout comme l'ensemble des critiques émises par les suppôts de l'apocalypse contre leurs opposants) dans le film "The great global warming swindle" que l'auteur n'a pas jugé bon de mettre en évidence (ou ne connaissait pas!) au contraire du monument propagandiste d'Al Gore.

En un mot comme en cent, il n'est pas correct de pointer du doigt les intérêts économiques qui pourraient guider les climato-sceptiques sans mettre aussi en évidence ceux du camp adverse. Il ne faudrait cependant pas croire que la démolition des climato-sceptiques s'arrête à cet aspect économique. L'auteur de la séquence continue en signalant que selon un journaliste scientifique, les climato-sceptiques n'étant pas liés à des intérêts économiques ont en fait des motivations politiques.

Bien entendu, aucune preuve n'est apportée mais peu importe, l'important est que les élèves y croient. Je ne dis pas que ce genre de chercheurs n'existent pas, mais simplement qu'on est là dans une configuration où l'on apprend aux élèves à voir la paille dans l'oeil de quelqu'un tout en évitant totalement la poutre d'un autre, puisque, rappelons-le, le GIEC compte dans ses rangs des myriades de politiciens qui, eux, ont effectivement des intérêts politiques de par leur nature même.

L'élément suivant n'est certes pas le plus important mais il démontre à quel point la position climato-sceptique n'est pas prise au sérieux: il est en effet déclaré que tout le monde accepte l'idée d'un réchauffement et que seule la cause de celui-ci est discutée:

Cette affirmation n'est pas exacte: si on creuse un tout petit peu la question on se rend compte que, si effectivement un certain nombre de ceux qui en nient l'origine anthropique, voient quand même un réchauffement climatique, d'autres, eux, estiment qu'il s'agit là d'une situation transitoire et que la température va repartir à la baisse d'ici peu de temps. D'autres vont même jusqu'à dire que nous nous acheminons vers une nouvelle ère glaciaire. La seule chose qui soit sûre actuellement c'est que le réchauffement s'est plus ou moins stoppé depuis près de 15 ans! Enfin, last but not least, se référant toujours à Samuel Foucard, qui semble être tout sauf un modèle de correction, la séquence se livre à un dernier exercice de décrédibilisation des climato-sceptiques:

Spécifier de la sorte que ceux qui doutent ne sont pas des spécialistes du climat mais proviennent pour la plupart d'autres horizons scientifiques revient à user d'un argument d'autorité qui n'a, dans un débat raisonné, aucun sens et se veut l'aveu même d'une faiblesse argumentative horrifiante. Mais pour des adolescents, la lecture d'un tel passage ne peut pas amener à d'autre conclusion que "Ah, alors ils en savent moins que les spécialistes!" Pourtant, si on réfléchit ne serait-ce que quelques secondes à la question, rien n'est plus normal: ceux qui mettent en doute l'origine anthropique de changements climatiques ont de bonnes raisons de le faire: untel passe son temps à observer le soleil et, par conséquent, quoi de plus normal que l'influence que l'astre solaire peut produire sur notre planète lui saute à la figure à la différence du climatologue dont les connaissances en la matière sont plutôt limitées. On peut dire la même chose des spécialistes des volcans et même de mathématiciens et statisticiens, nettement plus au fait de l'utilisation des chiffres que les climatologues et dont l'expertise est centrale pour juger de la qualité des travaux de ceux-ci.

 

B) La correction du Rhône

Faire acte de propagande en matière de changements climatiques n'était, semble-t-il, pas suffisant. Il fallait également s'intéresser à un sujet d'actualité politique brûlant en Valais: la nouvelle correction envisagée du Rhône. Alors que le parlement n'a pas encore fini de traiter ce dossier (et, par conséquent, celui-ci était encore plus chaud au moment de la rédaction de la séquence puisque celle-ci date au moins de l'année scolaire précédente) les élèves sont invités à travailler dessus. Et de quelle manière!

On leur explique ainsi que la solution la plus performante consiste en l'élargissement du Rhône, et ce alors que certaines factions se battent au parlement pour faire valoir d'autres solutions qu'ils estiment plus aptes à remplir cette mission. Par contre, pas un mot sur l'ensemble des facteurs un peu moins "scientifiques" qui ont convaincu certains d'adopter, tout du moins pour le moment, le projet (subventions...).

Enfin survient le coup d'assommoir: après avoir dit, répété et re-répété aux élèves que le projet de Rhône 3 est formidable, la question qui tue:

Si quelqu'un avait encore un doute sur le fait qu'on a depuis un bon moment basculé de la géographie à la politique, il en est définitivement soigné. De plus, notez bien la manière de formuler la question: c'est soit Rhône 3 et son milliard et demi, soit de nouvelles inondations. Les autres alternatives n'existent tout simplement pas!

Bref, je ne vais pas m'attarder plus longtemps sur ce sujet puisque, je l'avoue aisément, je ne suis pas un grand spécialiste en matière de protection contre les crues. Je trouve simplement inadmissible que des sujets politiquement chauds soient présentés à l'école, surtout de manière aussi partiale. Là aussi, on notera qu'aucune explication préliminaire n'est donnée sur le fonctionnement du fleuve, sur les causes des crues ou autre.

 

C) En guise de conclusion

Après une telle présentation, j'espère qu'il ne fait plus aucun doute pour aucun d'entre vous que nous ne sommes pas là dans l'enseignement d'une matière scientifique neutre mais bien dans l'idéologie et la politisation du débat. Qu'on se comprenne, loin de moi l'idée de dire quelle interprétation du climat ou de la lutte contre les crues est correcte: j'ai bien mon idée, mais je ne suis pas là pour l'imposer. Non, je veux juste faire remarquer qu'il est absolument inconcevable que des élèves, qui n'ont aucune notion en matière de climats mondiaux (on ne les enseigne pas au Cycle d'Orientation, je ne sais pas si c'est le cas en primaire mais jusqu'à preuve du contraire non) ni sur le fonctionnement des volcans ou les cycles solaires, puissent être amenés à travailler sur une périlleuse problématique climatique à la coloration politique indéniable. Ce sont là des phénomènes d'importance non négligeable (en tout cas les deux derniers) qu'il convient de maîtriser avant de se lancer dans le périlleux exercice de l'analyse des éventuels changements climatiques. Survoler ces notions comme le fait la séquence est largement insuffisant. Sans ce préalable nécessaire (et surtout quand on présente les différentes positions de manière fort biaisée, comme je l'ai démontré) on n'est pas dans l'enseignement mais dans la propagande politique.

On l'est d'autant plus quand on traite d'un sujet d'importance capital pour la région encore en débat. Surtout que, là aussi, les connaissances minimales nécessaires ne sont pas abordées et qu'on ne présente pas les différentes alternatives dans le détail ni ne les traite sur un pied d'égalité comme le voudrait le plus élémentaire principe d'équité. A ce propos, j'irai jusqu'à dire que les sujets encore d'actualité au niveau politique ne devraient pas être présentés à des élèves en classe, ce n'est pas le rôle de l'école que de former de bons petits militants. L'école devrait se contenter de fournir les éléments de base nécessaires à une future compréhension de ces débats, mais en aucun cas amener le débat en classe. Surtout si c'est le département qui amène des documents biaisés.

Je tiens quand même à préciser qu'il ne s'agit pas là d'une attaque en règle contre l'enseignant concepteur de la séquence. Je suis certain que c'est une personne de bonne foi qui a fait du mieux qu'il pouvait pour répondre aux demandes du département et du plan d'étude romand. Néanmoins, cela reste un homme comme un autre, avec ses propres croyances, sa propre information: partant de là, la tentation est grande de vouloir imposer ce qui nous semble juste.

Certains me diront bien qu'ils sont d'accord (ou non) avec moi, mais que là n'est pas la question, puisque le plan d'étude romand demande de traiter ces questions il faut bien le faire. Je leur répondrai que, dans un sens, ils ont raison, mais que, dans autre, d'une part le plan d'étude en question n'est pas forcément gravé ad eternam dans la roche, qu'il est vraisemblablement possible de le faire évoluer (cela sera le sujet d'un futur billet) et, d'autre part, il ne spécifie pas exactement comment traiter le sujet en question. Une marge interprétative assez grande existe, il est tout à fait possible de respecter le PER sans sombrer dans l'idéologisation et la politisation du débat.

Stevan Miljevic

http://stevanmiljevic.wordpress.com

 

 

1: Etienne Dubuis "Sale temps pour le GIEC", Favre, 2010, p.152

2: Ibid p.114

3: Ibid p.24

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