Enseignement: ce que dit réellement la “science”

Stevan Miljevic
Enseignant

L’école romande est gangrenée. Gangrenée par le constructivisme. Pour faire simple, le constructivisme, c’est la théorie à la mode depuis un moment déjà (et qui persiste malheureusement…) qui consiste à penser qu’en jetant un élève dans le bain d’une tâche complexe d’un coup, il s’en sortira mieux que si on lui explique les choses petit à petit. Fini le prof en face de sa classe qui guide ses élèves avant de les mettre à l’ouvrage, place à l’animateur qui accompagne. Mais surtout qui ne dirige rien du tout! Ou presque!

 

La méthode constructiviste est entrée en force dans les milieux scolaires romands et ce par le biais de deux canaux principalement. il y a d’une part, les instituts de formation des nouveaux enseignants (les HEP en particuliers) et, d’autre part, le Plan d’Etude Romand, qui, insidieusement, pose des objectifs induisant une méthodologie constructiviste comme le dénonce l’ARLE.

On peut s’étonner de cet état de fait, s’interroger sur cette mainmise qui va à l’encontre de la liberté pédagogique la plus élémentaire. L’argument est simple: ces gens fort instruits affirment qu’en procédant de la sorte on obtient de meilleurs résultats. Et de convoquer la science pour étayer leurs dires.

Qu’on soit clair: j’ai quelques doutes quant aux sciences dans le domaine de l’éducation. L’éducation me semble être quelque chose de trop humain pour être mesurable correctement de manière scientifique, il y a trop de facteurs interférants, de variables pouvant entrer en jeu. Mais bon, ce n’est pas avec ce genre d’affirmations qu’on peut convaincre quiconque du bien-fondé de nos affirmations. Alors, allons malgré tout jeter un oeil sur ce que dit cette science. Plusieurs études d’ampleur variable ont tenté de quantifier l’efficacité de telle ou telle manière de procéder. Il y a pas exemple celle de 2010 des professeurs Bisonnettes, Richard, Gauthier et Bouchard intitulée "Quelles sont les stratégies d’enseignement efficaces favorisant les apprentissages fondamentaux auprès des élèves en difficulté de niveau élémentaires? Résultats d’une méga-analyse". Cette étude est en fait une synthèse de 11 analyses réalisées entre 1999 et 2007 et portant sur plus de 30’000 élèves au total. En voilà les résultats:

Pour comprendre les tableaux suivants, il suffit de savoir que plus l’effet d’ampleur est élevé, plus le résultat est probant. Mais bon, assez parlé, voici les résultats de cette analyse:

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Et aussi…

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Intéressant de constater que les résultats de cette étude font du constructivisme une des pédagogies les moins adaptées et les moins efficaces du petit monde de l’enseignement!

Certains penseront peut-être qu’une étude ce n’est pas suffisant, que les résultats sont peut-être faussés pour une raison ou pour une autre et que tout ça mérite un peu plus de précaution avant de tirer des conclusions hâtives. Soit. Allons-y pour une deuxième étude: le professeur Hattie a réalisé un travail gigantesque dénommé "Visible learning. A Synthesis of over 800 Meta-analyses Relating to Achievement" portant sur 50’000 études concernant 80 millions d’élèves.

On ne va pas s’arrêter sur l’ensemble des résultats obtenus, cela prendrait bien trop de temps et se concentrer uniquement sur quelques spécificités propres au constructivisme et, plus globalement, à certaines innovations introduites dans l’école romande.

L’enseignement basé sur les simulations et les jeux obtient un effet d’ampleur de 0.32. L’enseignement basé sur la découverte, lui, se fixe à 0.31 alors que l’apprentissage par problème, fleuron constructiviste par excellence, obtient un effet d’ampleur de 0.15. L’apprentissage basé sur le web obtient un spectaculaire 0.09, l’approche globale en lecture un retentissant 0.06. Précisons également qu’Hattie fixe à 0.40 l’effet d’ampleur moyen de tous les éléments qu’il a étudié et que par conséquent, tout résultat supérieur à ce chiffre se veut acceptable alors que tout score inférieur se veut une condamnation stricte et sans appel. Tout est dit ou presque.

A titre de comparaison, certaines méthodes plus "traditionnelles", une fois qu’elles sont rigoureusement appliquées et systématisées tels l’enseignement direct (effet d’ampleur à 0.59) ou la pédagogie de maitrise (0.57) obtiennent des résultats largement supérieurs. A ce propos, Hattie, dans sa dernière livraison, écrit noir sur blanc que lorsque l’enseignant dirige et conduit l’apprentissage, son effet d’ampleur est en moyenne trois fois plus important que lorsqu’il joue le rôle de facilitateur.1

En court comme en long, il semblerait donc que, contrairement à ce que prétendent les défenseurs de ces pédagogies tant à la mode ces derniers temps, la science ne va de loin pas dans leur sens; loin s’en faut! Ce d’autant plus qu’à côté de ces volumineux travaux existe encore toute une kyrielle d’études de moindre envergure allant dans le même sens.

Il semblerait donc que tout le monde se réclame de la science pour dire tout et son contraire. Nous sommes donc en droit de nous demander comment les constructivistes peuvent convoquer la science pour se justifier alors que les études empiriques les plus importantes les condamnent ouvertement. Je laisserai le soin à Gauthier, Richard, Bissonnettes et Castonguay d’en donner une explication:

En éducation, il nous manque la plupart du temps des données, des preuves, des études rigoureuses; conséquemment, chacun se laisse happer par l’air du temps, la mode, ce qui est populaire et dominant. A cet égard, on observe un phénomène assez courant que l’on appelle la "circularité des références". Un certain nombre de penseurs de l’éducation, assez prolifiques et connus d’ailleurs, se citent mutuellement. Ce phénomène de citations en boucle crée une sorte d’effet de science et fait passer pour de la recherche ce qui n’est en réalité qu’une espèce de mantra pseudo-scientifique, c’est à dire de simples opinions reprises de multiples fois par ces stars de l’éducation et qui produisent, par leur récurrence, un effet de vérité trompeur. Par exemple, la plupart des auteurs francophones en éducation qui affichent l’étiquette "constructiviste" prennent appui sur les mêmes références, se renvoient l’ascenseur et se citent mutuellement. On cherche en vain des preuves empiriques et des données probantes et, au bout du compte, on en arrive progressivement à la conclusion qu’elles n’existent tout simplement pas.2

Voilà qui a le mérite d’être clair. Le petit souci réside dans le fait que, comme dit plus haut, les institutions responsables de la formation des enseignants ainsi que le plan d’étude romand sont bourrés de références constructivistes. Après une telle démonstration de l’inefficacité de ce genre de méthodes au regard d’autres manières de faire la classe, il n’y a plus à tergiverser: le corpus d’idées constructivistes doit tout simplement être rayé de la carte.

Dans le même temps, l’ensemble des documents émis et proposés par les différents départements en charge de l’instruction publique doivent aussi être passés au peigne fin et modifier en conséquence: les sommes investies dans l’éducation au niveau cantonal sont trop importante pour qu’on les gaspille à la légère. Si on respecte ne serait-ce qu’un tout petit peu ces cohortes de braves gens acceptant de payer lourd tribut pour que leurs enfants puissent bénéficier des meilleures conditions de formation possible et surtout si on veut vraiment que la jeunesse ait le droit à ce qui se fait de mieux, il n’y a pas à hésiter.

Stevan Miljevic

http://stevanmiljevic.wordpress.com

 

1: Hattie "Visible learning for teachers. Maximizing Impact on Learning", New York, Routledge, 2012, p.17

2: Gauthier, Bissonnettes, Richard, Castonguay "Enseignement explicite et réussite des élèves, la gestion des apprentissages" Ed. de Boeck, 2013, p.73

2 commentaires

  1. Posté par Antonio Giovanni le

    Au niveau universitaire, on a introduit depuis bien des années la méthode APP ( apprentissage par problèmes); utile sans doute pour l’organisation personnelle de son travail chez un professionnel, mais cela reste réservé aux adultes aguerris, formés déjà par de longues années d’études; dans les classes primaires, cette façon de mettre la charrue avant les boeufs a tout fait pour réduire encore les chances de réussite des élèves normalement doués; comment veut-on qu’un enfant de dix ans retrouve tout seul ce qu’un adulte du moyen-âge eût été incapable de concevoir ? Et pourtant, c’est bien à cette époque qu’ont commencé à s’épanouir le culte du savoir et l’intérêt pour les connaissances qui ont préparé les esprits à la Renaissance. Les cuistres, les pédants de Genève, et d’ailleurs, ont le nez sur leurs vieux textes idéologiques, et pour ne rien faire comme leurs prédécesseurs bourgeois, ils sont prêts à n’importe quelle aventure, en dussent leurs élèves pâtir pour la vie! TOUT faire tout autrement, quitte à ne pas mieux faire: curieuse logique dans le milieu de la formation! Or, du moment qu’il s’agit de la « science de l’éducation » dont parlent tous ces beaux savants, elle leur est sans doute infuse…tant mieux pour eux, et tant pis pour leurs élèves!

  2. Posté par Bernard Appy le

    Merci pour ce salutaire article rappelant combien la démarche constructiviste est au mieux inefficace et au pire néfaste.
    Pour prolonger la réflexion sur ce thème, je recommande les articles sur le débat entre instructionnistes et constructivistes qu’on peut trouver à http://www.formapex.com/antagonismes?layout=default
    Et sur les ravages du constructivismes, on peut se reporter (avec humour) à http://www.formapex.com/repertoires/961-constructivisme-articles
    Bien cordialement.
    http://www.formapex.com

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