En bref, plutôt que de vouloir imposer un canton commun par la séduction, la ruse, voire la contrainte ( Moutier s’en ira si vous ne voulez pas…), mieux vaut continuer à développer, quotidiennement et concrètement, des réalisations et des projets communs, toutes sortes de collaborations, qui elles donneront peut-être à la longue, une envie d’aller plus loin dans la collaboration, voire jusqu’à … Mais ce n’est certainement pas pour demain. Le fruit n’est pas mûr pour être consommé en commun.
Hélas ou heureusement, selon le point de vue…
J’ai toujours été très favorable à la création du canton du Jura et ai consigné à l’époque mes idées et raisons dans un livre ( Le Jura incompris. Fédéralisme ou totalitarisme ? Ed Delta, Vevey, 1976).
On oublie aujourd’hui la durée, l’intensité, la force et la détermination nécessaires à la création de ce nouveau canton (plébiscite : 23 juin 1974, accepté en votation fédérale en 1978, entré dans la Confédération le 1er janvier 1979).
J‘avais écrit : « Les Séparatistes plus suisses que les Suisses », cela au nom des fondements du système politique suisse : fédéralisme, démocratie directe et pluralisme notamment, alors que les Séparatistes étaient considérés comme des fascistes, voire des terroristes par certains et même par certaines autorités fédérales. Ne l’oublions pas, le Jura Nord a même fait l’objet d’une occupation militaire de la part de la Berne fédérale.
Le Jura Nord se distinguait du canton de Berne par tant de différences que la cohabitation devenait de plus en plus difficile et c’est peu dire. Différences de langue, de religion, de culture, sous-développement économique, minorisation politique constante, dans les élections et votations.
Quand les différences deviennent trop importantes et nombreuses à l’intérieur d’une entité commune, des volontés indépendantistes et séparatistes se font jour, tôt ou tard.
A l’époque, en tant que chercheur sur ce « terrain » du Jura, tout en tentant de rester aussi objectif que possible, je pensais et démontrais que cette volonté d’indépendance pouvait se comprendre et correspondait à des situations que le système politique était capable de résoudre, contrairement à des pays très centralisés qui généraient en tant que tel des oppositions et des dissidences ; par exemple des revendications régionalistes, qui à force d’être méprisées et du refus de prise en compte, débouchaient souvent sur le terrorisme. Bien des volontés d’indépendance régionales se trouvent encore dans ces situations devenues meurtrières.
Même en Suisse ce genre de volonté d’indépendance n’allait nullement de soi. Invité à présenter le livre susmentionné lors d’une réunion organisée par les Séparatistes dans le Jura Sud, une provocation des Séparatistes évidemment, j’avais parlé sous la protection de 200 grenadiers bernois, obligés de protéger cette manifestation au nom de la liberté d’expression.
Autre caractéristique du Jura francophone de l’époque : une très intense vie culturelle, artistique et citoyenne de manière générale, atmosphère beaucoup moins perceptible aujourd’hui. Les préoccupations d’ordre professionnel et économique ont pris le dessus, également chez les jeunes.
L’ennemi des Jurassiens c’était donc la Berne Cantonale mais, par association, la Berne fédérale l’était aussi devenue. L’allemand, la langue allemande, était devenue un catalyseur négatif. Le mérite du gouvernement jurassien actuel est d’autant plus grand d’avoir su abandonner l’image de cette langue « ennemie » pour favoriser l’enseignement bilingue- français allemand- de manière exemplaire, même si une telle décision est aussi à mettre en rapport avec des raisons d’ordre économique, soit la proximité de la région bâloise pourvoyeuse d’emplois.
De nos jours, des différences importantes subsistent entre le Jura Sud ( toujours intégré au canton de Berne à majorité alémanique) et le Jura Nord, des différences culturelles (mais plus de langue !), de mentalité, surtout celle-là, politiques et autres. Le canton du Jura n’est peut-être plus aussi attractif qu’il ne le pense lui-même et qu’il veut le faire croire aux Jurassiens du Sud.
On ne peut négliger les différences qui relèvent de la mentalité collective, de la façon de vivre et de ressentir la réalité. Il suffit de voir la virulence de la stéréotypisation négative réciproque pour comprendre qu’au niveau subjectif, du vécu quotidien, ce n’est pas l’osmose généralisée et une occasion unique de fraternisation générale !
Sous-estimer ces différences-là, c’est ne rien comprendre aux oppositions, encore fortes et puissantes, au projet de regroupement présenté par des élites politiques moins sensibles à ces dimensions-là. Pensons au projet de fusion des cantons de Vaud et de Genève considéré comme une évidence et une nécessité économique indiscutable par nombre d’autorités. Or le refus en votation populaire a été massif. On oublie que derrière les cantons suisses il y a souvent une longue histoire spécifique profondément enracinée et vécue comme telle par les populations. Idem, à l’inverse, avec des propositions de séparation, nées dans la tête de quelques cerveaux intellectuels peu conscients apparemment de ces dimensions constitutives des communautés humaines historiques. On peut penser ici au projet, de séparation entre le Haut et le Bas-Valais, un pur gadget intellectualo-médiatique sans suite aucune. Malgré les différences et des rancoeurs puissantes, un passé commun forge des liens pas si aisément défectibles.
Rappelons la solution suisse des demi-cantons, qui permet d’actualiser un autre trait du système politique suisse, l’unité dans la diversité. Ce trait est sans doute extensible et permet lui aussi de concilier parfois ce qui ailleurs reste inconciliable.
En bref, plutôt que de vouloir imposer un canton commun par la séduction, la ruse, voire la contrainte ( Moutier s’en ira si vous ne voulez pas…), mieux vaut continuer à développer, quotidiennement et concrètement, des réalisations et des projets communs, toutes sortes de collaborations, qui elles donneront peut-être à la longue, une envie d’aller plus loin dans la collaboration, voire jusqu’à ... Mais ce n’est certainement pas pour demain. Le fruit n’est pas mûr pour être consommé en commun.
Hélas ou heureusement, selon le point de vue…
Et vous, qu'en pensez vous ?