“Sondage” : de qui se moque-t-on?

Pascal Décaillet
Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant

Une parodie. Une duperie du public. Tels sont les mots, les seuls qui vaillent, pour qualifier le « sondage » que nous propose aujourd’hui, avec tambours et trompettes, en une, puis sur la double page 2 et 3, la Tribune de Genève. Il y a tant et tant à dire sur cette mise en scène, cette mise en page aussi, mais ce qui provoque le plus la colère, c’est l’illusion d’objectivité scientifique derrière laquelle se camoufle le journal.

 

Soyons clairs : la TG est un journal privé, elle est totalement libre de rouler pour qui elle veut, aucun problème. Elle peut commenter, éditorialiser, pamphlétiser tant qu’elle veut, c’est son droit. Mais se livrer, sur la base d’un échantillonnage aussi insignifiant de sondés, à cette disposition de graphiques impeccables, très attirants pour l’œil, les mêmes que pour les résultats de votations, voilà qui induit en erreur le lecteur, lui donne le sentiment d’une vérité chiffrée, alors qu’il n’en est rien. Tout cela, à J-11 de l’élection du Conseil d’Etat. Car enfin, le grand public ne fait que parcourir les journaux, son œil est retenu par la titraille et par les graphiques, il peut aisément prendre comme vérité révélée ce qui n’est que pures spéculations. Elles sont tellement plaisantes à l’œil, ces deux pages, qu’on dirait les résultats de l’élection, dans l’édition du lundi 11 novembre prochain !

 

Comment un quotidien aussi sérieux que la TG, qui jouit à Genève d’une situation quasiment monopolistique, peut-il, sans provoquer dans sa propre rédaction un immense éclat de rire, venir nous dire que la somme des sondés est de 327 lecteurs, « et, afin que l’échantillonnage corresponde à la composition en âge et en sexe du lectorat de la Tribune, il été réduit à 213 personnes ». Que signifie cette « réduction » ? Que signifie ce charabia ? Que signifie ce taux chétif, insignifiant, de 213 personnes ?

 

Pire : on prend ça, on le balance comme argent comptant, et on titre, sur tout la largeur : « Derrière Maudet et Longchamp, la bataille fait rage ». Et on nous catapulte un septuor d’élus, dont, comme par hasard, les cinq de l’Entente. Et on nous annonce une bataille serrée pour la septième place. Et on sonde même le public sur l’identité du futur Président, ce qui est vain puisque le choix en revient au collège. Et on peaufine et parachève l’impression que les jeux sont faits, qu’il n’est plus nécessaire d’aller voter : allez, circuler, bonnes gens, vous n’êtes plus citoyens, non, vous n’êtes plus que des sujets. Plus besoin de voter. La cléricature de la TG s’en est occupée pour vous. Saint François et Saint Pierre vous bénissent. On se retrouve dans cinq ans. Et surtout, petit peuple, d’ici là, continuez à bien nous faire rire.

 

Pascal Décaillet, 30 octobre 2013

 

Un commentaire

  1. Posté par Marcel Rubin le

    Cher Monsieur Décaillet,

    Vous êtes, me semble-t-il, bien mieux placé que moi pour savoir que les journalistes en Suisse romande (enquête d’opinion d’il y a quelques années) se déclarent socialistes – ou de gauche – à plus de 60%, alors que cette tendance recueille moins de 30 des suffrages des citoyens. On peut donc se réconforter en constatant que, lors des votations/élections, les citoyens – heureusement – ne suivent pas les consignes de vos confrères.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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