Loi sur les manifestations: la République des juges

Pascal Décaillet
Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant

Bien sûr, la saisine du TF est inscrite dans notre ordre juridique, je ne la conteste pas. Mais beaucoup de nos citoyens vont se dire exactement ceci: “A quoi ça sert d’aller aux urnes, confirmer une décision déjà prise par le élus, pour que cela soit, au final, “retouché” par des juges ?

Loi genevoise sur les manifestations: que le Tribunal fédéral vienne "retoucher" un texte non seulement voté, après vaste débat, par le Grand Conseil, mais confirmé le 11 mars 2012 par le peuple souverain, pose problème.

Le TF est certes parfaitement dans son droit. Et les pouvoirs, séparés. Je sais tout cela. Mais quel signal, une fois de plus, dans notre démocratie ! Les élus légitimes du peuple, dans une dialectique serrée de confrontation d'idées (j'avais suivi ce débat, qui était sans concessions), élaborent un texte, puis le votent. Ce texte est attaqué par référendum, pas de problème, c'est le jeu de notre démocratie. On refait donc, à l'échelle de tout un canton, le débat qui avait celui du Parlement. Le jour venu, le corps électoral des citoyens, après des semaines de campagne et de débats, confirme la décision des députés. Des dizaines de milliers de ciroyens donnent raison à la centaine d'élus législatifs. Ca commence à être muni d'une certaine légitimité.

Bien sûr, la saisine du TF est inscrite dans notre ordre juridique, je ne la conteste pas. Mais beaucoup de nos citoyens vont se dire exactement ceci: "A quoi ça sert d'aller aux urnes, confirmer une décision déjà prise par le élus, pour que cela soit, au final, "retouché" par des juges ?

Encore une fois, rien d'illégal, au contraire. Mais politiquement, un signal catastrophique. J'avais voté cette loi, mais je dirais exactement la même chose si j'en avais été un opposant. A Genève, il n'est plus possible de prendre une décision politique, ni par un exécutif, ni par le Parlement, ni même par le peuple, sans que la République des juges ne vienne exercer, au final, un pouvoir qui, dans l'opinion, ne pourra difficilement être perçu autrement que comme celui d'une cléricature.

D'avance, je serais très reconnaissant aux commentateurs de nous éviter:

1) Les cours de droit sur la séparation des pouvoirs. Nous connaissons cela, tout autant qu'eux.

2) Les lieux communs du style "Hitler a été élu par le peuple".

3) Les dissertations sur la vie et l'oeuvre de Montesquieu.

4) Les péroraisons sur le "droit supérieur".

Merci, également, de ne pas réagir en fonction de votre sensibilité à cette loi sur les manifestations. Comme je l'écris plus haut, cela n'est pas ici le problème. Mon thème, mon angle, c'est la place disproportionnée que commence à prendre dans notre démocratie l'appel aux juges.

Pascal Décaillet

Première publication: blog de Pascal Décaillet, TdG 10.7.2013

2 commentaires

  1. Posté par Paul Müller le

    La République des juges, c’est le législateur qui l’a voulue ou au moins permise.. Sur le plan de la CEDH en renonçant (dans les années 90?) une majorité qualifiée pour condamner un État. Le résultat, c’est que la CourEDH et confrontée à une avalenche de recours et voit des violations des droits fondamentaux des humains là où il n’y a que sensibilités et traditions locales bien antérieures à la CEDH et tout à fait légitimes à la conclusion de la CEDH (droit du patronyme des époux, crucifix visibles dans les classes, dissolution d’associations à but illicite…) afin d’uniformiser le droit civil et pénal européen. Un mouvement similaire s’est produit en Suisse lorsque le parlement a démissionné de sa fonction de surveillant des juges qui étaient anciennement contraints de suivre servilement les injonctions législatives sous peine de mettre leur propre réélection en périle. C’est après cette démission politique sans compensation au niveau décisionnaire (pas de majorité qualifiée de juges pour sanctionner une décision politique) que le TF s’est mis à “voir” des “droits constitutionnels non écrits” et se croire statutairement plus intelligent que le pouvoir politique pour mettre en échec le politique statutaire. On voit sur le plan interne exactement les mêmes développements d’acaparation du pouvoir politique par le judiciaire que sur le plan européen. C’est triste. Mais il n’appartient qu’au politique d’assumer et exercer le pouvoir qui est le sien et mettre un terme à cette prise de liberté par le judiciaire face à la séparation des pouvoirs!

  2. Posté par Gilx Favre le

    Remarque : une voie de droit est utilisée parce qu’il y a des chances raisonnables d’obtenir gain de cause. Il ne faut donc pas se demander pourquoi les Genevois usent des voies de droit, mais bien pourquoi, au final, les autorités politiques ne sont pas fichus de voter un projet qui soit constitutionnellement correct (au moins pas arbitraire).
    Il y a quelques règles simples à observer et, politique mise à part, un avis de droit bien rédigé des services du parlement devrait être suffisant pour convaincre une majorité de politiciens (qu’ils soient raisonnables ou non par ailleurs). Le problème n’est ainsi pas tant que les voies de droit soient utilisés, mais bien que les politiciens (et leurs différents services juridiques, qu’ils soient institutionnels ou privés) soient incapables d’anticiper la sanction des tribunaux 🙂 Combien y a-t-il en outre d’avocat dans le parlement ?

    Pour le reste, il est vrai qu’il est excessivement rigoureux de leur faire ce reproche lorsque le TF décide par 3 contre 2 :o)

Et vous, qu'en pensez vous ?

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