S’agenouiller devant un géant, nous, un tout petit pays de huit millions d’habitants. Nous n’avons guère de matières premières. Nous étions encore pauvres il y a un siècle, et même moins que cela. Nous sommes petit, fragile, vulnérable, Notre seule force, c’est notre fierté d’être. Notre seule chance, c’est la rigidité de notre intransigeance sur la question de la souveraineté. L’affaire des juges étrangers en est un élément central. Si nous abdiquons cela, alors oui vraiment, il ne nous restera plus rien.
Vous pouvez reprendre tous mes papiers depuis tant d’années, je ne me réfère jamais au Pacte fédéral, ni à la Suisse de 1291. Je respecte infiniment cela, bien sûr, mais j’ai tellement étudié l’Histoire de ce pays, et de ses cantons, à partir de 1798, puis bien sûr 1848, le champ de mes références est tellement ancré dans les deux derniers siècles, où sont nés nos grands partis politiques, que je n’éprouve pas trop le besoin de remonter à la Suisse des origines.
Je sais aussi, pour m’y être penché, ce que fut, au dix-neuvième précisément, la part de récupération mythique, puis folklorique, de ces premières années de la Suisse. Je fais partie des rares Romands (me semble-t-il) à avoir lu en allemand le Wilhelm Tell de Schiller, ou le Götz von Berlichingen de Goethe (que j’ai vu, ébloui, à Nuremberg, en juillet 1971). J’ai travaillé sur le Sturm und Drang, le rôle du romantisme allemand dans l’édification des identités nationales, bref je ne suis pas de ceux qui plongent tête baissée dans la mythologie de la Suisse primitive, sans faire la part de sa reconstruction dans une période au fond très récente.
Ce soir pourtant, je brandis le Pacte. Avec le cœur autant que la raison. Avec la rage. Cette part de fierté, de simplicité de l’immédiate appartenance. Avec peut-être quelque chose de filial. Je brandis le refus des juges étrangers. C’est quelque chose de très important dans l’âme suisse. L’un des fondements de notre souveraineté. Et cette dernière n’est pas négociable. Pour la simple raison qu’aucune souveraineté ne l’est, ne doit l’être, ne peut l’être. De quoi sont nées les nations de la terre ? Vous croyez que leurs voisins, gentiment, leur ont demandé de bien vouloir venir au monde ? Que la naissance de la Suisse a fait plaisir aux Habsbourg ? Que celle des Etats-Unis, en1776, arempli de bonheur le roi d’Angleterre ? Que la naissance d’Israël, en 1948, fut attendue avec un tapis rouge par ses chers voisins du Proche-Orient ?
Non, bien sûr. La naissance d’une nation, toujours, survient dans la transgression de l’ordre établi, dans la crise, dans la guerre. Et se scelle par le sang versé, la mémoire des morts. J’use ici de mots que vous trouverez chez Jules Michelet ou Pierre Nora, sans doute davantage qu’à Sciences Po ou HEI. C’est une école de pensée contre une autre, une matrice face à une autre, je l’assume.
Donc, lorsque je vois le secrétaire d’Etat de notre diplomatie, M. Yves Rossier, dont je peine à imaginer qu’il puisse agir sans le blanc-seing de M. Burkhalter, ourdir pour que la Cour de justice européenne tranche, entre l’Union européenne et nous, dans les litiges concernant l’application des accords bilatéraux, je crie au précédent, je dis halte. Lorsque j’entends, avant-hier jeudi 4 juillet 2013, le commentaire matinal de la RSR, dans la droite doxa de Roger de Weck, nous annoncer, sur un ton tellement paternaliste, qu’il n’y a aucun souci à se faire, que deux partis de droite (UDC, mais aussi PDC) « doivent cesser (sic !) de jouer les vierges effarouchées », je commence un tantinet à m’irriter. Ce commentaire nous dit, tout bonnement : « Circulez, y a rien à voir ».
Ce commentaire, qui a dû faire tellement plaisir à M. de Weck, c’est l’acceptation du fait accompli. La génuflexion face aux exigences de Bruxelles. S’agenouiller devant un géant, nous, un tout petit pays de huit millions d’habitants. Nous n’avons guère de matières premières. Nous étions encore pauvres il y a un siècle, et même moins que cela. Nous sommes petit, fragile, vulnérable, Notre seule force, c’est notre fierté d’être. Notre seule chance, c'est la rigidité de notre intransigeance sur la question de la souveraineté. L'affaire des juges étrangers en est un élément central. Si nous abdiquons cela, alors oui vraiment, il ne nous restera plus rien.
Pascal Décaillet
Cher Pascal,
Ton savoir historique te cacherait-il la vue de l’actualité?
Le refus des juges étrangers qui est un des piliers du pacte de 1291 a été sérieusement réduit avec l’adoption de la Convention de Lugano en 1988 et a complètement disparu de la Constitution – que tu as sans nul doute votée – depuis 2000.
Les conditions ont aussi évolué en 722 ans. La Suisse ne cherche plus à se séparer de ses voisins mais à se rapprocher d’eux. Et comme pour se mettre d’accord il faut être deux (ou 28 ou 29 ici), refuser de prendre en compte l’évolution du droit “étranger” (recte: européen, que nous incorporons au demeurant mieux dans notre législation nationale que bien des membres de l’UE) relève aujourd’hui de l’arrogance, pas de la souveraineté. Au demeurant, la proposition Burkhalter ne propose ni de laisser des juges étrangers rendre des jugements en Suisse (mais uniquement de donner des avis aux tribunaux suisses) ni de laisser ces juges se pencher sur des questions de droit suisse.
Bref: c’est intelligent et pragmatique. Il n’y aura clairement pas de “deal” avec l’UE en dehors d’une forme de solution pour la question institutionnelle. La proposition de Burkhalter a l’immense mérite d’en dégager une qui limite l’intervention de l’UE.
Y voir un abandon de souveraineté est une erreur; on peut bien sûr avoir la nostalgie des temps passés, mais ça ne fait pas avancer le dossier. Le monde bouge. Il faut regarder devant soi.
Amicalement
L’entêtement de Didier Burkhalter dans ce dossier est méprisable. Il représente parfaitement cette élite politique ayant perdu pied avec le commun des mortels. Nous en avions été épargné en Suisse mais vraisemblablement la flamme de l’UE fait tourner des coeurs, à l’image de son secrétaire d’État mangeant dans la main des diplomates, honteux, en conférence de presse européenne. Ce conseiller fédéral tient plus de la sociale-démocratie que de son parti d’origine. J’espère sincèrement qu’il prendra acte et ne se représentera pas si son dossier ne passe pas la rampe.
Sur le fond, l’argument économique de plus d’intégration est correct, et il est clair que nous n’aurions pas pu espérer quoi que ce soit de plus de ces négociations étant donné le contexte de la Grande Bretagne et ses pressions nationalistes (et en moindre mesure de la Norvège) et plus généralement de la crise qui nous attise de la jalousie. Mais connaissant ces facteurs négatifs, quel mauvais timing pour engager ces négociations. Le tradoff entre gain d’intégration et perte de souveraineté est clairement en notre défaveur.
Le meilleur moyen de réveiller les consciences est de faire comme Pascal Décaillet et Pierre Henri Reymond. J’admets qu’il est très difficile de le faire avec autant de talent, mais même les discours les plus simples, quand ils sont au cœur de la vérité, touchent par leur honnêteté.
Jamais la Suisse contemporaine n’a été autant menacée par ces grandes puissances qui s’autorisent à passer en force, au mépris de notre droit à la souveraineté.
Hélas, trois fois hélas, notre pays n’a plus d’homme ou de femme providentiel pour faire face à ces déferlantes destructrices. Au contraire, j’ai le sentiment que notre Conseil Fédéral in corpore, dans leur souci de ne pas froisser nos adversaires s’autorise à trahir nos valeurs, et surtout à minimise la capacité des Suisses à réagir, et à faire bloc contre ces adversaires qui s’engouffrent dans nos faiblesses.
Il est temps que les choses changent. Je reste optimiste sur l’avenir de ce pays, dans lequel je sens remonter la volonté de résister, tout comme l’ont fait nos glorieux ancêtres.
Vos lignes, Monsieur Décaillet, me vont droit au cœur. Vous approchez, je crois, du cœur du sujet. D’une autre origine, les mots de Bruno Pellaud concernant Monsieur El Baradei, en approchent aussi. Comment dire? En marge et en écho… La stature du Commandeur forme une trilogie.
Si petite que soit la mienne, de stature, elle a été initiée et fortifiée par la lecture de “Aimer de Gaulle”, de Claude Mauriac.
Vous évoquez, Pascal, le mythe et le folklore qui suffit à certains, et que d’autres, en contrepoint, dévaluent.
L’ouverture du “Guillaume Tell” de Rossini, exalte l’âme. Ce n’est pas du folklore.
J’en viens au “mythe”. Veuillez m’accorder patience, car le talent me manque. Ce mot, de toutes les bouches desquelles je l’ai entendu, traduit mépris et désinvolture. Sous prétexte de je ne sais quoi, le sens est évacué. Laissez moi un instant, je suis secoué de sanglots…
Quel sens donc? Voici. Dans le pacte je vois une alliance, conclue entre des hommes fermes, déterminés et intègres. Une alliance irrévocable. Que nul n’a rompue. Ainsi, rien de valable, ni de durable, ne peut être construit sans confiance, ni fidélité. Et c’est un fait, incontournable, et pas un mythe.
Je puis en témoigner!
Donc, j’insiste, les fondements de notre Pays sont: droiture, intégrité et fidélité!
Que ton oui soit oui!
Je ressens la même fierté et appartenance que vous pour mon pays, mais je ne suis pas sur que l’immense majorité des suisse soient vraiment conscient des enjeux et des remises en questions fondamentales qui se jouent actuellement.
Comment réveiller les consciences ?