A cinq reprises lors des cinq dernières années, le peuple a accepté des initiatives populaires pourtant clairement combattues par la classe politique et, particulièrement, par le Conseil fédéral. Ce dernier est donc chargé d’appliquer dans la loi des principes constitutionnels qu’il a lui-même combattu. Récemment, le Tribunal fédéral a dû rappeler le gouvernement à ses devoirs dans le cas de l’initiative Weber et, de son côté, l’UDC a dû relancer une initiative pour, enfin, mettre en œuvre une initiative acceptée il y a près de trois ans. Faut-il craindre une crise institutionnelle profonde en Suisse ?
Ainsi, le peuple n’a clairement pas voulu que l’élection du Conseil fédéral soit de son ressort. Il l’a dit en 1900, l’a redit en 1942 et l’a affirmé en 2013. Mais ce débat institutionnel ne fait que s’ouvrir car la campagne de votation qui s’est achevé le 9 juin dernier n’a pas même effleuré les causes essentielles de la crise qui touche aujourd’hui nos institutions.
La principale cause qui me permet d’évoquer une « crise de nos institutions » est l’acceptation de cinq initiatives populaires en cinq ans et ceci contre l’avis de toute la classe politique et, plus particulièrement, contre l’avis du Conseil fédéral. Jamais dans l’histoire de la Confédération, le Conseil fédéral n’a dû faire face à autant de revers face au peuple.
Entre 2008 et 2013, quatre initiatives d’individus ou de groupes non-politiques ont imposé des principes constitutionnels contraignants. Il s’agit de l’initiative « pour l'imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine » (2008, lancée par l’association Marche blanche), l’initiative « contre la construction de minarets » (2009, lancée par le comité d’Egerkingen), l’initiative « pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires » (2012, lancée par Helvetia Nosta, Franz Weber) et l’initiative « contre les rémunérations abusives » (2013, lancée par Thomas Minder). Seule l’initiative « Pour le renvoi des étrangers criminels (initiative sur le renvoi) » (2010, lancée par l’UDC) est issue d’un parti politique clairement établi et reconnu.
Une première réflexion s’impose : quels enseignements tirés de ces défaites du Conseil fédéral ? Comment est-ce possible qu’un homme providentiel (ou un groupe) puisse convertir ainsi la majorité des citoyens à tel point que ces derniers désavouent ses propres représentants dans nos institutions ? Comment la majorité des Suisses peut-elle accorder sa confiance aux solutions d’un seul homme (par exemple Thomas Minder) alors que le Parlement et le Gouvernement recommandent de refuser cette proposition pour le bien de (l’économie, dans cet exemple…) la Suisse ? Doit-on y voir une crise de confiance à l’égard des institutions ?
Le Conseil fédéral est dans une position inconfortable
Ainsi, à cinq reprises ces cinq dernières années le Conseil fédéral s’est retrouvé dans une position inconfortable. Il doit appliquer dans la loi ce qu’il a combattu face au peuple. Notre système confie donc au perdant le soin d’appliquer le texte qu’il a combattu. Et cela n’est pas sans poser quelques problèmes.
Si certains textes, comme celui relatif à la construction de minarets, ne posent aucun problème d’interprétations, d’autres textes engagent des débats interminables sur le « comment mettre en œuvre le principe adopté par le peuple ? ».
Récemment, le Tribunal fédéral a dû taper sur les doigts du Conseil fédéral car ce dernier estimait que le texte de l’initiative Weber adoptée en mars 2012 n’entrait pas en vigueur immédiatement. La légèreté du Conseil fédéral n’est pas été sans conséquence pour un certain nombre d’entrepreneurs.
L’UDC connaît le même problème que Franz Weber mais a préféré utiliser la voie politique à la voie juridique. Son initiative (qui avait été flanquée d’un contre-projet), adoptée en novembre 2010 n’a toujours pas été mise en œuvre et le projet mis en consultation par le Conseil fédéral reprend trait pour trait la proposition du contre-projet qui a été refusée par le peuple. L’UDC a donc relancé une nouvelle initiative dans laquelle il détaille l’ensemble de la loi d’application afin de couper l’herbe sous le pied du Conseil fédéral.
Nul doute que la mise en œuvre de l’initiative Minder sur les rémunérations abusives connaîtra les mêmes difficultés de mise en œuvre.
La phase de mise en œuvre est le cœur du problème
Jamais le Conseil fédéral n’a été autant confronté à la problématique de la mise en œuvre qu’aujourd’hui. Pourtant, cette phase d’application dans la loi du principe approuvé par le peuple est déterminante pour pérenniser le rapport de confiance que devrait (doit !) entretenir le citoyen avec ses institutions démocratiques.
Quand les citoyens approuvent une initiative, il est logique que cette dernière soit mise en œuvre sans que le Conseil fédéral tergiverse. Mais ce dernier, déjà fragilisé par une défaite devant le peuple, se permet encore de discuter les points et les virgules de la loi d’application. Ce faisant, il creuse encore un peu plus le fossé qui commence à l’éloigner du peuple.
La phase de mise en œuvre est finalement assez neuve en Suisse et nul ne sait exactement de quelle manière il est possible de la traiter et de prioriser les conflits. Le droit international doit-il primer sur le droit populaire ? Le fédéralisme doit-il primer sur la solution globale ? Mais il est sûr que le Conseil fédéral ne peut pas se permettre de renégocier le contenu approuvé en le diluant à travers la loi d’application ; il en va de sa propre crédibilité et cette dernière est déterminante pour que la relation de confiance perdure.
Conclusion
Le Conseil fédéral peut perdre (mais pas trop souvent…) face au peuple sans pour autant perdre sa crédibilité car c’est le jeu démocratique et à la fin il y a une minorité et une majorité. Toutefois, quand il agit en mauvais perdant et qu’il traîne les pieds à appliquer une initiative adoptée par le peuple, il se décrédibilise gravement et court même le risque de se faire humilier par le Tribunal fédéral, comme cela a récemment été le cas.
A ce titre, le débat annoncé autour de l’initiative de mise en œuvre déposée en décembre 2012 par l’UDC et qui vise à appliquer directement dans la loi le contenu de l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers sera une nouvelle fois humiliante pour le Conseil fédéral. A cette occasion, il devra justifier pourquoi l’initiative UDC n’a pas encore été mise en œuvre et pourquoi il tente, en douce, d’appliquer le contenu du contre-projet dans la loi. Contre-projet qui, faut-il le rappeler, a été refusé par le peuple.
On ne saurait que trop peu conseiller au Conseil fédéral de se réjouir du Non des Suisses à l’élection du Conseil fédéral par le peuple car ce n’était que l’avis de tempête. Cette dernière s’approche…
Et vous, qu'en pensez vous ?