Antisémitisme: la Suisse bon élève, mais ce fut une année «calme» au Moyen-Orient

Joël Reymond
Ecrivain et journaliste freelance
post_thumb_default

L’an dernier, les actes antisémites en Suisse ont reculé d’un tiers par rapport à la précédente, d’après le rapport que la CICAD (1) a publié début mars. Ce rapport est publié chaque année depuis 2003. Avec 87 actes recensés, soit un tous les quatre jours, la Suisse fait figure de bon élève discret.

Le recul des actes antisémites est de -33% pour la Suisse romande et de -25% pour la Suisse alémanique. Il n’y a pas d’acte grave (violence physique) répertorié en 2012, contrairement à 2011. En bref donc, un motif de satisfaction supplémentaire pour l’Helvétie, dont la presse unanime a relayé la statistique de la CICAD. Certes, mais il est dans la nature de l’observateur de rester vigilant et de chercher à mettre en perspective ces chiffres annuels.

Pics liés à l’actualité au Moyen-Orient

D’abord en comparaison longitudinale, c’est-à-dire historique : le graphique ci-joint montre l’évolution depuis dix ans. On note deux pics dans le nombre d’actes antisémites, d’abord en 2005-6 puis encore plus nettement en 2009, numériquement deux fois plus important. Le premier pic correspond à la guerre contre le Hezbollah libanais à l’été 2006 et le second à l’opération «Plomb fondu» de l’armée israélienne dans le bande de Gaza, lancée en décembre 2008. Au sujet de 2006, comment ne pas rappeler la manifestation de soutien organisée par le parti écologiste en Place fédérale, couverte par nos collègues, qui avaient vu claquer les drapeaux jaunes de l’organisation terroriste Hezbollah et entendu résonner les slogans d’«Israël, Bush, Olmert, assassins, tueurs d’enfants» ? L’importation du conflit israélo-arabe en Occident par le biais de la couverture médiatique est un élément bien connu qui ne fait plus discussion. Les actualités au Proche-Orient prennent la forme d’accusations collectives envers les communautés juives nationales.

Par ailleurs, le nombre de 87 actes antisémites pour 2012 reste «préoccupant» d’après la CICAD. Le seuil-plancher d’une petite centaine d’actes par année en Suisse depuis 2008 témoigne en effet d’une forme de banalisation des actes antisémites, une forme de racisme à consonance religieuse qui jouit d’une forme de surveillance privilégiée dû à l’histoire, faut-il le rappeler.

La Migros a pris position sur les implantations

Au 1er janvier de cette année est entrée en vigueur au 1er janvier 2013 une mesure annoncée par la Migros au printemps dernier : l’étiquetage des produits israéliens issus des implantations de Cisjordanie (ou Judée-Samarie suivant l’appellation). Il ne s’agit pas là d’un boycott mais d’un étiquetage. Gemültich. Helvétique. N’empêche, cette démarche est à rapprocher des campagnes de délégitimation visant l’État hébreu à l’échelle européenne. L'exemple le plus connu et ancien est le boycott des échanges avec des professeurs israéliens dans les universités de Grande-Bretagne. Concernant le fleuron national qu’est la Migros, nous pourrions nous demander: pourquoi les implantations juives de Cisjordanie et pas les produits «Made in China» dont le bilan en matière d'oppression politique et ethnique est aussi sujet à caution? Pourquoi pas l'essence vendues dans les stations Migrol qui provient de monarchies arabes (ou maintenant de régimes islamistes) dont le bilan en matière de respect des libertés civiles est pareillement discutable? Nous sommes bien en présence des ramifications, chez nous, du conflit israélo-palestinien. De fait, ce sont des lobbies et un état d'esprit général qui poussent toujours plus d'organismes européens à se positionner et rarement dans le sens d'Israël.

Antisémitisme sur les réseaux sociaux et antisionisme dans la grande presse ?

Mais revenons au rapport de la CICAD. Les nouveaux moyens de communication sont le principal souci des officines antiracistes et de celles qui luttent contre l’antisémitisme en particulier. Blogs, pages Facebook et autres forums donnent un coup de fouet à la mondialisation du conflit israélo-arabe et les avis les plus extrêmes s’y expriment sous couvert d’anonymat. Depuis plusieurs années, la CICAD demande ainsi aux rédactions et aux services concernés de mettre en place des systèmes de contrôles et de censure plus fermes pour les propos antisémites tombant sous le coup de la norme antiraciste. L’idée est ici de couper l’herbe sous les pieds de ceux qui se fanatiseraient sur les réseaux sociaux, prélude à un passage à l’acte.

Par contre, la CICAD n’est pas active sur le terrain de la télévision et de la presse généraliste, dont l’influence sur la perception (favorable ou défavorable à Israël) du conflit au Moyen-Orient est incomparablement plus importante, créant une forme de terreau (pour reprendre la métaphore de l’herbe ci-dessus). En effet, l’État hébreu gagne toutes ses guerres sur le terrain mais les perd dans les médias.

La Suisse largement épargnée

Ce dernier point amène à comparer le rapport 2012 de la CICAD avec les voisins de la Suisse. Si 2012 fut calme en Suisse, elle fut un annus horribilis en Hexagone, avec le massacre de Toulouse (l’affaire Mohamed Merah) comme paroxysme. Avec 614 actes répertoriés par la SPCJ (l’équivalent de la CICAD), le taux d’actes rapporté à la population totale n’est pas différent de la Suisse. Mais il faut relever d’emblée la nature beaucoup plus violente (et meurtrière) des actes antisémites français et la taille des forces en présence : à la fois une communauté juive importante, structurée et influente (avec un lobby comme le CRIF) et de l’autre, une communauté musulmane de cinq à six millions de Français, parmi laquelle beaucoup de jeunes radicalisés pour lesquels Mohamed Merah est un héros et un shahid, un martyr.

La France fait, en Europe, figure de bon élève quant il s’agit de réagir publiquement et de réprimer les actes antisémites. Mais sur le fond du problème, l’antisémitisme français a été qualifié de structurel – un stade où celui-ci est intégré à la fabrique de la société. Ce n’est pas en Suisse, en effet, que l’on verra demain un terroriste – un combattant ciblant délibérément des populations civiles – fait citoyen d’une commune ou une rue porter son nom (2). À noter encore que 55% des violences racistes commises en France l’an dernier le furent contre des personnes de confession juive.

Les actes antisémites en Belgique ont également progressé. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (rattaché à l’État) annonce une hausse de 30%, basé sur les plaintes déposées (62 pour l’année).

Regard sur 2013

Le recul des actes recensés en Suisse pour 2012 s’explique donc sans doute en partie parce que ce fut une année «calme» en Israël-Palestine. Mais les pronostics en début d’année passée n’étaient pas optimistes. Une attaque israélienne en solo de l’Iran était imminente à la fin de l’été 2012 par les agences de presse israéliennes et autres blogs d’intérêt. Ce sont la campagne électorale états-unienne et la réélection de Barack Obama qui ont ajourné les plans d’attaque israéliens. Ce n’est donc que partie remise. Alors que le régime iranien des mollahs aura sa bombe dans une année, d’après l’avis concordant des analystes, Israël pourrait de nouveau être mise sur la sellette s’il attaquait l’Iran, d’autant qu’une antenne iranienne – le Hezbollah – qui remplace l’État dans tout le Sud du Liban, entrerait alors en guerre.

Joël Reymond

 

(1) Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation

(2) Majdi Ihrima Al-Rimawi vient d’être fait citoyen d’honneur de la petite commune, à mairie communiste, de Bezons (Val-d’Oise). Mais surtout, Marwan Barghouti, leader opérationnel de la 2e Intifada, est citoyen d’Honneur des villes de Stains, Ivry-sur-Seine, Valenton, Gennevilliers, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, La Verrière et Vitry-sur-Seine.

 

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
34 75 67 38 92 153 104 130 87
832 389 614

 

  • Juifs en Suisse depuis le 3e siècle
  • Le frère du criminel de guerre qui a fondé la Gestapo pourrait être honoré pour avoir sauvé des Juifs pendant la Shoah. Des recherches de Yad Vashem montrent que Albert Goering, le businessman frère de l’officiel nazi Hermann Goering a sauvé des centaines de Juifs et opposants politiques pendant la seconde guerre mondiale. Des rapports de la Gestapo, des enregistrements d’interrogatoires de l’armée américaine et des témoignages de survivants indiquent que le jeune Goering risquait sa vie pour sauver des victimes du régime nazi en obtenant des permis de sortie aux Juifs et en transférant leurs actifs hors d’Allemagne. Albert Goering utilisait ses liens familiaux pour aider des Juifs. La preuve collectée par le département des Justes parmi les Nations de Yad Vashem révèle que Albert Goering a également utilisé ses liens familiaux pour aider à faire sortir des camps de concentration des prisonniers Juifs et pour empêcher la Gestapo d’enquêter sur ses activités. Apres la guerre, Albert Goering a passé deux années en prison alors que les autorités des Alliés s’occupaient de son histoire. Son frère plus âgé, qui dirigeait la force aérienne allemande pendant la guerre et était le deuxième nazi le plus haut placé, a tenté à Nuremberg, de se suicider en 1946, la nuit précédant le jour où il devait être pendu. Il a été rapporté que le jeune Goering, accablé par le nom et l’héritage tristement célèbres de sa famille, est tombé dans la dépression et dans l’alcool après la guerre. Il est mort en 1966. Son dossier Yad Vashem n’a pas encore été complété. Si une commission lui décerne la récompense de Justes parmi les Nations, il joindrait Oskar Schindler et environ 500 autres Allemands qui ont reçu cette distinction.

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.