Un débat au Club 44 de la Chaux-de-Fonds aura lieu jeudi 14 mars sur le thème « Des éoliennes dans le Canton de Neuchâtel ? ». J’ai été invité à y participer. Les libres propos qui suivent résument le message que j’ai l’intention de communiquer.
L’évolution de l’implantation d’éoliennes dans le Jura est marquée par deux périodes.
La 1ère période est plutôt libérale à caractère exploratoire, pédagogique et privilégie une concertation assez bien acceptée avec la population. La 2e période a un caractère plus volontariste et se réclame d’un idéal politique et, aussi, idéologique. La population est ébranlée par une planification qui cherche à imposer plus qu’à négocier. Tout cela débouche sur un conflit entre un idéal politique et la réalité des coûts et des nuisances à charge du citoyen. Un peu d’analyse rationnelle pourrait aider à sortir du conflit.
1. Implantation des éoliennes : deux périodes, deux démarches
La première période commence vers 1996 à l’initiative de l’entreprise bernoise BKW-FMB. Elle applique aux éoliennes du Mont Crosin une démarche inaugurée quelques années auparavant avec le solaire photo-voltaïque au Mont-Soleil. Deux ingrédients essentiels de la formule BKW-FMB : 1) le financement est basé sur des souscriptions librement consenties des clients de l’entreprise et 2) une implantation loin des agglomérations et un partenariat bien géré avec les agriculteurs propriétaires des terrains concernés. Une promotion touristique avec circuit de visite en chars à chevaux s’y ajoute avec succès. Les promoteurs ne se contentent pas d’inaugurer en fanfare chaque nouvelle éolienne, ils assurent aussi un suivi régulier et pédagogique en communiquant sur les résultats d’exploitation. Leur message principal : les éoliennes ça marche, c’est une technique fascinante, voire non dénuée d’une certaine beauté, mais 1) il ne faut pas les implanter n’importe où et n’importe comment et 2) cela ne suffira pas, même au prix d’un fort impact sur le paysage, pour remplacer la production de Mühleberg. Mont Crosin est et reste avec 16 éoliennes, une puissance totale de 23.7 MW et une production annuelle de l’ordre de 25 millions de kWh, le plus grand parc éolien de Suisse. Il en faut mille fois autant pour produire autant que le nucléaire suisse, et encore, sans compter des infrastructures de stockage, ou de remplacement pour compenser les longues heures sans vent.
La 2e période débute en 2007 avec l’adoption par la Confédération du système de subvention appelé RPC (rétribution à prix coûtant) financée par l’ensemble des consommateurs au moyen d’une taxe au kWh. Des entreprises plus éloignées, comme par ex. les Services industriels de Genève ou de Bâle se lancent dans promotion active des éoliennes. Le souci du paysage et de la concertation avec la population semble moins important que de faire passer une démarche volontariste au nom d’un idéal politique vert et antinucléaire, dopé par Fukushima et la stratégie énergétique 2050 de la Confédération. Beaucoup de projets, proche d’agglomérations sont bloqués par une population ébranlée. Certains promoteurs déclarent que « les opposants sont des enfants gâtés », les citoyens visés répliquent « qu’ils aillent planter leurs éoliennes à Plainpalais ou dans la rade de Genève ! ». Le message principal des promoteurs est que les éoliennes sont indispensables pour sortir du nucléaire et que la population doit bien accepter quelques contraintes jugées peu importantes face à cet enjeu. Aujourd’hui deux réalisations ont vu le jour dans le cadre de cette 2e période : 1) à Peuchapatte (commune de Muriaux,JU), avec 3 unités implantées par Alpiq (Lausanne et Olten), une puissance totale de 6.9 MW et une production annuelle de l’ordre de 12 millions de kWh et 2) à St Brais JU, avec 2 unités implantées par une société dite « citoyenne » du nom de ADNW, d’origine zurichoise, une puissance totale de 4 MW et une production annuelle de 7 millions de kWh. Peuchapatte est dans une région peu habitée, par contre les deux éoliennes de St Brais « dominent » le village au-dessus d’une falaise à la verticale du village. Le coup d’œil depuis le Nord-Est est saisissant : on n’aime ou on n’aime pas. St Brais a contribué à une prise de conscience de la population dans l’arc jurassien.
Le développement d’éoliennes selon la formule de la 1ère période des FMB-BKW se poursuit sans soulever trop de vague, mais sans l’illusion de remplacer le nucléaire. Le conflit est maintenant établi concernant le développement selon la formule de la 2e période : il y a d’un côté un idéal politique vert qui au nom de la sortie du nucléaire appelle la population inquiète à être plus tolérante et de l’autre côté des citoyens de plus en plus inquiets pour leur paysage et pour leur porte-monnaie. En quelque sorte on joue la peur du nucléaire contre celle des éoliennes. On joue aussi les rats des villes contre les rats des champs, et des crêtes du Jura.
2. Réflexion
Il vaudrait la peine je crois de revenir à certaines bases de connaissance, un peu écartées aujourd’hui par la politique et les médias, mieux analyser la réalité et réfléchir.
Premier exemple, la comparaison des bilans écologiques des différents modes de production de l’électricité : elle est illustrée dans le graphique en annexe. Regardez, le bilan écologique du nucléaire est aussi bon, même légèrement meilleur (impact sur le paysage oblige) que celui des éoliennes. Il y a un écart entre la perception de beaucoup et la réalité. Or la nature perçoit la réalité.
Deuxième exemple : ne vaudrait-il pas la peine, à propos de Fukushima, de reconnaître que des erreurs techniques ont été commises par l’exploitant japonais qui n’avait pas équipé ses réacteurs des protections nécessaire, protections ajoutées à grand frais dans les années 80 à Mühleberg et à Beznau, et payées par un kWh qui reste bon marché? Faut-il en somme poursuivre une démarche un peu aveugle et mal informée qui préfère faire disparaître les centrales que garantir leur sécurité? Sécurité d’ailleurs confirmée par l’Inspectorat fédéral, mais qui en parle ? Qui, depuis deux ans, a vu, lu ou entendu un spécialiste de sécurité nucléaire ? Qui peut mettre un nom ou un visage sur cette profession, qui est pourtant au cœur du problème ?
Soyez pour, soyez contre, mais soyez... informés. Le citoyen demande et apprécie l’information, il souhaite pouvoir faire son opinion librement. Mais il n’est pas très bien servi.
3. Conclusion
La politique énergétique aurait tout à gagner à additionner toutes les bonnes solutions, plutôt qu’à les jouer les unes contre les autres. Un peu d’œcuménisme énergétique vaudrait mieux que les guerres de religions.
Jean-François Dupont
Annexe
Comparaison des bilans écologiques des modes de production de l’électricité.
Source : Institut Paul Scherrer, Würenlingen
http://gabe.web.psi.ch/research/lca/lca_res.html#lcia
Fig.4
Annonce de la conférence
À Monsieur Pascal Briod,
Vous avez bien sûr raison, il faut prendre le bilan écologique complet de l’ensemble des nuisances d’une filière énergétique, depuis la mine en amont, jusqu’à la gestion des déchets en aval. Votre question est donc juste sur le principe. Mais les réponses que vous apportez correspondent aux rumeurs habituelles répandues par beaucoup de militants antinucléaires, Greenpeace par exemple. Mais, d’après mes informations, cela ne correspond pas à la réalité.
Voilà à peu près ce que qui est connu sur le sujet :
1. Il est faux de penser que les bilans écologiques, dont ceux correspondants au graphique du PSI, ne tiennent pas compte des nuisances loin de la centrale. Ces bilans écologiques sont basés sur des analyses de cycles de vie, dont c’est précisément le principe d’analyser tous les impacts de la filière en amont et en aval. Ensuite les gisements les plus importants de minerais d’Uranium ne sont pas en Afrique, mais en Australie et au Canada, qui ne sont pas des pays du 1/3 monde.
2. Cependant La France s’approvisionne beaucoup en Afrique (mine d’AREVA à Arlit au Niger). Et la Suisse achète une partie de son combustible à la France.
3. La gouvernement français a fait inspecter la mine d’Arlit par l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), le bureau technique de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire). Le rapport de l’IRSN constate que la mine d’Arlit est exploitée en conformité aux standards français et internationaux de santé du travail et de radioprotection. Je tiens le rapport à votre disposition.
4. La France n’est pas une république bananière, c’est même un pays d’un certain niveau de civilisation et de culture : ses standards de sécurité et ses contrôles sont plutôt sérieux. Mais vous allez dire pas de confiance aveugle. D’accord. Mais si vous avez des soupçons, alors saisissez la justice et demandez une nouvelle enquête par exemple. Je constate que les militants antinucléaires ne demandent jamais une amélioration des conditions de travail dans les mines d’Uranium. Ils demandent la fermeture des centrales suisses. Pourquoi ?
5. La question des nuisances « loin de la centrale » de production se pose pour toutes les filières. Je signale que dans le cas du solaire photovoltaïque, plus de 60% des panneaux sont importés de Chine. Leur fabrication demande beaucoup d’électricité, produite majoritairement à partir de charbon. Les mines de charbon chinoises n’ont pas particulièrement bonne réputation. Les statistiques parlent d’un ordre de grandeur de 10’000 victimes chaque année dans les mines de charbon chinoise (maladies et accidents). Qui en parle ?
J’aimerais rappeler une donnée de base : la fission de 1g d’U235 produit autant d’énergie que la combustion d’environ 1.5 t de pétrole. Les produits de fission (déchets radioactifs) sont soigneusement isolés de la biosphère, alors que le produit de la combustion, env. 3t de CO2 et des dizaines de kilogs de polluants (NOx, CO, PaH, etc…) sont simplement dilués dans l’air ambiant.
Le bon bilan écologique du nucléaire n’est pas un hasard.
Je soulignais que dans la promotion des éoliennes pratiquée par les FMB-BKW, cette entreprise s’est comportée de manière respectueuse à l’égard des populations locales et des sites et a communiqué de manière honnête sur les possibilités et limites des éoliennes. Je précise que cette entreprise, aux mains du Canton de Berne, possède et exploite la centrale de Mühleberg. Le nucléaire n’est pas a priori incompatible avec une attitude citoyenne.
Bonjour,
Suite à cet article, j’aimerais juste soulever un point qui n’est que trop rarement (voir jamais) abordé dans le débat sur la transition énergétique, à savoir le fait que les énergies renouvelables (et donc l’éolien) présentent des nuisances et des externalités au niveau local tandis que les énergies non-renouvelables causent des nuisances à un niveau global, c’est à dire loin de chez-nous. Autrement dit, se tourner vers les énergies renouvelables permet d’assumer les nuisances (et le coût) de l’énergie que l’on consomme, puisque celle-ci est produite proche de chez nous.
Les nuisances du nucléaire sont très limité pour les personnes qui en bénéficient: une production centralisée avec un impact faible sur le paysage, une énergie qui induit relativement peu d’émission de CO2, un prix avantageux. Mais les nuisances du nucléaire existent bel et bien et sont supportés par d’autres. Cela commence dans les pays où l’uranium est extrait, dans des conditions souvent déplorables, avec des pollutions parfois importantes et des nuisances pour les populations locales (qui par ailleurs ne profitent que très rarement des richesses de leur sous-sol). Certainement que les déchets radio-actifs seront également (dans une mesure difficile à évaluer), un fardeau pour les générations futures.
Si les opposants à l’énergie éolienne qui mettent en avant les nuisances qu’elles provoquent devaient choisir entre avoir une éolienne dans le champ voisin où une mine d’uranium, peut-être réviseraient-ils quelque peu leur position.
L’information du consommateur est cruciale, mais elle ne doit pas se limiter aux aspects de coûts et de sécurité, se limiter à leur impact local et à court-terme. Il est nécessaire de porter une regard plus global sur l’impact de chaque source d’énergie.
Au mieux, on peut compter sur 1000-1200 heures de fourniture de courant à puissance nominale avec une éolienne continentale (crête du Jura, par exemple). Le temps de production est quasiment triplé sur certaines – je dis bien: certaines – bordures maritimes ou océaniques, notamment “offshore”. Dès lors, pour d’évidentes raisons aérologiques, d’abord, de rendement ensuite, installer des éoliennes sur les crêtes du Jura tient de la stupidité et même de la stupidité crasse – euphémisme.
Vous avez raison, ce point est fondamental, merci M.Fattebert de le rappeler.
Je m’en suis expliqué dans un article précédent de ce site. Le lien est:
http://www.lesobservateurs.ch/2012/07/23/nucleaire-suisse-denigrement-et-desinformation-des-medias/
Regardez en particulier les § sous-titrés “Les enseignements de l’analyse post-Fukushima de l’IFSN” et surtout “Et finalement, que nous apprend l’analyse technique de l’IFSN?”
Une question de société essentielle reste derrière ces aspects techniques: que voulons nous, la sécurité ou la disparition du nucléaire?
Cher Monsieur Dupont,
pouvez-vous préciser de quoi vous parlez quand vous affirmez “ne vaudrait-il pas la peine, à propos de Fukushima, de reconnaître que des erreurs techniques ont été commises par l’exploitant japonais qui n’avait pas équipé ses réacteurs des protections nécessaire, protections ajoutées à grand frais dans les années 80 à Mühleberg et à Beznau”.
Il me semble que l’accident de Fukushima et imputable au tsunami qui a suivi le tremblement de terre. Une version continentale de ce scénario pourrait très bien se dérouler à Mühleberg qui est situé à moins de 2 km en aval d’une grosse retenue d’eau. Quel est donc le dispositif miracle susceptible de venir à bout des raz de marée ?