Sur le fronton des mairies, il y a une devise avec trois mots. Le troisième est un vestige affectif de l’ambiance révolutionnaire, dont on sait qu’en Vendée et ailleurs, elle a nagé dans une fraternité débordante. Les deux premiers sont, d’après Bergson, des sœurs ennemies. La Liberté est la valeur de la Droite, et l’Egalité, celle de la Gauche.
Lorsque la première dépasse les bornes au-delà desquelles il n’y a plus de limite, le Renard est libre dans le poulailler. Il faut donc limer les dents du prédateur, voire l’enfermer, voire encore le tuer pour que triomphe l’égalité des poules. Evidemment, le Renard n’est plus libre, mais le coq non plus, et les poules elles-mêmes astreintes à picorer le même nombre de grains et à pondre le même nombre d’œufs de la même taille ne le sont pas davantage. Toutefois sont plus égaux que les autres, ceux qui fixent le nombre et la taille des œufs. Lorsque leur réglementation envahit la basse-cour, alors les coqs sont tenus de se conduire en poules, comme tout le monde. Le cocorico est interdit par la loi sur la « liberté de la Bresse ». Toute préférence d’un coq pour une poule blanche plutôt que rousse est stigmatisée et sanctionnée. Désormais, l’Egalité règne et la Liberté a disparu.
L’amour immodéré des Gaulois pour les gallinacés, au pot le dimanche et la semaine aussi, réalise progressivement cette utopie volaillère. La France place paradoxalement l’Egalité au-dessus de la Liberté, mais que les faisans se rassurent. Ce n’est vrai que pour les pigeons et les dindons qui croient aux discours. La réalité est toute autre. Si le renard a disparu du poulailler, nombre de ses habitants en ont appris la ruse. Par exemple, il y deux manières d’éduquer les poussins. Les poules peuvent choisir le privé ou le public. Evidemment, celles qui choisissent le privé paient deux fois, d’abord l’école publique par leurs impôts, et ensuite l’école libre par leur participation aux frais de scolarité, mais c’est juste, parce que les poules dont les poussins fréquentent le privé sont évidemment plus grasses que les autres. Maintenant, les poules éducatrices dans le privé, qui ont passé les mêmes concours et obtenu les mêmes diplômes que celles qui enseignent dans le public, ont une retraite fondée sur les vingt-cinq meilleures années tandis que les autres l’obtiennent sur les six derniers mois. Mais c’est justice : il y a l’école des riches et celle de la République. D’une manière générale, les poules publiques ont plus d’avantages : moins de ponte, plus de grain, mais là encore, c’est normal : elles assurent le service public du poulailler. Il y a aussi les poulaillers avantagés, ceux où on ne doit pas donner des œufs à l’Etat quand on lègue le panier à ses enfants, mais la tradition et l’insularité doivent être respectées. De même, il y a ceux qui bénéficient de la discrimination positive, ceux dont les poules exotiques pondent parfois des œufs de contrebande. Il faut les aider ! Leurs poussins demandent plus de moyens afin qu’ils ne deviennent pas des coqs de barbarie. D’une manière générale, le succès dans ce monde gouverné par le principe d’égalité consiste non dans la scandaleuse inégalité du mérite, mais dans l’appartenance au bon réseau, là où dans la plus parfaite égalité, la poule plus égale que les autres vous dira où sont les grains.
Bien sûr, certains volatiles, plus ou moins réactionnaires, sont mécontents de se faire plumer en permanence. Cette attitude égoïste est odieuse et condamnable. Pourtant, ces pigeons rebelles qui vont exercer leurs talents ailleurs, sont les meilleurs de leur espèce. Ce sont les pigeons voyageurs. A tire d’aile, ils retrouvent le goût de cette liberté qui créait plus de richesse, plus de justice, moins d’hypocrisie et savait se protéger du Renard.
Christian Vanneste
La fraternité est un sentiment, un sentiment, ça ne s’impose pas.
L’égalité est une utopie, une utopie, ça n’existe pas.
La liberté, seule, est tangible, et pourrait être fondatrice d’un monde meilleur tant qu’on garde en mémoire qu’elle s’arrête là où commence celle des autres.