Faut-il livrer saint Nicolas aux Turcs?

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Un sujet en or au sortir des fêtes, un sujet qui permet surtout de reparler, sans en avoir l’air, d’une lointaine histoire de caillou à trois mois des prochaines élections valaisannes.

On y voit ecclésiastique et politique du vieux Fribourg partager la même détermination de façon presque touchante: Vous n'aurez pas saint Nicolas ! Il y a là des milliers d'heures de la plus tendre enfance passées à apprendre les quelques mesures de Du grand saint Nicolas au fifre dans la cour du collège saint-Michel; on ne plaisante pas avec cela.

Voir le chanoine Claude Ducarroz, qui ne veut plus de la tradition de l'Eglise quand elle est doctrinale, promettre l' « objection de conscience » et la « résistance » quand elle est folklorique, il y a là un brin de démagogie qui définit à lui seul tout le personnage.

De la démagogie, la Turquie n'en est pas avare, qui a beau jeu de se présenter en victime du colonialisme archéologique en réclamant tout et n'importe quoi au reste du monde. Que l'on se rende à Ephèse pour voir ce qu'il reste de la basilique saint Jean, sans les Allemands, les Français, les Anglais, les Belges il n'y aurait plus rien de ce fantastique patrimoine "turc" et chaque pierre aurait servi aux gravières. Les trésors ramenés dans les musées européens ont avant tout été sauvés de la récurrente entreprise de démantèlement de ces dix derniers siècles sous domination turque.

Le journaliste Jean Steinauer tombe grossièrement dans le panneau, qui parle de la «restitution de quelque chose qui a été volé ». Que les choses soient bien claires, si quelque chose a été "volé" c'est bien l'Asie Mineure aux Byzantins. Si les reliques de saint Nicolas étaient tombées entre les mains des Ottomans, celles-ci auraient été profanées et détruites; or elles ont été sauvées. En outre, les Turcs ne sauraient revendiquer aucun droit objectif sur la dépouille mortelle, qui n'est pas un bien culturel, d'un homme ayant vécu plus de huit cents ans avant leur arrivée.

Enfin, le prétexte de l'ouverture d'un musée de la civilisation lycienne est fallacieux, la seule grande époque de cette culture est antique, avec ces magnifiques tombeaux à fleur d'eau ou à flanc de montagne. La période paléochrétienne est dans un triste état, restauration et fouilles de l'église Saint-Nicolas de Demre (Myre) sont mal tenues (c'était du moins le cas il y a six ou sept ans) mais voient défiler des milliers de touristes en raison d'une relative proximité avec les destinations balnéaires de la région d'Antalya, des multiples panneaux géants annonçant la vraie maison du père Noël et des guignols déguisés en saint Nicoca-cola par 40 degrés pour vendre photos et souvenirs. Que feraient-ils des reliques, on se le demande. La période turque de la Lycie, dès le XIIe siècle, est avant tout celle de la persécution des populations chrétiennes, persécution qui durera jusqu'en 1923, date du fameux Traité de Lausanne et de la vidange forcée des derniers chrétiens de Turquie en partance pour la Grèce. C'est pourquoi on ne trouve pratiquement plus de chrétiens en Turquie aujourd'hui.

En 1923, la région presque exclusivement chrétienne orthodoxe de la Cappadoce était, elle aussi, vidée de ses habitants. Depuis 90 ans, les autorités turques laissent à l'abandon les fresques des monastère troglodytes, patrimoine mondiale de l'UNESCO, pas la moindre protection. Ces trésors uniques, préservés et chéris par les chrétiens, sont livrés aujourd'hui à la bêtise et au fanatisme de certains qui, à l'heure même où nous vous parlons, viennent "gratter" les yeux des saints. De nombreux graffitis portent des dates récentes. La surveillance est nulle, trouvez la clef, on vous laisse libre de faire ce que vous voulez. Rendons-leur ce qu'ils veulent, il n'en restera rien dans quelques années, d'autant plus que la mode du temps est au mépris de tout ce qui n'est pas musulman. Sainte Sophie, un musée jusque-là, pourrait redevenir une mosquée. Que veulent-ils bien faire de saint Nicolas ?

Mais les craintes et le doute, qui semblent habiter un prévôt du chapitre appelant à la désobéissance canonique, trouvent un fondement justifié dans l'aplaventrisme diplomatique romain, qui, depuis Paul VI, cède à toutes les réquisitions, même, et surtout, quand elle sont farfelues.

Un exemple entre mille, la restitution, en 1965, par Paul VI des étendards arrachés aux Turcs par les vainqueurs de Lépante, et jusqu'à la bannière personnelle du sultan Ali Pacha, qui tapissaient encore les murs de nos églises en action de grâce. Les Turcs n'ont rien rendu, la dextre de saint Jean-Baptiste, dérobée aux chevaliers de Rhodes, est toujours dans une vitrine à Topkapι. La restitution promise par Recep Tayyip Erdoğan des biens des communautés « non-musulmanes », confisqués arbitrairement en 1974, traîne désespérément en longueur, et ne parlons pas de Chypre-Nord.

Ces gesticulations sur fond de prétention culturelle semblent avoir essentiellement pour but de signifier l'allégeance fantasmée d'un Occident - toujours vu comme chrétien par la génération montante d'un islam avide de reconquête symbolique - une psychologie de la revanche censée résorber un immense et ineffaçable complexe d'infériorité.
L'on se souvient tous de l'opération de communication dite du "Discours de Ratisbonne", des cris d'orfraie des Turcomans devant le rappel d'une malheureuse ligne de citation d'un empereur byzantin du XIVe siècle (« Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau... »). Benoît XVI était parti à Canossa, déchaussé, tête basse devant le mihrab de la mosquée bleue. Pour tout salaire, le Saint-Père avait reçu un médaillon où figurait le bismillah, l'invocation du nom de leur dieu, leur profession de foi, il avait offert en retour une représentation de colombes, « c’est un signe ! » avait expliqué le mufti. En effet, le signe que nous ne parlons plus le même langage, que même lorsque ces deux mondes se faisaient la guerre, l'entente de principe était sans doute plus certaine, et que devant cet oubli, cette capitulation, certains ont décidé d'en profiter pour obtenir ces deux dernières choses que leurs ancêtres n'avaient pas su arracher aux nôtres: le souvenir de notre fierté et ce qui en était la cause, notre foi.

Un commentaire

  1. Posté par Livia Varju le

    Excellent article! La Turquie a agi comme les autres pays musulmans, et ca continue. Les chretiens sont persecutes, discrimines dans tous les pays musulmans et encourages a partir. On voit cela dans les rapports bouleversants de Barnabas Fund, Portes ouvertes, Open Doors, et dans les media en generale.
    Non, St. Nicolas ne doit pas etre livre aux Turcs. Par contre, on devrait remettre sa fete, ensemble avec son alter ego le Pere Noel, au 6 decembre car le Pere Noel, avec ses cadeaux materiels, distrait de la celebration de la naissance de Jesus Christ avec ses cadeaux spirituels.
    Livia Varju

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