Ignazio Cassis: « Les médecins doivent accepter la concurrence »

La proposition de la gauche de reprendre le moratoire à l’ouverture des cabinets médicaux fâche le PLR, selon lequel on empêche les jeunes médecins d’arriver. Droit dans ses bottes, le Conseiller national PLR tessinois Ignazio Cassis répond aux questions des Observateurs et expose sa vision radicale-libérale totalement décomplexée. Interview.

LesObservateurs: - Dans son dernier communiqué, le PLR s'en prend vivement à la gauche, qu'il accuse de faiblesse, et lui reproche de ne pas avoir examiné ses propositions. Mais les propositions de vente aux enchères de l’attribution des cabinets médicaux ou de prolongation de stage pratique ne risquaient-elles pas de favoriser les candidats plus aisés et d'atteindre à la liberté économique ?

Ignazio Cassis: Le PLR reproche au CF d’avoir agi de manière hâtive, sous la pression de quelques cantons qui a nourri les médias d’angoisse à cause de l’augmentation importante du nombre d’autorisations de pratique délivrées aux médecins (suisses comme étrangers).

Cette augmentation était largement prévue, après 9 ans de moratoire: ce n’était donc pas une surprise ! Mais encore faut-il voir combien de ces médecins ouvriront effectivement un cabinet et – surtout – quel en sera l’impact financier pour les primes de caisses maladie. Pour l’instant, personne ne le sait ! Le PLR estime qu’il aurait fallu avoir une réelle analyse du problème avant de se précipiter à remettre en vigueur une mesure fortement discriminatoire pour nos jeunes médecins. Il aurait été suffisant de laisser se conclure l’année 2012 et mesurer l’impact financier !

En même temps, s’il y avait véritablement une telle augmentation des coûts, il faudrait bien se poser la question suivante: n’a-t-on pas dit que les patients ne vont pas inutilement chez le médecin ? Ou que les médecins ne traitent pas inutilement les patients ? Comme la Suisse n’est pas frappée d’épidémie, on ne devrait pas s’attendre une augmentation massive des coûts ! Si cependant cela arrive, il devient impératif de se poser des questions profondes sur le fonctionnement de ce « marché ». Et, avant de prendre des décisions dans l’urgence, il faudrait bien se pencher sur les solutions alternatives, telles que suggérées pas mes postulats 12.3681 et 12.3783. Toute action qui limite la liberté économique est, par principe, contraire à la Constitution et le moratoire est en plus néfaste envers les jeunes médecins.

Le premier postulat demande un stage obligatoire de trois ans dans un hôpital suisse. Il ne s’agit pas d’une prolongation de stage pratique, puisque tous les médecins suisses passent au moins trois ans à l’hôpital: on exigerait aussi la même qualité pour les médecins de l’UE. Le deuxième porte sur un modèle innovant, qui ne pénalise pas les jeunes, mais traite tous les médecins de la même manière: on définit une densité médicale et on ouvre un concours pour obtenir une autorisation de pratiquer. Pour les lieux avec peu de médecins, on offre une rémunération plus attractive: de cette manière le problème de pénurie des médecins trouve une solution (voir aussi ici). Il faut avoir le courage de nouvelles idées pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs du passé !

- D'aucuns vont même jusqu'à soupçonner le PLR de vouloir inféoder les médecins aux caisses maladie, que leur répondez-vous ?

Qu’ils ne connaissent pas la politique de santé du PLR. Les libéraux-radicaux !

- Les mesures moratoires, commencées sous Ruth Dreifuss, avait aussi pour but de freiner l'arrivée de médecins étrangers. Le fond du problème n'est-il pas, tout simplement, du ressort d'une saine gestion des flux migratoires ?

Les flux migratoires dans les professions de la santé sont très faibles: la peur (légitime) qu’on avait en 2002 s’est montrée infondée. La libre circulation des professionnels de la santé au sein de l’UE est très faible par rapport aux autres métiers. La majorité des étrangers qui travaillent en Suisse aujourd’hui (médecins, infirmiers, etc.) ont été recherchés activement pas la Suisse, à cause du manque de personnel chez nous.

- Dans une optique libérale, pourquoi ne pas libérer l'accès aux cabinets et laisser jouer la concurrence ? Le PLR craint-il une situation de dumping intérieur ?

C'est bien ce que veut le PLR… et il n’a pas peur de ce qu’il veut ! La motion 12.3638 du prof. Gutzwiller allait dans ce sens.

Pour que la concurrence joue, il faut avoir une attitude entrepreneuriale: il faut être innovateur, efficace et efficient. Ceux qui le sont ont du succès, les autres disparaissent. Accepter la concurrence signifie accepter qu’il y ait des gagneurs et des perdants. Ceci fait peur aux médecins, qui ne veulent pas de concurrence, et ils le disent à leurs patients. Et comme les patients ont confiance en leurs médecins, il refusent tout ce que les médecins refusent. Les partis politiques ont bien peu de poids dans ce jeu.

- Un système de préférence nationale est-il envisageable ? On en parle au niveau estudiantin, pourquoi ne pas le prolonger au niveau professionnel ?

Je ne connais pas ce modèle.

- Vous semblez regretter un accroissement de la compétence des cantons, que vous accusez d'avoir « cédé sous la pression de la politique régionale et syndicale », pour quelles raisons ?

Parce que les cantons ne payent pas un seul franc pour la médecine ambulatoire ! Et, dans la vie, il y a une règle de base: ceux qui payent commandent, et ceux qui commandent payent; c’est la seule possibilité de responsabiliser quelqu’un. Pouvez-vous vous imaginer de vouloir commander chez vous, mais de faire payer vos choix à d’autres ?

- Quelles vont être, à court terme, les conséquence de ce nouveau gel des admissions ?

La première conséquence immédiate sera l’exact contraire de ce que l’on veut: il y aura une hausse formidable des demandes d’autorisation d’ouverture de cabinets, qui vont rendre totalement inutile le moratoire dans les premiers trois ans. Ce sera la photocopie de 2002: voilà pourquoi j’ai intitulé mes postulats « ne pas répéter les erreurs commises par le passé ».

Une deuxième conséquence grave sera la démotivation des jeunes médecins suisses bien formés et prêts pour s’installer en ville, auxquels on dira STOP ! Et en même temps on laissera travailler à la charge des caisses maladie tous les médecins âgés de plus de 65 ans: on assistera donc à un important conflit générationnel. Troisièmement, on assistera – sans la relève– au vieillissement général de la démographie médicale: le problème de la pénurie sera encore plus aigu.

- Le PLR a-t-il l'intention d'intervenir au Parlement à ce sujet ?

Bien sûr ! Comme cette loi passera dans les commissions de la sécurité sociale et de la santé du national et des Etats, on ne manquera pas d’y amener notre vision libérale ! C’est ce que nous devons à nos électeurs !

Un commentaire

  1. Posté par Nicolas Kirchner le

    Je n’ai pas tout à fait compris le système d’enchères, mais un jeune médecin qui souhaite s’installer comprend facilement autre chose; le TARMED est différent d’un canton à l’autre, voir même à l’intérieure d’une même région. Par exemple le Chablais : deux cantons pour une région; il faut être stupide pour s’installer dans le chablais valaisan où le TARMED est plus bas que de l’autre côté du Rhône, et d’ailleurs la densité médicale est logiquement plus faible (très faible) à Monthey. Pour favoriser l’installation des médecins dans les régions où menace la pénurie il faudrait proposer un TARMED plus élevé; ainsi les jeunes médecins auront moins de réticences pour s’installer dans des vallées moins attractives. Mais bon, actuellement il est tellement plus intelligent de s’installer en ville dans un canton cher que tant que le système ne change pas. Les autorités locales ne peuvent rien changer à ça car le TARMED est décidé à un autre niveau. Le problème aussi c’est que le TARMED est payé d’abord par le patient, et pourquoi un patient d’une vallée reculée devrait payer plus qu’en ville ? Il faut donc un autre instrument : par exemple une prime à l’installation ? Ou bien un mode de payement différent pour les gardes qui sont nettement plus pénibles en périphérie par rapport à la ville.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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