Alors que publiquement, la plupart des Etats et des individus affichent clairement leur soutien au principe du limitation des armements, et que nul n’ose remettre en cause le principe du désarmement, l’échec de la conférence de New York, pour la création d’un Traité de limitation des exportations d’armes légères, nous interroge. Est-ce une nouvelle fois l’opposition entre le cœur et la raison ? Ou ce projet souffre-t-il d’autres lacunes et contradictions ?
Le marché des armements conventionnels représente 60 à 70 milliards de dollars par année, soit la moitié des crédits publics globaux de développement. Les armes légères représentent un dixième de ce chiffre d’affaires. On estime que cette activité intéresse principalement un millier d’entreprises dans 100 pays.
Les liens entre armements et conflits armés, violations des droits de l’Homme, mauvaise gouvernance et pauvreté sont évidents et ont été maintes fois démontrés. Bien qu’en réalité, les achats d’armes sont plus souvent le fruit de ceux-ci que leur cause première.
De nombreuses associations humanitaires et internationales critiquent l’absence de législation internationale dans le domaine des ventes d’armes. Certains Etats européens, mais aussi africains et latino-américains, les ont rejoints. On peut en effet s’interroger qu’un domaine si important soit si mal réglementé.
Elaboration d’un Traité
Aux origines du Traité se trouve la Conférence des Nations Unies sur le commerce illicite des armes légères, tenue à New York du 9 au 20 juillet 2001. Le résultat a été la constatation d’un manque de connaissances ou de données dans ce domaine et la nécessité d’encourager la recherche scientifique pour y remédier. Ainsi se sont développés le programme d’Annuaire sur les armes légères (Small Arms Survey) de l’IUHEID et le programme de recherche de la Federation of American Scientists (FAS). Citons également ici le développement à Genève des trois centres : GCSP, DCAF et CIDHG1.
Ces travaux ont démontré, d’une part, que le commerce avait été jusque ici généralement sous-estimé. D’autre part, que le commerce des armes légères avait des conséquences et des ramifications très importantes dans l’organisation sociale et économique des pays concernés.
Le principe de la négociation d’un Traité sur la limitation des ventes d’armes a été acquis lors de la Conférence de révision à New York, entre le 26 juin et le 7 juillet 2006. Chaque Etat devait faire connaître sa position et seuls 100 l’ont fait en 2007.
L’Assemblée générale des Nations Unies a alors fixé les échéances pour des réunions bisannuelles des parties en 2003, 2005, 2008 et 2010. En 2008 a été adopté un document fixant les trois priorités suivantes : assistance internationale, coopération et renforcement des capacités, enfin la gestion des stocks, la liquidation et le commerce illicite des armes légères. La réunion de 2010 a approuvé par consensus la préparation d’un accord sur le commerce illicite transfrontalier, avec un délai fixé à 2012.
Les parties se sont réunies à New York du 2 au 27 juillet 2012. Le projet a finalement capoté, faute d’un accord sur les points essentiels.
La proposition de Traité comprend quatre points essentiels. Tout d’abord, l’obligation pour les Etats de disposer d’une législation nationale en matière d’exportations d’armements. Deuxièmement, l’obligation d’effectuer une évaluation des risques –et de les assumer- dans le cas où ces armes seraient utilisées ou revendues illégalement, ou dans le cas où celles-ci seraient utilisées dans le cadre de violations des droits humains ou du droit des gens en temps de guerre, voire de génocide. Le contrôle des ventes et des transferts d’armement impliquerait un contrôle des intermédiaires, en particulier des agents. Enfin, il est question de l’établissement d’une banque de données mondiale sur les ventes d’armes.
Afin d’accommoder le Gouvernement américain, de nombreuses questions ont été laissées de côté, notamment l’inclusion des munitions dans les pourparlers. On a aussi dû accepter de ne pas remettre en cause les accords de défense déjà en vigueur, à l’instar des programmes d’assistance militaire (MAP) américains à destination d’Israël ou de Taïwan. Le projet régulant les transactions commerciales n’a, par ailleurs, pas de validité en cas de don ou de cadeau. Lors des trois derniers jours de négociations, les proposants ont cédé sur tous ces points, dans le but d’arracher un accord, mais au prix de faire du texte une coquille vide. Quelles sont donc les causes de cet échec ?
Confusions
La question du « désarmement » recouvre nombre de questions diverses. Et la confusion, tantôt fruit de l’ignorance, tantôt savamment orchestrée par certains partis intéressés, nuit gravement au processus de limitation des armements et, en fin de compte, à la paix.
La confusion existe tout d’abord au sujet des réglementations et des politiques entre l’échelon international et l’échelon national. Or s’il est vrai qu’il n’existe pas de conventions internationales au sens strict, en réalité la plupart des pays disposent d’un monopole, au moins du contrôle, de la production et du commerce des armes sur leur territoire – y compris du transit et de l’exportation. Cette confusion est notamment entretenue par les groupes les plus conservateurs aux USA –à la suite de la National Rifle Association (NRA)- pour qui une réglementation internationale mettrait en péril le fédéralisme et le laisser-faire dont bénéficient les propriétaires d’armes dans la plupart des Etats américains. Il est fondamental de clairement séparer la question de la possession des armes au plan national (« gun control ») et celle de l’exportation internationale d’armements (« arms control »).
S’il est bien question de contrôler davantage les intermédiaires et les agents, il faut savoir que depuis une décennie la majorité des contrats sont réalisés au travers d’intermédiaires, souvent privés, liés ou non avec les services de renseignement ou diplomatiques. La plupart des « armes illicites » passent parfois, ainsi, de mains en mains selon des schémas complexes. Plusieurs Etats sont d’ailleurs passés maîtres dans l’achat et la revente d’armes passant par des tiers, afin de brouiller les pistes et éviter que l’on ne puisse remonter la filière à l’origine du soutien de forces ou de groupes armés.
On peut ainsi s’étonner du paradoxe de vouloir contrôler les ventes d’armes… illicites. La plupart des armes sont déjà sous le contrôle de la réglementation des Etats. Un traité obligeant chaque Etat signataire à disposer d’une réglementation nationale et d’assumer la responsabilité de celle-ci n’apporte donc guère de nouveauté. Et un tel document ne permet pas d’améliorer la situation du trafic illégal, dans lequel sont impliqués des Etats « voyous ». Un Traité efficace nécessiterait une harmonisation des législations, une instance internationale et des mesures de rétorsions. Or rien de cela n’a pu être inclus dans la proposition de Traité.
La troisième confusion est celle du sujet. Car si le titre est générique –UN Arms Treaty (ATT)-, il existe en réalité plusieurs types d’armements très différents : stratégiques, conventionnels et armes légères. Et cette distinction est importante, dans la mesure où différents régimes juridiques et différents formats de négociations s’appliquent.
Les négociations sur la limitation et la réduction des armements stratégiques, les armes de destruction massive, ont jusque ici été principalement des accords bilatéraux entre les USA et l’URSS – aujourd’hui la Russie. Ces discussions ont produit de réels succès durant les années 1970-1990 : les accords SALT puis START.
Mais la situation est fort différentes pour les négociations multilatérales, visant la limitation des armements conventionnels –cuirassés, chars de combat, avions, pièces d’artillerie- dont les accords sur les Forces conventionnelles en Europe (CFE) ont marqué l’échec à la fin des années 1970. Le régime actuel est basé sur la transparence est un certain nombre d’accords non contraignants, notamment le document de Vienne de 1999 qui constitue désormais l’activité principale de l’Organisation pour le sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
La question des armes légères, quant à elle, est apparue plus récemment et a donné lieu, après une décennie de recherches, à des initiatives de la société civile, à l’exemple du Traité d’Ottawa (1997) sur les mines anti personnelles, ou de la Convention de Dublin (CCM, 2008) sur les projectiles à sous-munitions. Cette question a désormais éclipsé les deux autres avec la fin de la confrontation Est-Ouest, la multiplication des conflits intra-étatiques et la prolifération des groupes armés, sans parler des insurrections et des menaces terroristes.
Espoirs déçus
L’échec de l’élaboration de ce Traité était prévisible. Les confusions évoquées ci-dessus en sont le symptôme. Les causes sont à rechercher dans le processus complexe du consensus, qui confie à chacun des 193 Etats-membres de l’ONU une capacité de veto. Or on comprend que la plupart des Etats d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, sans parler des pays émergents en Asie, soient opposés à des mécanismes qui, un jour, pourraient limiter leur accès ou les débouchés de leurs entreprises, sans parler d’un atout de taille en matière de politique étrangère : une alliance ou une coopération forgée autour des accords de défense et des transferts de technologies.
On peut citer aussi le contexte politique, défavorable au moment où de nombreux Etats souhaitent armer la rébellion syrienne. Et il y a bien sûr le contexte de l’élection américaine – où les questions de politique nationale sont sensiblement plus porteuses que les questions internationales. L’auréole du Prix Nobel de 2009 pâlit encore un peu plus. Mais on peut imaginer le Président-candidat annoncer des mesures plus strictes sur les exportations d’armes et ménager ainsi la chèvre et le chou de son électorat.
Cet échec et cette déception méritent cependant d’être nuancés. Car au fond, un Traité sans substance ne peut que mécontenter tout le monde – les Etats vertueux continuant à critiquer les Etats peu scrupuleux, les initiateurs critiquant les signataires, les guérillas et les alliés continuant d’être armés, l’opinion étant entretenue dans la confusion…
Or peut-être est-il judicieux de rappeler que le monde n’est pas sans réglementation sur les armements. Et peut-être gagnerait-on à renforcer et à appliquer le droit existant. En particulier :
La Charte des Nations Unies, qui confère au Conseil de Sécurité de larges pouvoirs en matière de résolution des conflits, de sanctions et d’embargo, d’interposition, voire de légitimation de l’usage de la force. La seule limitation est ici la majorité du Conseil de Sécurité (15 membres) et l’absence de véto des membres permanents (P5). On sait ce qu’il en est actuellement dans le cas de la Syrie ; mais lorsque le Conseil est parvenu à se mettre d’accord, le résultat a généralement été couronné de succès. Ce système a notamment permis de réduire sensiblement le nombre des conflits interétatiques, généralement plus destructeurs que les conflits internes.
Enfin, surtout, le droit international humanitaire (DIH), c’est-à-dire les Conventions de Genève, édictent les principes fondamentaux pour la limitation des effets des conflits armés : la distinction entre combattants et non combattants, la nécessité motivée par un besoin et un objectif militaire, la proportionnalité entre les moyens et les objectifs.
Peut-être faut-il donc revenir aux fondamentaux et se concentrer sur la limitation de l’usage des armes et des effets de la guerre, sur lesquels il existe aujourd’hui un large consensus. On notera toutefois l’absence de ratification du Protocole additionnel II de 1977 par les USA, la Turquie, Israël, l’Iran, le Pakistan et l’Irak. Peut-être faut-il arrêter d’oublier les Conventions de Genève ou d’essayer de les contourner pour des motifs de visibilité médiatique ou d’agendas politiques. Peut-être faut-il que Genève redevienne la capitale internationale de la Paix et du désarmement.
Pour en savoir plus :
Associated Press, « Draft arms trade treaty raising hopes, » 27.07.2012. http://www.thereporter.com/news/ci_21171699/draft -arms-treaty-raising-hopes
Coralie Tripier, « Arms Trade Treaty Called a ‘Leaky Bucket’, Inter Press Service, 26.07.2012. http://ipsnews.net/2012/07/
UNODA, « Arms Trade Treaty, » United Nations Office for Disarmament Affairs. http://www.un.org/disarmament/convarms/ArmsTradeTreaty/
Alexandre Vautravers, Erika Josephson (Eds.), Disarmament and Arms Limitation, Proceedings of the Security Forum 2010, Webster University Press, Geneva, 2011.
(1) Centre genevois de politique de sécurité (GCSP), Centre pour le contrôle démocratique des forces armées (DCAF) et Centre international pour le déminage humanitaire – Genève (CIDHG), tous trois fondés entre 1995 et 1998.
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