Hantés par les Fantômes du XXe siècle…

Alexandre Vautravers
Alexandre Vautravers
Professeur de Relations internationales Rédacteur en chef de la Revue militaire suisse
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Si tant est qu’il soit possible de créer des Etats ethniquement « purs, » ceux-ci sont historiquement instables et en proie aux conflits armés avec leurs voisins.

 

Un seul événement, un incident, peut susciter un grand émoi ou une grande réflexion – le premier excluant généralement le second. Il est certes juste de s’émouvoir sur les 17'000 morts provoqués par l’insurrection (1) puis la guerre civile (2) en Syrie. Mais réfléchissons un moment à une nouvelle escalade -l’internationalisation du conflit (3)- et à ses conséquences.[1]

 

Le 25 juin dernier, un RF-4E Phantom II de reconnaissance photographique turc est abattu après avoir vraisemblablement pénétré l’espace aérien syrien. Le missile qui l’a touché est un S-300 de fabrication russe, un système sol-air très performant en service dans 16 pays, ayant une portée de 120 à200 km selon les versions.

L’appareil turc, non armé, provient d’un lot d’appareils cédés parla Luftwaffeau moment de la réunification allemande et des « dividendes dela Paix » en Europe. Le F-4 volait en patrouille et en étroite collaboration avec un CN-235 de surveillance électromagnétique (SIGINT). La mission des appareils était le renseignement, au-dessus de Chypre (la Gardenationale chypriote y effectuait ce jour-là une manœuvre DIMITRA) comme dela Syrie.

Quelles conséquences tirer de cet incident ?

Premièrement, cet incident démontre que la souveraineté aérienne n’est pas qu’une question d’achat ou de performances d’avions. Il faut encore que ceux-ci s’intègrent dans un réseau de capteurs, d’infrastructures et d’effecteurs complexes, depuis l’abri souterrain jusqu’au satellite en orbite. Afin de réduire les capacités des défenses adverses et d’augmenter ses propres chances de succès, le renseignement et la guerre électronique sont désormais essentiels.

Or la surveillance et la guerre électronique ne nécessitent aucune déclaration de guerre ; pas même une parole belliqueuse. La surveillance et la sécurité sont une affaire de souveraineté et de responsabilité.

Il faut noter à ce sujet qu’en Occident, la souveraineté nationale a été érodée depuis un demi-siècle par de nombreux facteurs, allant du remords postfasciste au primat de l’économie globalisée, de l’internationalisme social et migratoire aux critiques acides de pans de la société civile post-moderne. En revanche, à l’exception notoire de l’Afrique, le reste du monde vit encore, parfois découvre et souvent met tout en œuvre pour gagner et renforcer sa souveraineté nationale.

Alors qu’il y a un siècle, l’influence se traduisait par le produit de la puissance et de la proximité, aujourd’hui l’économie, la culture ou l’ethnicité ont pris le relais, souvent à travers des minorités ou des diasporas que l’on encourage, réprime, martyrise ou que l’on instrumentalise.

La remise en cause des frontières au Proche et au Moyen Orient est largement le résultat de la lutte entre les grandes puissances occidentales durant la première moitié du XXe siècle : la plupart des pays de l’Est, des Balkans comme du Proche et du Moyen Orient sont le fruit du découpage des Empires centraux -Allemagne, Autriche-Hongrie et Empire Ottoman- à Versailles en 1919. La « liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, » pour autant qu’elle mérite son nom, continue à exacerber les querelles communautaires, civiles et régionales.

Le poids des populations et des communautés évolue. On peut alors se demander si le modèle de l’intégration helvétique, autour d’une défense commune puis autour d’intérêts politiques et économiques communs, n’est pas garant d’une meilleure stabilité à long terme - malgré les différences de culture, de langue, d’organisation sociale ou encore de religion et de mentalités. S

Si tant est qu’il soit possible de créer des Etats ethniquement « purs, » ceux-ci sont historiquement instables et en proie aux conflits armés avec leurs voisins.

Ainsi, le Moyen Orient est prisonnier de son héritage colonial, des rivalités des nouveaux Etats postcoloniaux et, désormais, des puissances émergentes et de leurs stratégies d’influences – qu’il s’agisse de conflits géopolitiques ou de querelles au sein ou au sujet du Conseil de sécurité de l’ONU.

La gestion des crises et des conflits ne va pas en se simplifiant. Les coûts augmentent eux-aussi. Aujourd’hui, rares sont les Etats qui peuvent se payer une défense autonome. La plupart sont contraints à « mutualiser » leurs ressources au sein d’alliances bilatérales (Syrie-Iran), régionales (ASEAN) ou supranationales (OTAN).

Le premier contact de l’OTAN avec le missile S-300 s’est fait, paradoxalement, en 2005 lors de manœuvres communes entre Français, Allemands et Slovaques.[2] La coopération en matière de renseignement et de sécurité est devenue aujourd’hui une absolue nécessité, voire la norme - même si les collaborations peuvent être à géométrie variable et, parfois, à sens unique.

La prolifération d’armements sophistiqués comme le S-300 est également la source d’une course à l’armement dans l’ensemble du Moyen Orient. Ceci justifie l’achat de chasseurs-bombardiers furtifs F-35 par Israël.[3] Notons au passage que le débat sur le développement d’armes atomiques par l’Iran –ou d’autres- ne peut, au final, que renforcer la course aux vecteurs conventionnels –avions, fusées, sous-marins- et à leurs contre-mesures : défense sol-air, sous-marins, missiles, etc.

Si le XXIe siècle ne ressemble pas furieusement au XXe, ses fantômes sont toujours bien présents.

 

Illustration :

S-300 russe, exporté en Syrie, commandé mais non fourni à l’Iran. La prolifération d’armes conventionnelles est aussi sérieuse que celle d’armements nucléaires.



[1] Alexandre Vautravers, Nicholas Burtscher (Eds.), Military and Political Incidents, Proceedings of the Security Forum 2009, Webster University Press, Geneva, 2010.

[2] Miroslav Gyürösi, « NATO Aircraft will ‘hunt’ Russian Missile Systems during Defence-suppression exercise, » Jane’s Information Group, 11.03.2005. http://wayback.archive.org/web/jsp/Interstitial.jsp?seconds=5&date=1181438897000&url=http%3A%2F%2Fwww.janes.com%2Fpress%2Farticles%2Fpc050317_1.shtml&target=http%3A%2F%2Fweb.archive.org%2Fweb%2F20070610012817%2Fhttp%3A%2F%2Fwww.janes.com%2Fpress%2Farticles%2Fpc050317_1.shtml

[3] RIA Novosti, « Israel orders U.S. stealth planes to counter Iran, Syria threat, » En.rian.ru : http://en.rian.ru/mlitary_news/20090710/155491203.html

2 commentaires

  1. Posté par Eugene James le

    Je suis tout à fait d’accord avec le Dr. Vautravers. Sa réflexion me fait également penser au fait qu’il y a un manque par rapport à une réforme de la gouvernance mondiale que ce soit par rapport au système économique ou bien de la sécurité. Les manoeuvres qui sont décrites font écho au mode d’action de l’école de pensée “réaliste” qui voit le monde livré à l’anarchie où seul les intérêts nationaux comptent et doivent être défendus. Par contre vu sous un autre angle, d’un point de vue de l’école dite “idéaliste”, on se tourne plutôt vers une volonté de coopération ce qui implique mettre en place un code de conduite et le respects des normes. Je pense que malheureusement les acteurs qui dirigent les institutions tel que les Nations Unies n’inspirent guère la confiance ou l’authorité. Ce qui amène le résultat actuel…
    Eugene James

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