Encore un cas de nourrisson retrouvé mort dans une poubelle du canton de Berne. Le pays le plus riche du monde semble impuissant à venir en aide aux mères en détresse.
La situation est on ne peut plus classique, une femme originaire de Wimmis dans le canton de Berne a accouché seule, sans aide, en octobre dernier, avant de jeter son enfant dans une benne à ordures. En 2010, une affaire semblable, à Morges, où l'enfant avait survécu in extremis, avait défrayé la chronique.
Appréhendé au mois de juin, la jeune femme vient à peine de sortir de détention provisoire. Le code pénal se veut pourtant clément dans ce genre de situation, qui reconnaît un état de trouble particulier des mères jusqu'à un an après l'accouchement appelé état puerpéral. Ce genre de geste représente certainement le degré ultime de la détresse de certains parents face à l'accueil de l'enfant à naître. Alors que les pays voisins regorgent de solutions en tout genre, la Suisse semble très clairement avoir manqué le coche de la prévention.
Quelles solutions ?
- Tout d'abord l'accouchement sous X, de tradition dans des pays comme la France, l'Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, la Tchéquie et Malte, permet aux femmes d'accoucher dans l'anonymat le plus total. Cette solution est en butte aux demandes croissantes d'enfants accouchés sous X de connaître leurs origines, une disposition inscrite dans la Convention internationale des droits de l'enfant.
La confrontation de ces deux droits, droit à l'anonymat et droit de connaître ses origines, représente une menace sérieuse sur une procédure qui a permis jusqu'ici à de nombreux enfants de naître et d'être confiés à l'adoption.
- Certains pays connaissent encore différents régimes d'adoption, notamment à titre provisoire. Des familles peuvent assister les mères célibataires, voire même recevoir chez elles mère et enfant le temps que la situation s'améliore. Reste encore à alléger les procédures et à permettre aux familles d'adopter des nourrissons.
- Les fenêtres à bébé, solution d'extrême urgence qui tend à organiser l'abandon dans des situations de confort médical propres à garantir la survie de l'enfant et à éviter, par conséquent, aux parents des poursuites pour infanticide. Après une semaine ou deux sous surveillance, l'enfant est dirigé vers une famille d'accueil. Les parents disposent d'un délai de plusieurs semaines à plusieurs mois pour se manifester et récupérer leur enfant.
Retard helvétique
En constante évolution, la situation de l'adoption en Suisse est difficile à déterminer. Nombre de facteurs dépendent des cantons, voire des us et coutumes des services concernés. De réputation, ces dernières décennies, la Suisse semble avoir favorisé l'adoption d'orphelins dès trois ans en provenance de pays du Tiers-monde au détriment de nouveaux-nés autochtones. Ce problème précis demande une enquête détaillée que nous n'avons pas faite. Reste que l'impossibilité de l'anonymat est le principal obstacle que rencontre toute femme qui consentirait à laisser son enfant à l'adoption.
L'accouchement sous X est encore interdit en Suisse. Le débat fut entamé à l'heure où, en France, Ségolène Royal, appelait à le démanteler au bénéfice du droit des enfants à connaître leurs origines. A l'heure actuelle, les femmes résidant en Suisse ne se voient proposer d'autres solutions que l'avortement tardif (autorisé de fait en cas de « détresse profonde ») ou les abandons sordides qui font les gros titres de la presse.
Devant la gravité de la situation et suite au scandale provoqué par découverte du cadavre d'un nourrisson nu, en 1999, au bord du lac de Sihl (SZ), une association bâloise, l'Aide suisse pour la mère et l'enfant, prenait l'initiative en inaugurant la première fenêtre à bébé de Suisse, à l'hôpital d'Einsiedeln.
Les fenêtres bébé rencontrent un succès incontestable en Europe ces dernières années: plus de cent « guichets à bébés » sont en service entre l'Allemagne et l'Autriche, 45 « boxes à bébé » en Tchéquie, 40 « berceaux pour la vie » en Italie, contre une seule « Babyfenster » en Suisse, laquelle a recueilli, en neuf ans, sept nourrissons âgés d'un jour à six semaines.
Alors que les conséquences sur le taux d'infanticides par abandon sont indéniables dans les pays exploitant de nombreuses fenêtres à bébé, ce type de projet a rencontré une incompréhensible opposition politique dans notre pays. Après une décennie, l'Aide suisse pour la mère et l'enfant a pu ouvrir une seconde fenêtre à bébé, le 28 juin de cette année, à Davos, malgré un climat d'inexplicable hostilité.
Schizophrénie à gauche
Confronté à la situation des abandons, la très grande majorité des partis de gauche s'en tiennent à un silence prudent de peur de nuire à l' “acquis” de l'avortement, censé représenter la panacée pour toutes les femmes en difficulté. C'est pourtant du parti socialiste schwytzois, suite à l'affaire du lac de Sihl, que partira, en 2005, la motion parlementaire pour le « Droit d'accoucher de manière anonyme dans un hôpital », émise par la conseillère nationale Josy Gyr, soutenue par un autre socialiste, le conseiller d'Etat Armin Hüppin.
Suite au décès de Josy Gyr, les conseillers nationaux socialiste Andy Tschümperlin et PDC Reto Wehrli, tous deux schwytzois eux encore, signeront chacun une initiative parlementaire en 2008 (Accoucher sous X pour sortir d'un dilemme et Autoriser les accouchements sous X pour mieux protéger la vie), toutes deux sabrée par la Commission des affaires juridiques, représentée alors au Parlement par le socialiste genevois Carlo Sommaruga, et classées sans suite.
L'opposition fut plus marquée, en revanche, à l'encontre des fenêtres à bébé. En 2005, le popiste Josef Zisyadis réclamait, dans une motion parlementaire, ni plus ni moins que la fermeture de ce qu'il appelait la « boîte à bébé », au prétexte, étonnant, qu'elle pouvait « frustrer » les enfants de « leur droit de connaître leur filiation naturelle ainsi que de leur droit à une protection juridique » et au motif pour le moins paradoxal qu'elle risquait « d'être adoptée comme solution de rechange à l'abandon pur et simple, mais aussi à l'abandon en vue de l'adoption », ce qui est précisément le but qu'elle se fixe.
Dans les faits, aussi surprenant que cela puisse paraître, un conseiller national, à l'aube XXIe siècle, militait pour que l'abandon « pur et simple » reste ce qu'il était, soit avec son cortège de cadavres de nourrissons découverts décomposés derrière des buissons et à moitié dévorés par des renards.
Dans sa réponse, le Conseil fédéral dénonçait le caractère « illicite » des fenêtres à bébé, mais reconnaissait qu'elles devait être « tolérées » aux fins de « parer un infanticide ou un abandon d'enfant ». La motion a été rejetée, le Conseil fédéral n'a rien fait depuis.
Seules
En 2012, les femmes qui ne peuvent se résigner à la culture du tout-à-l'avortement, qui ne veulent se résoudre à tuer leur bébé, sont abandonnées autant que peut l'être leur enfant une fois qu'elles sont contraintes, par la peur, l'extrême détresse, à le laisser. Le laisser, pour toujours, dans l'espoir toutefois que quelqu'un le trouvera, qu'il pourra vivre, avoir une meilleure vie, une famille. Or, s'il se trouve une association pour vouloir organiser cet espoir, il se trouve aussitôt un homme, un représentant du peuple, une élite, Zisyadis, pour vouloir tuer cet espoir dans l'oeuf.
En 2012, en Suisse, des femmes accouchent seules dans des toilettes publiques, elles abandonnent leurs enfants qui crèvent au fond de containers à ordures, puis elles vont en prison. Elles en sortent un jour et doivent vivre avec cela le restant de leur existence. En Suisse, en 2012, on en est encore là.
Adrien de Riedmatten
Madame la Conseillère,
Je vous entends bien. Les arguments que vous soulevez sont ceux que nous avons pu entendre au Parlement ces 7 dernières années.
Notez qu’un accouchement sous X, qui permettrait à l’enfant de connaître ses origines, ne serait, de fait, plus un accouchement sous X.
En 2005, à l’occasion de la motion Gyr, le directeur de la gynécologie-obstétrique de l’hôpital d’Einsiedeln, le Dr Werner Förster, avait clairement souligné que le code de déontologie ne le contraignait pas à demander ses papiers à une femme qui viendrait accoucher dans son hôpital, qui plus est en cas d’urgence. Si l’enfant a des droits, la mère n’en conserve pas moins celui d’accoucher en silence et sans devoir sortir son passeport. Si on s’obstine à le lui refuser, elle continuera de jeter sa progéniture dans les ordures après s’être vidée de son sang dans des toilettes publiques. La satisfaction de préserver la théorie du droit international ne devrait pas nous suffire en ce genre d’occurrences.
Si accouchement sous X et fenêtres à bébé posent certainement un problème, ils posent d’abord, à mon sens, une solution. Solution d’urgence, comme a bien voulu le reconnaître le Conseil fédéral, à l’incontournable problème de l’infanticide par abandon, mais solution quand même. Il doit être entendu qu’un enfant mort au fond d’une poubelle est privé de plus de droits qu’un enfant vivant dans l’ignorance de sa filiation naturelle. Je ne nie pas la souffrance des accouchés sous X, je dis qu’une mère adoptive vaut mieux que pas de mère du tout, une vie dans l’ignorance que pas de vie du tout.
Il est étonnant que la seule initiative dans ce domaine soit le fait d’une association privée non subventionnée. Je vous rejoins dans l’idée que l’Etat devrait prendre le problème à la racine et apporter une autre réponse que celle qu’il apporte aujourd’hui.
Bien à vous
AR
L’accouchement sous X n’est admissible que si l’on peut assurer à l’enfant la possibilité de savoir, éventuellement de retrouver sa mère quand il sera majeur (même procédure que dans le cas de procréation médicalement assistée avec donneur). Les fenêtres à bébé posent un problème quasiment insoluble puisqu’alors la possibilité pour l’enfant n’existe pas de retrouver sa mère.
Mais ces deux moyens ne prennent pas le mal à la racine: il faut sans cesse affirmer et répéter que, contrairement à une idée reçue totalement fausse, la femme ne dispose pas librement de son propre corps à cause de la maternité qui peut faire de son corps l’origine d’une autre vie que la sienne. Mais j’ajouterai que, philosophiquement parlant, ni l’homme ni la femme ne disposent librement de leur propre corps dans la mesure notamment où celui-ci assure la “communication” avec autrui.
Bien à vous.
Suzette Sandoz