Le montant de la facture globale se situe désormais à Genève entre 5 et 6 milliards de francs, dont 700 millions requis de toute urgence.
C’est un peu avant que le canton ne voie passer au rouge vif les indicateurs relatifs à son économie et ses finances, qu’a éclaté ce qu’il est correct d’appeler la grave crise des caisses de pensions publiques. Les Genevois sont certes habitués aux mœurs et aux gesticulations « franchouillardes » du monde syndical au bout du lac. Mais, devant les défis économiques et sociaux qui les attendent et face à la problématique des caisses de prévoyances des fonctionnaires, ils supportent mal les récriminations et les manifestations des syndicalistes qui s’affichent en défenseurs d’une catégorie de la population qu’à Genève on considère privilégiée, particulièrement en matière de retraites. Quant à l’observateur neutre, il se frotte les yeux pour s’assurer qu’il ne rêve pas, tant sont stupéfiants les propos qu’il lit et entend à propos de cette affaire.
Les origines d’une crise grave
Celle-ci, il convient de le rappeler, a plusieurs origines. La plus évidente réside dans l’aveuglement volontaire des autorités qui se sont succédé au pouvoir depuis la fin des années 1990 et qui savaient ou auraient dû comprendre que la loi genevoise autorisant, au prétexte de l’Etat « pérenne », les caisses de prévoyance publiques à fonctionner en sous-couverture de 50 %, ne pouvait que mener à la catastrophe. Les autres causes, techniques, sont bien connues : primauté des prestations, calculées de surcroît sur les derniers salaires, chute du nombre des actifs par rapport aux rentiers, allongement de la durée de vie, baisse marquée des rendements des capitaux disponibles.
Il y a peu, le monde politique genevois s’est trouvé forcé, sous la pression fédérale, de révéler publiquement la situation financière désastreuse de la majeure partie des caisses de prévoyance des fonctionnaires, la CIA, la CEH et celle des employés des TPG notamment. On aurait pu penser dès lors que les représentants des personnels affiliés à ces organismes allaient engager avec les autorités des négociations destinées à rétablir la situation. C’était compter sans l’activisme des syndicats et politiciens d’extrême-gauche, ceux qui se sont érigés en « défenseurs inconditionnels des acquis » et dont on peine à comprendre comment les fonctionnaires peuvent les laisser discourir et agir à leur place. Sans égard pour les causes de la sous-couverture de ces caisses, ils réclament en résumé que l’Etat, autrement dit les contribuables, les renflouent.
Une facture de 5 à 6 milliards
Malgré les avertissements, nombreux et réguliers depuis une dizaine d’années, ces mêmes activistes, en particulier celui qui présida la CIA jusqu’en 2007, n’ont jamais voulu reconnaître que la loi autorisant la sous-couverture d’une caisse de pension était une hérésie. Ils ont au contraire systématiquement nié les difficultés qu’allaient immanquablement rencontrer les caisses publiques genevoises, considérant que l’Etat serait là cas échéant pour combler les insuffisances de fonds. Pas vraiment étonnant donc qu’ils persistent encore aujourd’hui et rejettent sans nuances la participation des fonctionnaires actifs et des rentiers au renflouement. Pas étonnant, autrement dit, qu’ils exigent que tout continue comme avant et que l’on commence, dès le début des efforts de rééquilibrage, à … creuser un nouveau trou financier.
Des pourparlers ont néanmoins débuté entre l’Etat et les représentants des affiliés. Mais étant donné l’aptitude, maintes fois démontrée, du Conseil d’Etat et des partis représentés au Grand Conseil à trouver, au prétexte du fameux « consensus », des compromis dont les contribuables sont toujours les dindons, on ne peut que s’inquiéter de ce qui se trame. D’autant qu’au cours des derniers mois la situation des organismes concernés s’est encore détériorée. Le montant de la facture globale se situe désormais à Genève entre 5 et 6 milliards de francs, dont 700 millions requis de toute urgence. Etalé sur quarante ans, l’effort sera de 125 à 150 millions pour chaque exercice budgétaire!
Comment répartir cet effort ? Constatons d’abord que cette dette colossale est due autant à une insuffisance de prélèvement de cotisations sur les actifs qu’à un excès de générosité dans les prestations versées. Il n’est donc pas scandaleux que les fonctionnaires en assument les conséquences, comme ont dû le faire ces dernières années les employés et les rentiers du secteur privé pour leur propre assurance.
Réduction des rentes et des salaires
Il serait pourtant injuste de les astreindre seuls à ce redressement. D’abord, et surtout, parce que les autorités genevoises portent la principale responsabilité du laxisme avec lequel les organismes de prévoyance publics ont été gérés. Elles affirmaient par exemple en 2004 devant le Grand Conseil, alors que certains députés tiraient la sonnette d’alarme et que le degré de couverture de la CIA était tombé à moins de 64 %, que « la gestion des caisses publiques pouvait être jugée satisfaisante ». Ensuite parce que la mauvaise santé des caisses concernées, même si elle était masquée, remonte à l’immédiat après-guerre déjà.
Il n’empêche, en contrepartie de la prise en charge par la collectivité d’une part considérable de la dépense, il importe que les rentiers et les actifs contribuent de façon significative à une recapitalisation devenue incontournable. Les premiers devront accepter une réduction de leur rente mensuelle, les seconds un abaissement de quelques pourcents de l’échelle générale des salaires de la fonction publique.
S’agissant de l’avenir, il convient de décider des mesures garantissant la remise en équilibre durable du niveau des prestations avec celui des cotisations. A cet égard on voit mal comment on pourra échapper à l’adoption, comme cela s’est fait déjà dans les caisses de prévoyance publiques de presque tous les cantons alémaniques et dans l’économie privée, du principe de la primauté des cotisations, principe selon lequel le niveau des rentes est donné par le montant des cotisations et non plus par les derniers salaires. On ne discerne pas non plus, si l’on entend ne pas accroître la part déjà très importante de l’Etat dans les cotisations, comment celle des actifs pourrait ne pas augmenter. Rappelons qu’actuellement l’Etat contribue pour deux tiers et l’employé pour un tiers seulement. Enfin, on ne peut imaginer, si l’on veut maintenir les cotisations à une part raisonnable du salaire et les rentes à un niveau convenable, que l’âge de la retraite ne soit pas porté à 66 voire 67 ans.
Le « miracle » de la caisse de la police
Un mot encore au sujet d’une caisse publique genevoise très particulière, celle de la police. Cette institution apparaît comme un véritable phénomène puisqu’elle garantit à ses bénéficiaires la possibilité de prendre leur retraite une dizaine d’années avant les autres fonctionnaires, cela avec une pension aussi généreuse que celle de leurs collègues des autres services. Or cette institution dispose, elle, d’un taux de couverture supérieur aux nouvelles normes fédérales. Miraculeux ?
En fait, les fonctionnaires de police bénéficient d’un privilège, aussi surprenant qu’injuste. Ils ont été assez malins, dans le passé, pour réclamer et obtenir de la part du gouvernement et du parlement, la garantie que les ressources de leur institution soient toujours en adéquation avec les engagements pris en matière de prestations. Dans la pratique ce privilège se traduit par une attribution annuelle à la caisse de la police de 10 à 20 millions de francs prélevée sur le budget de fonctionnement de l’Etat, au bénéfice exclusif de ces serviteurs décidément « très spéciaux » de l’Etat. Autrement dit, la caisse de pension de la police est au moins aussi déficitaire que la CIA ou la CEH mais les policiers ont réussi, eux, à obtenir sa recapitalisation permanente. C’est pour cela que personne n’en a parlé jusqu’ici dans la situation de crise qui occupe le landerneau politique et les médias.
Pierre Kunz
Je m’inquiétais déjà à l’époque où la Conseillère d’Etat du DIP avait réussi à faire nommer au conseil d’administration de la CIA quelques têtes meneuses des grèves d’enseignants (..promoveatur ut amoveatur..), décapitant ainsi leur syndicat de ses chefs qui ont tous, ou presque, atterri à des postes de chefs (!); je n’ai pas à commenter cette compétence infuse qui a permis de les promouvoir d’enseignants à dirigeants d’une caisse de pension, mais je crains bien qu’il y ait une relation entre leur nomination et les performances de la CIA, et pas simplement de cause à effet; sinon toutes les caisses de pension de Suisses auraient connu une semblable déconfiture, ce qui n’est pas, comme nous le savons; il y a lieu de rappeler aussi que la fusion des Cours Industriels du Soir avec les Cours Commerciaux, réalisée sous la même autorité (DIP) a permis, comme dans les contes enfantins, le mariage d’une jeune fille pauvre (les Cours Commerciaux) avec un vieil et riche seigneur (Cours Industriels du Soir) et d’économiser, quel vilain mot !.. une subvention cantonale ! Hé ! il n’y a pas de petites économies qu’on ne puisse faire sur le dos du contribuable-payeur.
Entièrement d’accord avec Monsieur Favre !
À considérer le nombre d’erreurs politiques et économiques commises par nos élus il y a de l’indecence de leurs parts à accepter ces rentes de situations.
Pour la police, ils ont une fonction de plus en plus risquée, peu soutenu par les politiques dans l’indifférence de la population, faisant des heures supplémentaires ahurissantes soyons contents que nous trouvions encore des citoyens Suisse pour assurer notre sécurité.
Les rentes de situation sont pléthoriques à Genève qui soutient même par le biais d’aide sociale des élus, sans compter le nombre de gens en situations irrégulières qui bénéficient de l’argent que nous confions à l’état. Mais par contre, pour nos retraités qui ont oeuvré toute leur vie pour le développement de notre pays, eux, continuent de payer leurs impôts … Cherchez l’erreur !
Merci pour cet exposé remarquable d’une situation moins complexe qu’il n’y paraît. En effet, son apparente complexité est largement le résultat d’une communication déficiente depuis toujours. Si “ce qui se conçoit bien s’énonce clairement”, il faut bien admettre que ce qui ne s’énonce pas clairement procède d’une conception qui n’est pas bonne. Il peut y avoir à cela plusieurs raisons, dont l’incompétence et l’irresponsabilité (séparment ou cumulativement). On vit en ville de Genève aujourd’hui un cas de cumul mais il serait faux de mettre tout le monde dans le même panier. Cela dit, il n’en demeure pas moins que l’incompétence, voir la négligence consciente ou par faiblesse, ne constitue pas une excuse. Rien n’a jamais justifié et ne justifiera jamais qu’une génération vive au dépens de la suivante. Or, c’est ce que nous faisons, sous la pression égoïste des responsables des caisses de pension publiques ET de leurs bénéficiaires. S’il est concevable que des responsables de gauche voire plutôt d’extrême gauche en réalité, car on a de la peine à nommer correctement certains comportements politiques en ville de Genève, considèrent normal de piller la banque, on comprend moins quand la banque appartient au peuple qu’ils sont sensés défendre. Or, l’état est le peuple. Accepter de piller les comptes de l’état en refinançant aveuglément les caisses de pension sans traiter les raisons pour lesquelles elles se sont retrouvées dans cet situation revient à spolier les générations futures de montants qui leurs reviennent de droit. On prive l’éducation, la sécurité et les infrastructures de moyens financiers cruciaux pour maintenir Genève dans la course à l’attractivité et à la compétitivité sans laquelle nos enfants ne pourront perpétuer notre niveau de compétence et donc de vie. Cette approche est suicidaire, en particulier pour les plus défavorisés pour lesquels des aides ne pourront être débloquer autrement qu’en s’endettant encore plus. L’exemple de la Grèce sera-t-il totalement inutile?
Je ne vous rejoins pas sur la police. Merci à chacun d’entre eux de faire un travail difficile et astreignant. Il est normal que leur retraite soit assurée.
Vous voulez taper sur des “privilégiés” ?, adressez-vous aux politiciens, magistrats et autres qui touchent une indemnité à vie pour le seul “fait” d’avoir su recueillir une majorité pour une élection. Trouvez-vous normal par exemple qu’un conseiller fédéral gagne 400’000 fr. par an et, en cas de non réélection, une rente à vie de 200’000 fr. (soit disant parce qu’il ne pourrait pas s’assurer une retraite avec son “maigre” salaire ou qu’il ne prendrait pas des décisions difficiles s’il devait se soucier de son avenir personnel).
Je rêve d’une initiative populaire qui mettrait un terme à ces privilèges. Une personne “élue” ne devraient avoir droit à aucune prestation particulière du simple fait de son élection ; son salaire doit suffire à le prémunir d’un coup dur.
Lorsque j’en ai parlé, un politicien m’a répondu qu’il ne fallait pas toucher à ces indemnités car ces “élus à la retraite” devaient reverser 12 % à leur parti et que cet argent était bon à prendre. Quel argument ! 😉