Une discipline mal aimée, car «politiquement incorrecte», l’histoire militaire…
A l'occasion du dixième anniversaire du rapport Bergier, l'Université de Lausanne dont je suis un diplômé (licences en histoire moderne et en histoire ancienne), a organisé deux journées appelées «Le rapport Bergier, 10 ans après». J'ai participé au cours public du 21 mars 2012 et, au-delà de la polémique qualifiée de «politique» (comme l'était d'ailleurs un rapport qui répondait à un mandat politique), j'aimerais m'interroger sur le sens de l’histoire et plus particulièrement sur une expression entendue ça et là au cours des tables rondes: l’expression «vérité historique».
Depuis quelques années, la science historique connaît un renouveau que certains enseignants vaudois ne semblent pas avoir encore bien compris. Celui-ci s’inscrit dans la logique de l’école des Annales qui, dès le début des années Trente, entendait étudier l’histoire en privilégiant l’étude du «temps long» et des structures, au détriment de l’événementiel pur. Depuis, les courants historiographiques se sont succédé, en particulier celui de la «Nouvelle histoire», avant tout une «histoire des mentalités». Celle-ci n’a pas échappé à la critique. Ses limites ont été soulignées, notamment son manque de considération pour l'Antiquité, l'époque contemporaine, ou encore l'histoire politique, diplomatique et militaire. Originaire des universités anglo-saxonnes, l’ « histoire globale » est en train de bouleverser les paysages historiographiques auxquels nous nous étions habitués. Il s’agit maintenant d’envisager un thème historique dans tous ses aspects et de se risquer aux comparaisons entre les sociétés et les périodes. Comparer n’est plus un tabou, mais devient une nécessité.
Une approche globaliste
Dans ce but, les historiens «globalistes» n’hésitent pas à mobiliser toutes les sciences humaines: géographie, économie, polémologie, sciences politiques, sociologie, … Cette approche, c’est celle que certains historiens suisses et étrangers ont choisi pour aborder l’histoire de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Pensons à l’historien américain Herbert Reginbogin qui a comparé le comportement de la Suisse pendant le conflit à celui des autres pays neutres, y compris les Etats-Unis jusqu’à leur entrée en guerre en décembre 1941. Sans oublier les travaux dans des domaines aussi différents que l’histoire orale (projet d’Archimob) ou encore l’histoire du renseignement (Pierre Braunschweig, Neville Wylie). Les Troisièmes Journées suisses d’histoire qui se tiendront en février 2013 à Fribourg auront pour thème le «global – local». Il est frappant de constater qu’aucun thème d’histoire contemporaine ne concernera l’histoire de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, dans sa «globalité». A croire que tout a été dit. Aux yeux de certains, en premier lieu les chantres du rapport Bergier, il n’y aurait donc plus rien à écrire sur l’histoire de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Rien n’est moins sûr. Et en premier dans une discipline mal aimée, car «politiquement incorrecte», l’histoire militaire.
A l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays européens, il faut rappeler qu’une «nouvelle histoire militaire» existe aussi en Suisse et qu’elle se revendique comme une «histoire globale». Entendez par là qu'elle ne se limite pas à des aspects purement militaires, mais qu'elle accorde aussi une place aux mouvements d'opinion et aux croyances, aux institutions politiques, plus généralement à l'état social et aux relations économiques, aux problèmes budgétaires et bien entendu à la situation si particulière des citoyens-soldats. Cette histoire n’a pas la prétention de vouloir tout «déconstruire», elle n’a pas peur des héros et des mythes mais elle entend rappeler que, comme d’autres pays non-alignés ou neutres, la Suisse a été un acteur à part entière du second conflit mondial, que son aviation s’est battue, qu’elle a aussi été un carrefour pour le renseignement, qu’elle a continué à être un Etat démocratique et que rien qu’à ce titre, elle mérite encore le titre de « balcon sur l’Europe » (Pierre Béguin). Au demeurant, il est un peu facile de critiquer une œuvre, «Le balcon sur l'Europe. Petite histoire de la Suisse pendant la guerre 1939-1945», paru en 1950 et dont l’auteur a été parmi les meilleurs éditorialistes de Suisse romande et surtout un fervent partisan de la liberté de la presse. Il y est déjà question des transactions d’or de la BNS. Certes, ce n’est qu’un paragraphe qui ne peut rivaliser avec les 10000 pages du rapport Bergier, mais cinq ans après la fin de la guerre et en pleine Guerre froide, ce n’est pas rien.
Une conception surprenante de l'Histoire
A en croire le panel réuni à Dorigny, une «vérité historique» s'opposerait à une «vérité patriotique», faite de héros et de mythes. Il y aurait donc un groupe d'historiens dépositaires de cette vérité-là qui, à la manière de Galilée, lutteraient pour «faire de l'astronomie» (sic) face à l'obscurantisme ambiant. Voilà une conception de l'histoire qui me surprend. L'histoire se limiterait-elle à l'histoire économique et sociale? L’histoire de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale se résume-t-elle aux transactions d'or de la BNS? Le Général Guisan est-il un arbre «qui a caché la forêt»? Je ne le crois pas. Je ne crois pas à cette histoire mono-causale, idéologiquement orientée, prisonnière de ses a priori et des clichés, mais à une histoire «globale», plurielle, qui ne cherche pas à déconstruire mais à comprendre et à expliquer les événements dans leur complexité, leur chronologie, ainsi que le rôle des acteurs, en définitive des hommes et des femmes. Quant aux mythes, on ne peut que souscrire à ce constat de l’historien Walter Schaufelberger: «Aus Geschichte und Mythos wuchsen der Nation in der Notzeit die Abwehrkräfte zu. Armselig wäre ein Volk, das keine Mythen hat».
Ce que j'ai entendu dans l'auditoire de l'Amphimax m'a au moins convaincu que l’histoire est aussi complexe que ses multiples objets d’étude et qu’il y a autant de vérités historiques qu’il y a d’historiens. Il est rassurant que certains gymnasiens présents le lendemain à la journée d’étude l’aient aussi reconnu et exercé leur esprit critique sur des «historiens critiques».
Le Rapport Bergier 10 ans après : http://www.unil.ch/courspublic/page89362.html
Pierre Streit, historien, auteur avec Jean-Jacques Langendorf du livre «Le général Guisan et l'esprit de résistance» (Cabédita, 2010)
Un de mes professeurs d’histoire m’a laissé quelques propos forts. En voici un: ” La plus grande malhonnêteté intellectuelle, c’est de juger des faits du passé à la lumière des connaissances du présent.”
Dans cette affaire je me pose une question? Comment peut on juger l’histoire de la dernière guerre valablement sans prendre en compte que toute la Suisse a été entourée par les forces de l’Allemagne en guerre. Le Gouvernement suisse n’avait pas beaucoup de choix. Ou suivre des conditions dictées par l’Allemagne, ou être occupé par les forces de l’Allemagne.