En quoi Jean Ziegler ressemble-t-il à Richard Nixon?

Fabio Rafael Fiallo
Fabio Rafael Fiallo
Economiste et écrivain
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Le double langage et autres mensonges de Jean Ziegler, suite du feuilleton…

Lors des élections américaines de 1972, qui opposaient le président sortant Richard Nixon au sénateur démocrate George McGovern, la célèbre militante féministe Gloria Steinem, fervente avocate du droit à l’avortement, prit parti pour ce dernier. Lorsqu’un journaliste lui demanda le pourquoi de son choix, alors que McGovern pas plus que Nixon ne soutenait un tel droit, Gloria Steinem fournit l’explication suivante: «Eh bien, supposons que McGovern soit une femme et qu’il tombe enceinte sans l’avoir souhaité. Dans ce cas, j’en suis sure, il comprendrait l’importance du droit à l’avortement et ferait passer une loi dans ce sens. Par contre, si Nixon se trouvait dans la même situation, il se ferait avorter tout en continuant à s’opposer publiquement à l’avortement… prétendant même qu’il est toujours vierge».

Par cette boutade, Gloria Steinem réussit à dépeindre un trait distinctif bien connu de Richard Nixon, à savoir: son imposture, ou, pour le dire en jargon diplomatique, son toupet.

C’est un toupet de même nature qu’a démontré posséder un Suisse qui s’est fait connaître pour donner des leçons de morale aux quatre points cardinaux.

Il s’agit de Jean Ziegler, qui ces dernières années a exercé des fonctions onusiennes, étant actuellement membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Son mandat arrivant à terme à la fin de l’année, Ziegler avait postulé pour un nouveau poste, celui de rapporteur sur un nouvel ordre international équitable, créé récemment au sein du Conseil des Droits de l’Homme.

Or, dans des déclarations qu’il fit voici quelques jours au journal La Tribune de Genève, il prétend avoir renoncé de son propre gré à briguer ce poste, ajoutant qu’il préfère se consacrer plutôt à son actuel mandat.[1] Etrange décision, puisque de toute façon son mandat actuel finit bientôt.

Mais voilà que l’ONG UN Watch a réussi à se procurer et poster en version PDF le formulaire de candidature soumis et signé par Ziegler[2]. Il en ressort qu’il y a une totale contradiction entre ce qu’il écrit dans ce document et ses déclarations à la Tribune de Genève.

En effet, dans sa présentation de candidature, Ziegler se dit «très motivé» pour assumer les fonctions du nouveau poste et disposé à abandonner ses fonctions de membre du Comité consultatif, alors qu’à la Tribune de Genève, il affirme exactement le contraire, c’est-à-dire qu’il préfère garder son poste actuel.

Candidature pas retenue

Que s’est-il passé entre-temps? Eh bien, selon les informations divulguées par UN Watch, ce n’est pas Ziegler qui a retiré sa candidature ; c’est le comité examinateur qui, par consensus, n’a pas retenu celle-ci!

Plus grave encore pour Ziegler: parmi les quatre candidats qui s’étaient présentés pour le poste en question, le seul que le comité examinateur ne prit pas même la peine d’interviewer fut Ziegler.[3]

En essuyant cet humiliant rejet, Ziegler paie sa longue et ostensible amitié avec l’un des plus cruels despotes de notre temps, Mouammar Kadhafi.

Une amitié qui, d’ailleurs, par les critiques qu’à juste titre elle a provoquées, a donné lieu chez Ziegler à des déclarations et dénégations qui prouvent son art d’affirmer une chose et son contraire. Il suffit de juxtaposer, comme le fit le journal Le Matin[4], deux déclarations de Ziegler parfaitement contradictoires au sujet de son rôle autour du prix Kadhafi des droits de l’homme. Les voici:

«Si nous pouvons obtenir de l’argent pour l’ANC, je ne vois pas pourquoi je refuserais de faire partie du jury » (Journal de Genève 25 avril 1989).

«Cette histoire est une calomnie, une incroyable campagne de diffamation. Je n’ai jamais eu de rôle dans ce prix, en aucune façon » (Le Temps, 19 février 2011).

Un dernier exemple du double langage dans lequel Ziegler est parvenu à exceller. En juin 2007, alors qu’il était rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation, Ziegler s’en prend à la production de biocarburants au Brésil, affirmant que « du point de vue du droit à l’alimentation, il s’agit d’une catastrophe»[5]. Il renouvelle ses critiques à l’encontre du Brésil dans un rapport sur les biocarburants présenté en novembre de la même année[6].

Or, quelques mois plus tard, le 11 mars 2008, le même Ziegler fait volte-face et déclare que « la production de biocarburants du Brésil respecte le droit à l’alimentation de la population et aide à sortir les paysans marginalisés de la pauvreté »[7].

Les bonnes grâces du Brésil

Que s’est-il passé cette fois-ci ? Eh bien, l’élection au poste d’expert au Conseil des droits de l’homme, poste brigué par Jean Ziegler, allait avoir lieu le 26 mars 2008. Le Brésil pouvant peser de tout son poids dans le choix du candidat, Ziegler avait tout intérêt à gagner les bonnes grâces de ce pays – quitte à tourner casaque comme il le fit.

Bien entendu, Ziegler nie toute tractation indue avec les diplomates brésiliens dans le but d’obtenir leur soutien à sa candidature, et déclare : «Ils m’ont convaincu que le Brésil est un cas à part»[8].

Inutile de dire que Ziegler réussit à décrocher le poste convoité… avec le soutien du Brésil.

De par ses honteuses amitiés avec les dictatures tiers-mondistes (Kadhafi, Mugabe, Castro, d’autres encore), et sa capacité à moduler ses points de vue au gré des convenances personnelles, la crédibilité de Jean Ziegler se trouve aujourd’hui à un niveau semblable à celle de Richard Nixon à l’issue du scandale du Watergate. C’est-à-dire proche de zéro.

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[1]  Tribune de Genève, «Jean Ziegler renonce à un poste de rapporteur de l’ONU », 22 mars 2012.
[2] UN Watch, «Controversy: Defeated UN Rights Expert Lies about Rejected Application for New Post», 23 mars 2012.
[3] Ibidem.
[4] Le Matin,  «Ils tombent tous sur Ziegler», 12 mars 2011.
[5] Swissinfo.ch, «Jean Ziegler demande l’admission des réfugiés de la faim», 14 juin 2007.
[6] Swissinfo.ch, «Jean Ziegler au cœur d’une polémique au Brésil», 12 novembre 2007.
[7] Swissinfo.ch, «Le grand écart de Ziegler sur les carburants verts», 28 mars 2008.
[8] Id.

4 commentaires

  1. Posté par Jan Marejko le

    Dans tout autre pays que la Suisse romande, Jean Ziegler aurait été au moins critiqué comme il l’est ici par Fabio Fiallo. Est-ce pour cette raison qu’il a migré vers la francophonie romande? Il est en tout cas certain que, chez nous, on se complaît dans ce qu’Alain Finkielkraut appelle l’argument de la diversité qui justifie toutes les démissions.

  2. Posté par Uli Windisch le

    Non Monsieur, pas de ça chez nous.
    ….Je ne partage pas vos idées mais je me battrais pour que vous puissiez les exprimer….
    Mais nous ne nous gênons pas de le critiquer… ce que peu osent faire, pourquoi?

  3. Posté par Jacques Buchet le

    Un seul mot devra saluer la mort de Ziegler: ENFIN !

  4. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Je suis confus! En me relisant, et voyant les fautes d’accord! Même si je ne suis pas d’accord!
    Ayant lu trois livres de Jean Ziegler, j’avoue n’en avoir vérifié ni les données ni les chiffres, ce dont je suis incapable. Mais force m’est de reconnaître en eux, ces livres, des personnages ayant existé. Des personnages que j’ai rencontré! Ces personnages n’existeraient-ils pas sous prétexte que Jean Ziegler n’est, au fond, qu’un homme? Au même titre que le signataire de l’article ci-dessus! Voyez-vous où je veux en venir? Rafael, vous fusitigez Jean Ziegler avec force arguments et citations. Auriez-vous raison? Et alors? Serait-ce à dire que vous accordez l’absolution sans conditions à ceux qu’il désigne? Témoignant ainsi d’un absolutisme inversé.
    Je ne sais pas! Je ne suis qu’un homme.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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