Comparer la destruction de Palmyre par l’Etat islamique et celle des Bouddhas de Bâmiyân par les Talibans vient tout naturellement à l’esprit. Mais prenons un peu de recul. Les extrémistes d’aujourd’hui n’ont pas trop à se casser la tête pour trouver, dans l’histoire, des destructions massives de richesses culturelles. Exemple : la France révolutionnaire. Dès le début de cette période de liberté, d’égalité et de fraternité, le « comportement citoyen » n’a pas été franchement …citoyen. Et ce n’étaient pas que des incivilités.
Rien n’est plus humiliant pour un Européen qui visite un monument historique, château ou cathédrale de France, que d’entendre le guide faire le bilan des destructions de richesses qui ont eu lieu pendant la Révolution, pendant laquelle des sauvageries et des pillages ont fait disparaître à jamais des objets d’art de la plus grande valeur.
La Bastille : une rigolade
Commençons sur un air léger. On veut bien admettre que la Bastille n’a pas laissé de souvenir impérissable. Elle était, on s’accordera là-dessus, hideuse. Sa destruction, dès juillet 1789, a même ceci en commun avec celle du Mur de Berlin : les petits morceaux récupérés ont été vendus comme souvenirs amusants par des brocanteurs à quatre sous.
On relèvera cependant deux choses. Pour l’ancedote, elle n’avait plus pour locataires que quatre faussaires, deux fous et un pervers. Pas exactement des parangons des droits humains.
D’Henri IV à l’hystérie
Mais beaucoup plus sérieux, la prise de la Bastille a inauguré le déchaînement d’une populace assoifée de sang, annonciatrice des horreurs à venir, avec ses têtes au bout d’une pique. Côté rage jacobine contre la pierre, on allait bientôt mettre la vitesse supérieure. Et mettre en scène le renversement de la statue d’Henri IV – oui, le roi populaire, le Vert galant, l’homme du « Paris vaut bien une messe ». Puis ce fut le tour de Louis XIV, Louis le Grand, le Roi-Soleil dont Stéphane Bern vient de nous offrir un portrait brillantissime dans son émission « Secrets d’Histoire » sur F2. Evidemment, Louis XV n’allait pas échapper au même sort. Dans la foulée commençaient les grandes dépradations infligées à Notre-Dame, aux Invalides et au Louvre.
L’hystérie – sur fond d’anticléricalisme forcené, voire d’athéisme - atteint désormais tout le pays. Mettons le doigt sur l’abbaye de Cluny, le symbole du renouveau monastique en Occident, la plus grande église jusqu’à la construction de Saint-Pierre. « Nationalisée » en novembre 1789 déjà, ses biens (terres agricoles, granges, châteaux, églises, tapisseries, objets du culte) ont servi de caution aux assignats, la monnaie de singe d’ailleurs bien vite dévalorisée. Pillage, incendie des archives, explosion et utilisation des pierres pour la construction en ont achevé la destruction, si bien qu’il ne reste aujourd’hui que moins du dixième de l’édifice de l’Ancien Régime.
Ces morts qu’il faut abattre
Reste le pire. Là où se mêlèrent haine, bêtise, barbarie et obscénité : la profanation de la basilique de Saint-Denis, en 1793. Cette église, devenue cathédrale et monument historique, est bâtie sur le lieu de sépulture de saint Denis, premier évêque de Paris[1] (mort vers 250). Elle est devenue la nécropole de rois mérovingiens et Carolingiens, puis de tous les rois de France depuis les Capétiens. De quoi couper le souffle.
Mais en tout cas pas celui de Barère. Le 1er août 1793, au nom du Comité de Salut Public, celui qui avait naguère appelé à détruire Lyon expliquait à la Convention qu’il fallait sans tarder « détruire les mausolées fastueux qui sont à Saint-Denis ». On ne traînait pas à l’époque. Dix jours plus tard (premier anniversaire de la chute de la Monarchie), les vandales étaient à l’œuvre. En trois jours, des dizaines de tombeaux furent saccagés. Dans les fosses creusées dans les cimetières voisins, rois, reines, princes et grands serviteurs de l’Etat furent précipités, souvent après avoir été profanés, lorsque par exemple un soldat coupa la moustache de la dépouille d’Henri IV pour s’en affubler. Les monuments de pierre furent pulvérises, les pièces en métal réquisitionnées pour servir à la fabrication de canons et de balles. Sainte Geneviève, si chère au cœur des Parisiens[2], n’échappa pas à l’abomination : ses ossements furent brûlés et jetés dans la Seine.
On n’en dira pas plus, sinon que ce vent d’anéantissement culturel souffla dans tout le pays, au gré des autorités locales et des chargés de mission.
Fatigués de détruire ?
Il faut relever que les notables chargés de faire le tri réussirent à conserver bien des oeuvres d’art. Des travailleurs horrifiés par la besogne qu’on leur imposait parvinrent à subtiliser quelques reliques qu’ils rendirent à l’Eglise une fois la tempête passée[3].
Rapidement aussi, il se trouva quelques Conventionnels pour s’élever contre ce vandalisme criminel. Un signe important fut donné par Charles-Gilbert Romme. Romme n’était pas un modéré ; il avait voté la mort du Roi. Il n’était pas un conservateur : ce fut lui qui conçut le calendrier révolutionnaire. Cependant, le 20 octobre 1793, il fit adopter un décret pour la protection de toutes les œuvres d’art (même celles « marquées d’insignes féodaux ». En même temps, un autre décret condamnait sévèrement les iconoclastes. Hélas, ces mesures venaient trop tard et furent mal appliquées.
Aujourd’hui encore, des blessures ne guériront pas. Dans les âmes et dans les arts. A l’heure où l’actualité immédiate et le massacre de l’enseignement de l’histoire détruisent la mémoire, le rappeler n’est pas une option, mais une exigence.
Stéphane Sieber, 5 novembre 2015
[1] Le culte rendu à saint Denis est très ancien. Denis est un de ces saints céphalophores, c’est-à-dire que, selon la légende, il porta sa tête après sa décollation. C’est d’ailleurs le plus souvent ainsi qu’il est représenté.
[2] Geneviève mena une vie de prière et d’abstinence. En 451, elle incita les Parisiens à ne pas fuir Attila. Louis XV, malade, promit de lui faire édifier un édifice grandiose : ce fut la nouvelle église Sainte-Geneviève, devenue le Panthéon.
[3] Voir le livre de Francis Pichon « Histoire barbare des Français », Editions Seghers, Paris, 1954.
Quelle manière plus efficace que la Terreur pour un cercle restreint d’oligarques, pour imposer une sorte de dictature nihiliste mondiale,puisque les peuples n’en veulent pas.
Votre comparaison, Monsieur Sieber, qui doit chatouiller plus d’un adorateur de la “déesse Raison”, est validée, si besoin était, par les faits.
C’est ainsi qu’ une nouvelle ère pourrait s’ouvrir : celle de l’ union des barbaries pour “la gouvernance” du monde .Non merci !