Entretien avec Christoph Blocher

Alimuddin Usmani
Journaliste indépendant, Genève

Interview exclusive de Christophe Blocher par Alimuddin Usmani pour Lesobservateurs.ch

 

Alimuddin Usmani : Christoph Blocher, quel a été votre sentiment le jour de l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse le 9 février dernier ?

Christoph Blocher : J’ai tout d’abord été étonné que l’initiative ait été acceptée. Plusieurs semaines avant la votation j’ai cru que cela ne passerait pas à cause des menaces et de l’argumentation de la classe politique, j’ai pensé que le peuple jugerait une acceptation trop dangereuse. Le résultat était donc une très grande satisfaction, j’étais très heureux que la Suisse ait eu le courage et le flair de penser à plus long terme. L’histoire de la Suisse est caractérisée par son esprit d’indépendance, par sa démocratie directe et par sa neutralité. Deux mois après cette votation on en parle encore. Cela veut bien dire qu’il ne s’agissait pas uniquement de régler le problème de la libre circulation des personnes, c’est un problème beaucoup plus profond. Nous voulons régler les problèmes liés à la migration. D’ailleurs le président allemand, lors d’une récente visite en Suisse, est encore revenu sur cette initiative.

Comment expliquez-vous la virulence de certaines réactions de politiciens de l’Union européenne à l’égard de la Suisse ?

Premièrement ces dirigeants ont pensé que la Suisse était déjà plus ou moins membre de l’Union européenne. Les responsabilités viennent également des responsables politiques suisses, tout particulièrement du DFAE qui a proclamé que même si la Suisse était pour l’instant en dehors de l’Europe, elle avait la volonté d’entrer dans l’UE à terme. Une demande officielle d’adhésion avait même été formulée en 1992.  Par la suite, la Suisse a conclu des accords bilatéraux avec l’Union européenne qui a pensé que c’était un moyen pour que la Suisse entre dans l’UE. En Suisse nous avons estimé que c’était le contraire, nous avons conclu des accords bilatéraux justement pour éviter d’entrer dans l’UE. En tant que pays souverain, la Suisse a voulu régler la question migratoire et a souhaité rejeter la libre circulation des personnes. Les dirigeants de Bruxelles se sont offusqués en disant que la libre circulation était « une grande valeur de l’Europe ». Vous noterez qu’ils  n’emploient jamais le terme « Union européenne ».

Deuxièmement, les populations de l’Union européenne ont remarqué qu’en Suisse, la population pouvait prendre des décisions sur des sujets aussi importants que la libre circulation. Selon des sondages en Allemagne, les résultats auraient été encore plus clairement en faveur de l’initiative qu’en Suisse.

Suite à l’interdiction faite aux étudiants suisses de pouvoir suivre le programme Erasmus, vous avez lancé un appel aux étudiants qui connaîtraient des difficultés. Par la suite, vous avez renoncé à répondre à ces centaines de messages mais avez promis de vous engager par la voie politique pour faire face à ces inquiétudes. Quel bilan tirez-vous de cet épisode ?

Sur les ondes de la Radio suisse allemande, j’ai dit que s’il y avait des étudiants qui rencontraient des difficultés suite à la votation du 9 février, ils pouvaient m’écrire. Je suis convaincu que les opportunités d’études à l’étranger sont réelles et je souhaite aider ces étudiants à se frayer un chemin. J’ai tenu les même propos sur la Radio suisse romande et les jeunes socialistes ont crée une page d’accueil sur le web qui incite à m’écrire. J’ai reçu plusieurs centaines de lettres, certaines ressemblaient à du copié-collé et me demandaient de financer leurs études à l’étranger. J’ai refusé de répondre à ces demandes. En réalité, il y avait sept lettres sérieuses d’étudiants. J’ai pu résoudre le problème pour trois d’entre eux par l’entremise de la direction de l’instruction publique à Berne qui a décidé d’apporter son soutien financier. En Suisse allemande une étudiante a également eu des difficultés qui ont pu être résolues.

Le promoteur genevois Abdallah Chatila a annoncé offrir à l’Université de Genève une enveloppe de 100'000 frs pour financer la mobilité estudiantine à l’étranger. Il estime qu’il est parfois important de considérer que le privé peut être plus réactif et motiver l’Etat. Que pensez-vous de son initiative ?

Il a raison ! Je pense que c’est mieux de confier ces responsabilités à la Suisse ou bien à des personnes privées. Il n’est pas efficace d’emprunter la voie de Bruxelles. Déjà parce que le chemin de Bruxelles est beaucoup trop sinueux. La Suisse paie pour cela et le retour de cet investissement n’est pas  garanti dans nombre de cas. La voie directe, qu’elle soit privée ou publique, en Suisse est beaucoup plus efficace que le chemin qui passe par Bruxelles.

Selon la RTS, la Suisse aurait trouvé un accord avec la Croatie pour lui proposer un accès à son marché du travail sans signer le protocole d’élargissement. Cela permettrait éventuellement de débloquer les programmes européens pour la Suisse. Quel est votre avis sur cet accord ?

Je ne connais pas, à l’heure actuelle, les détails de cet accord. Il pourrait être une possibilité mais il faut veiller à ce qu’il ne constitue pas une exception à l’égard de la votation du 9 février. Je crois qu’il est toujours important de connaître les détails. Le Parlement a voté sur Erasmus+. On nous a dit que ce programme était destiné aux étudiants qui veulent étudier dans une autre université, ce qui est une bonne chose. En réalité il s’agit également d’un programme général pour voyager à l’étranger, qui comporte une dimension ludique et des choses qui sortent du cadre des études. Lorsqu’une grande organisation prend des décisions pour un grand espace, cela engendre de grandes responsabilités et on peut facilement en perdre le contrôle.

Lors de la votation sur l’EEE en 1992, certains de vos adversaires avaient prédit des conséquences catastrophiques sur l’économie suisse. Pensez-vous que l’histoire se répète ?

Oui, les réactions sont similaires. En 1992 on nous avait dit que la Suisse était perdue. Le conseiller fédéral Delamuraz avait parlé d’un « dimanche noir », il avait dit que la votation était une catastrophe pour la jeunesse et que la Suisse n’avait plus de futur. Nous avons dit au contraire que c’était une bonne chose pour la Suisse. Un jour après la votation, la bourse a enregistré des gains, le franc suisse s’est renforcé, les taux d’intérêt ont baissé. A long terme nous pouvons également constater que cela a été une grande chance pour la Suisse de ne pas entrer dans l’Union européenne.  Il n’était pas possible d’entrer dans l’EEE sans adhérer à l’UE. A présent, nos adversaires disent que la situation est dangereuse car la votation remettrait en cause les accords bilatéraux. Je suis un grand exportateur, je connais la situation et ce n’est pas une catastrophe pour la Suisse. Je pense que c’est une grande chance pour la Suisse de pouvoir rester indépendante, ce qui est le plus important à mes yeux.

Que vous inspire le modèle économique japonais, caractérisé par une très faible immigration de travail ?

La mentalité japonaise n’est pas très ouverte en ce qui concerne l’immigration. Pendant cent ans il n’était pas possible pour un étranger de travailler au Japon. A présent, il y a une ouverture un peu plus souple, notre entreprise a pu le constater. Le Japon ne connait pas la libre circulation des personnes au même titre que de nombreux pays comme les Etats-Unis, le Canada, la Chine ou la Russie. Il n’y a que l’Union européenne qui a instauré ceci, dans le but de montrer qu’elle constituait une seule entité. La Suisse est le seul pays indépendant au monde qui a accepté de conclure une libre circulation des personnes. Au Japon ils sont très stricts.

Quel est enfin votre avis sur la nomination de Manuel Valls, qui a des origines tessinoises, au poste de Premier Ministre en France ?

Il faut tout d’abord dire que là où les socialistes gouvernent les choses ne marchent pas bien, en particulier sur le plan économique. Monsieur Hollande souhaite à présent faire un virage à droite. Monsieur Valls est un peu plus à droite que les socialistes français. Cela explique le mécontentement de la gauche du parti socialiste par rapport au choix de Valls. Je crois que Monsieur Hollande réalise qu’il n’a pas d’autre choix que de faire un virage libéral sur le plan économique, que c’est le marché qui commande et non la politique. Valls veut tenter le pari de redresser la France. J’espère qu’il y parviendra car la situation économique en France est très grave.

Propos recueillis par Alimuddin Usmani, le 2 avril 2014.

 

5 commentaires

  1. Posté par Marie-France Oberson le

    @Geneve_libre :
    Vous voyez une contradiction dans les propos de M. Blocher parce qu’ en bon genevois vous ne pouvez pas comprendre…

  2. Posté par Luca le

    Un M. Blocher très sage, comme d’habitude j’ai envi dire. Bravo et merci pour cet article !

  3. Posté par john Simpson le

    Interview intéressante, Blocher reste un personnage qui compte sur la scène politique suisse. Il serait en effet judicieux de connaitre les détails de cet accord avec la Croatie et ne pas se laisser avoir…soyons vigilants!

  4. Posté par EAB le

    Very good interview! Mr. Blocher talks common-sense and logic.
    I would like to hear more from Mr. Blocher about the export topic and how he sees the initiative not threatening Swiss exports.

  5. Posté par Geneve_Libre le

    Article très intéressant ! Blocher a reussi à sauver 3 étudiants d’Erasmus, faut-il le remercier pour ça ? Je trouve que dans ses propos il y a une énorme contradiction entre les agissements de son partie UDC et son côté libéral chef d’entreprise.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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