Un débat dont la gauche ne veut pas et que la droite, quand elle le comprend, à quelques exceptions notables bien sûr, n’ose pas toujours. Bref, pas de printemps pour la vie.
Steiert Jean-François (PS, FR):
"2. Les initiants invoquent la liberté individuelle et le fait que personne ne doit être obligé de financer les avortements d'autrui avec ses primes d'assurance-maladie dans la mesure où cela heurte sa conscience. Or, par son principe même, l'assurance-maladie et accidents n'est pas un libre-service où chacune et chacun peut bénéficier des bienfaits de l'assurance tout en excluant toute participation financière afin de couvrir les risques encourus par les autres assurés. Si l'on suivait les affirmations d'une partie des initiants selon lesquels "dans un Etat démocratique, on ne finance pas ce que l'on ne veut pas", les opposants à l'acquisition de nouveaux avions de combat, à la construction d'autoroutes, à la création de places d'accueil de jour pour les enfants, ou autres activités financées par l'Etat selon des choix démocratiques, pourraient tout aussi bien invoquer les mêmes motifs pour renoncer à payer une partie de leurs impôts souvent également en invoquant leur conscience. Cette perspective individualiste est fondamentalement incompatible avec le fonctionnement de notre Etat de droit démocratique.
3. Les initiants estiment que la responsabilité individuelle doit être renforcée et que chaque femme qui envisagerait l'éventualité d'un avortement pourrait conclure une assurance complémentaire sans doute peu coûteuse ou supporter les coûts de l'intervention. Cet argument pose plusieurs problèmes. Il réduit la responsabilité individuelle à la femme dans la mesure où c'est elle qui devrait assumer les coûts de l'intervention ou s'acquitter de la prime de l'assurance complémentaire alors que, sous une forme ou une autre, toute grossesse implique la participation d'un homme, du moins jusqu'à nouvel avis. Les initiants ont admis que cela causerait une nouvelle injustice au détriment des femmes concernées, mais ils estiment qu'il y a des limites à l'égalité entre femmes et hommes dans notre société.
La commission ne partage pas cette conception et estime que la responsabilisation exclusive de la femme serait un retour en arrière par rapport à des positions admises aujourd'hui dans la plupart des pays européens."
Or c'est bien le PS qui milite depuis des décennies pour le droit exclusif des femmes à disposer de leur corps et pour empêcher que les droits des pères sur les embryons in vitro soient continués in utero. Le PS veut des droits mais pas de responsabilité attachée à ces droits. L'assurance-maladie ne serait pas un "libre-service" à l'intention des initiants mais doit en rester un pour des femmes, dont de nombreuses récidivistes, auxquelles aucun acte responsable n'est demandé pour justifier des situations de "détresse" et de "détresse profonde", forcément indépendantes de leur volonté, censées ouvrir l'accès au droit à un avortement dépénalisé au sens de l'art. 119 du code pénal. Pour le PS en somme, l'avortement c'est le dernier étage de la contraception. Des femmes, parmi lesquelles des personnes ayant déjà subi un ou plusieurs avortements, disposeraient d'un droit objectif à faire supporter financièrement à la collectivité les conséquences d'une situation dont elles ne peuvent se disculper de la responsabilité, et ce à l'infini si nécessaire. Ainsi, l'argument opposé aux initiants peut très bien être retourné aux opposants. Le peuple cotisant n'a pas à payer pour le remboursement de situations que l'usage a qualifié "de confort". L'avortement est un geste grave, c'est à ce titre, sous réserve de "détresse" et de "détresse profonde", que le peuple suisse a admis sa dépénalisation. La multiplication des milliers d'occurrences semble plutôt prouver que l'on a sombré dans la généralisation, pour ne pas dire l'industrialisation, d'un phénomène qui, au sens de la loi, eût dû rester extrêmement limité.
Jean-François Steiert a d'ailleurs perçu cet argument, qui tente de le contrer:
"Enfin, la réflexion sur la responsabilité a également surpris la majorité de la commission en ce qui concerne la proposition de contracter une assurance privée spécifique pour les cas d'avortement. Elle présuppose en effet que les femmes qui procèdent à une interruption de grossesse le font de manière calculée et prévisible et seraient à même de conclure en temps utile une assurance idoine, ce qui est manifestement absolument irréaliste."
Or M. Steiert semble oublier que c'est là le principe même de l'assurance, la prévoyance. Toute personne qui se sait susceptible de solliciter un jour un traitement complémentaire contracte une assurance du même nom. Un exemple entre mille, les lunettes.
Santé
A la suite du débat, l'UDC Toni Bortoluzzi a évoqué le principe de responsabilité individuelle de la Constitution quand on lui opposait celui d'une totale égalité, l'accusant, forcément, de vouloir y déroger. Il a surtout plaidé pour une définition plus serrée de la notion de santé évoquée par l'art. 119 CP, la notion de détresse ne signifiant rien en termes légaux ou médicaux et créant de fait un flou juridique constant.
Yvonne Feri (PS, AG) évoquera la responsabilité du père, celle-là même que le PS refuse à grands cris depuis 50 ans, pour appuyer un droit exclusif de la femme sur son corps d'éliminer un corps étranger. La question reste juste cependant, les hommes devraient pouvoir être associés aux frais comme à la décision.
Yvonne Gilli (PES, SG) reconnaîtra quant à elle que "chaque avortement est un avortement de trop", mais refusera d'entrer dans un "débat moral" arguant que "l'avortement n'est pas une affaire privée". De toute évidence, pour la gauche parlementaire, la liberté d'avorter est privée, la responsabilité est publique et à charge de la collectivité...
Petite passe d'arme entre les Conseiller Bortoluzzi et Aubert (PS, VD):
"Monsieur Bortoluzzi, nous, parlementaires, vivons de nombreuses semaines dans l'année, ici, de manière peu saine: nous nous bougeons peu, nous mangeons trop, sans parler peut-être de la boisson, et nous prenons des risques pour notre santé. Devrions-nous aussi montrer l'exemple de la responsabilité individuelle et payer hors LAMal nos éventuels problèmes de santé ?"
Réponse de Bortoluzzi:
"Voyez-vous, ma conviction est que vous considériez au mieux votre santé comme le maintien d'un bon état d'esprit, le fait de ne pas s'acharner dans l'obstination et d'avoir un peu d'humour dans la vie. C'est la meilleure attitude pour rester en bonne santé. Regardez-moi! (Rires)"
Guerre des chiffres
En tête des arguments, les chiffres. Des chiffres ridiculement bas, en baisse depuis la légalisation (les partisans de la dépénalisation avançaient, avant la dépénalisation de 2002, plusieurs dizaines de milliers d'avortements clandestins par an sur la base de spéculations hasardeuses ne reposant sur rien de sérieux). L'argument fera le tour des sièges de la gauche jusqu'au Conseiller fédéral Berset.
Van Singer Christian (V, VD):
"Le taux d'interruption de grossesse en Suisse est très faible en comparaison d'autres pays européens. Le nombre d'interruptions volontaires stagne depuis l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales à 0,68 pour cent. Pour les moins de 16 ans, il a baissé: 123 interruptions de grossesse en 2007, 80 en 2011. Les mesures de prévention qui accompagnent la prise en charge par la LAMal ont donc un effet positif. Le coût de ces interventions représentent une infime part des coûts à la charge de la LAMal: 0,03 pour cent. "
Rossini Stéphane (PS, VS):
"Ainsi, depuis 2002, le nombre d'interruptions de grossesse n'a proportionnellement pas augmenté. La Suisse reste ainsi caractérisée par un taux bas, qui résulte d'une politique de prévention et d'une politique sociale de qualité. Quant aux conséquences économiques, leur impact sur les coûts de la santé est quasi nul, puisque cela représente 0,03 pour cent des coûts. De plus, les craintes d'abus formulées par les initiants se sont avérées parfaitement infondées."
Moret Isabelle (PLR, VD):
"L'introduction du régime du délai n'a pas entraîné en Suisse d'augmentation du nombre d'interruptions de grossesse. Ce nombre est aussi très faible en comparaison européenne."
Amaudruz Céline (UDC, GE), reprenant les termes de son interview au Matin, et qui, après avoir fait campagne, n'ira même pas voter:
"Le coût de l'avortement est de 8 millions de francs par an, soit 0,03 pour cent des coûts à la charge de l'assurance-maladie, et que l'avortement concerne moins de 0,7 pour cent de femmes en Suisse"
Reynard Mathias (PS, VS), qui prend la dictée du grand frère Rossini:
"Depuis 2002, les scénarios catastrophes annoncés par les milieux anti-avortement n'ont pas eu lieu. Au contraire, le système a fait ses preuves; le nombre d'interruptions de grossesse n'a absolument pas augmenté, malgré la croissance de la population".
Indépendamment du fait, d'ailleurs, que lesdits milieux n'avaient pas annoncé d'autres catastrophes que celle de l'avortement lui-même. A la défense de M. Reynard, il avait 14 ans au moment des faits dont il prétend se souvenir...
Berset Alain, conseiller fédéral (PS, FR):
"Le nombre d'interruptions de grossesse dans notre pays a diminué depuis l'entrée en vigueur de la loi, passant d'environ 12 500 en 2001, à moins de 12 000 en 2002 et environ 11 000 à partir de 2003, chiffre que l'on retrouve en 2011. Donc le nombre d'interruptions de grossesse s'est stabilisé chez les femmes entre 15 et 44 ans, mais on doit constater qu'il continue de baisser chez les adolescentes entre 15 et 19 ans: il est passé entre 2005 et 2011 de six interruptions par an pour 1000 femmes à moins de cinq interruptions par an pour 1000 femmes, ce qui correspond à environ vingt pour cent de réduction."
De très nombreuses citations donc, sur l'ensemble de l'échiquier politique, pour tenter de minimiser la sombre réalité de ce grand malheur qu'est l'avortement, ce que tous s'entendent à reconnaître, en se congratulant sur la base de chiffres, 11'000, 12'000, qu'il est convenu de considérer comme bas.
L'argument repris en choeur par les Conseillers nationaux socialistes et jusqu'au Conseiller fédéral Berset est celui d'une baisse des avortements dès 2003, laquelle serait symbolique d'un effet apaisant et régulateur de la dépénalisation sur le phénomène de l'avortement. "Le système a fait ses preuves" assure Mathias Reynard, il faut dire que durant la campagne, le PS avait avancé des chiffres archaïques comptabilisant pas moins de 50'000 avortements clandestins annuels en Suisse; nous y reviendrons. La tentative était aujourd'hui de convaincre, par la différence entre les chiffres de 2002 et 2003, d'une diminution provoquée par la légalisation.
Or, de l'aveu même de l'Office fédéral de la statistique (OFS) lors d'un communiqué daté de 2007 (p. 3): "Jusqu'en 2003, les données proviennent, pour une large part, des cantons et, pour une faible part, d'estimations de l'Union suisse pour décriminaliser l'avortement (USPDA)". Confier la collecte de données statistiques à une association impliquée de façon militante dans le débat peut paraître déjà peu objectif. Mais quand on apprend que ladite association, suite aux votations de 2002, s'est dissoute en 2003 et que l'on comprend par conséquent que ces chiffres, dont on ne sait rien ni de l'origine ni du mode de collection, ont été réunis par une personne seule, l'on découvre l'objectivité de nos autorités sous un jour nouveau. Ainsi, les chiffres qui font aujourd'hui référence pour appuyer les arguments d'un gouvernement, sont en fait ceux dont un Etat pourtant moderne et équipé au niveau statistique a confié la récolte à une dame seule, âgée de 65 ans. Dame dont la formation se résume au demeurant à un diplôme d'interprète et à trois ans de cours de danse...
En outre, dans les premières années, certains cantons rechignaient à renseigner sur les critères de comptabilisation (Bâle fit même l'objet d'un début de procédure). Selon certaines associations opposées à l'avortement, l'écart inexplicable statistiquement entre l'accroissement de la population et la moyenne des chiffres ne peut s'expliquer que par la comptabilité des avortements médicamenteux au titre de fausses couches. Les avortements médicamenteux par Mifegyne, pratiqués d'ordinaire jusqu'à la 7e semaine de grossesse, provoquent effectivement des fausses-couches, c'est le principe. Ces occurrences sont réputées être prises en compte dans la statistique des avortements mais seraient en fait présentées comme fausses-couches naturelles pour garder des taux les plus bas possibles. Affirmation qui reste encore à vérifier, cela va de soi. Subsiste la question des avortements médicamenteux par Norlevo, abortif d'urgence jusqu'à 72 heures après la conception, présenté comme un contraceptif et qualifié le plus souvent de "pilule du lendemain", ce qui explique que, nonobstant l'effet strictement abortif, celui-ci soit regardé "culturellement" comme contraceptif. Le fait est en outre que ce type de produit peut s'obtenir en pharmacie ou chez le médecin traitant et que l'OFS n'a pas fait la preuve d'une comptabilité précise des avortements conséquents à ce type de médication.
En 2008, Pharmasuisse démontrait, dans un calcul tendant à la baisse en raison du secret maintenu sur le chiffre réel des ventes en cabinet, que les ventes de Norlevo pour les femmes enceintes de moins de 16 ans avaient doublé en quatre ans (2003-2007) pour atteindre le chiffre hallucinant de 78'000 unités. Révélation qui fit bondir en son temps l'OFS. Reste la réalité du business: selon des sources industrielles autorisées, le chiffre absolu des ventes globales de Norlevo a augmenté de près de 250% ces dix dernières années. Partant, il paraît absolument invraisemblable que le taux d'unités d'abortifs écoulées ait connu une telle augmentation et que celle-ci soit restée sans le moindre effet sur la statistique. En effet, ces dix dernières années, la statistique d'avortement n'a pas bronché comme le fait remarquer très justement Mathias Reynard: "Le nombre d'interruptions de grossesse n'a absolument pas augmenté, malgré la croissance de la population". Un gros effort de transparence dans les critères de comptabilisation est attendu de l'OFS dans une quête de la réalité statistique qui paraît encore beaucoup trop empreinte d'idéologie.
De l'idéologie, le Parlement n'en n'a pas manqué, en cas de refus du peuple de payer pour les erreurs d'autrui, la gauche de brandir le spectre de l'avortement clandestin. Ainsi Van Singer Christian (V, VD):
"Elle entraînerait une incitation à pratiquer des interruptions de grossesse en dehors du cadre légal. Mais que veulent donc les initiants? Un retour des faiseuses d'anges? avec tous les risques et les souffrances que ces pratiques entraînent?"
Sans parler, bien entendu, de la souffrance de l'enfant comme de la mère. Alors que les partisans nient la capacité du foetus à ressentir la douleur avant 26 à 40 semaines, le Sénat des Etats-Unis a introduit un texte de loi pour que soit reconnue la capacité de souffrance pleine et entière dès la vingtième semaine. L'USPDA, qui reconnaît tout de même, quoique très à la baisse et sur la base de chiffres vieillis, le risque de mort conséquent à un avortement, qualifie les dégâts psychologiques sur les femmes ayant subi une interruption de grossesse "d'invention des milieux anti-avortement", alors que ceux-ci ont été pourtant dûment documentés par la littérature scientifique.
Enfin, dans cette forêt d'inexactitudes et de dénis scientifiques, la palme reviendra à la Conseillère nationale socialiste bernoise Margret Kiener Nellen, qui chiffrera entre 20'000 et 50'000 les avortement clandestins avant l'introduction de la dépénalisation, soit un ratio de deux à cinq fois plus d'avortements sous un régime contraignant que sous un régime permissif. Tout cela pour promouvoir à nouveau la légende improbable d'une division par 2 ou par 5 une fois que la chose est vue comme permise et remboursée. Il s'agit en fait des chiffres du Prof. Heinrich Stamm, des chiffres remontant à il y a près de... 50 ans et qui ont été démontés par la profession depuis belle lurette, ce qui ne semble pas avoir éveillé l'attention de Mme Kiener Nellen.
En conséquence, l'influence des chiffres sur le poids global de l'avortement sur l'assurance-maladie ne paraît pas avoir été présentée de façon réaliste ni très objective.
Le viol
La question ô combien émotionnelle de la grossesse successive au viol n'a pas été évitée, loin de là. Les occurrences sont heureusement rarissimes mais existent néanmoins bel et bien, nonobstant les cas de guerre où le viol est utilisé comme véritable arme de soumission. D'innombrables études, mêlant psychologie de la victime et notion de consentement ou d'autres encore faisant état de dispositions physiologiques permettant de prévenir la fécondation dans certains cas de viol, se confrontent depuis plusieurs années; l'enjeu étant évidemment idéologique. Le fait est que la probabilité d'une grossesse après un rapport non consenti existe. Le fait est encore qu'un avortement est loin de représenter une thérapie pour le viol mais permet d'éliminer la question dans le contexte d'une offre pléthorique en matière d'avortement et d'un encadrement quasi nul pour qui souhaite explorer d'autres possibilités. Des cas de femmes désirant garder leur enfant malgré un cas de viol sont déjà survenus. Ces femmes sont au mieux incomprises, au pire abandonnées.
Les initiants, conscients de la nature du problème, ont bien évidemment exclu les avortements conséquence de viol de leur texte. Evidence rappelée par l'UDC Thurgovienne Verena Herzog à la séance du matin, ce qui n'empêchera pas sa collègue de parti Céline Amaudruz de cultiver à nouveau le doute sur les intentions des initiants l'après-midi. L'UDC neuchâtelois Yvan Perrin mettra le doigt sur la difficulté de la définition du viol dans les procédures pénales: "J'ai travaillé durant 22 ans dans la police, ce qui m'a permis de constater que les enquêtes en matière de viol sont très délicates. C'est souvent la parole de l'auteur contre la parole de la victime"; quand l'insécurité généralisée s'invite dans les débats éthiques... Reste qu'il est admis que la question de la grossesse successive à un viol est une exception rarissime. Exception qui, par amalgame, a permis de fournir une justification de la pratique de l'avortement à la totalité des grossesses non désirées.
Le père
Entre deux références horrifiées au spectre de l'ordre moral, la responsabilité de l'homme, en filigrane du viol, a tout de même été évoquée. "Comme si les femmes étaient les seules responsables du contrôle des naissances" s'exclame la socialiste genevoise Maria Bernasconi, reconnaissant toutefois que ledit contrôle n'est pas la panacée ("Il y a d'ailleurs aussi des méthodes modernes de contraception qui ne sont pas infaillibles") et feignant d'oublier le programme de subvention des primes maladie ("beaucoup de femmes peinant déjà à payer leurs primes d'assurance-maladie de base"). Mathias Reynard corrobore: "Je tenais à m'exprimer brièvement sur cette initiative populaire, en premier lieu pour prouver que la question débattue aujourd'hui ne concerne pas que les femmes, contrairement à ce que certains laissent entendre". Le jeune socialiste, qui n'en n'est plus à un paradoxe près, affirmera deux lignes plus bas que les femmes doivent cependant pouvoir faire leur choix "de façon autonome". Le débat ne concerne pas que les femmes, "contrairement à ce que certains laissent entendre", mais en fait si... Allez comprendre.
Moins grandiloquent, le socialiste jurassien Pierre-Alain Fridez: "Ma pratique professionnelle m'a conduit régulièrement à rencontrer des patientes, parfois des couples, confrontés à cette problématique. Des couples, car il ne faut pas oublier le rôle et la responsabilité du partenaire masculin, malheureusement pas toujours présent." L'on se souvient enfin du Conseiller Steiert, cité en début de cet article: "Il [l'argument des initiants] réduit la responsabilité individuelle à la femme dans la mesure où c'est elle qui devrait assumer les coûts de l'intervention ou s'acquitter de la prime de l'assurance complémentaire alors que, sous une forme ou une autre, toute grossesse implique la participation d'un homme, du moins jusqu'à nouvel avis [...] la responsabilisation exclusive de la femme serait un retour en arrière."
Voilà peut-être enfin un élément de solution, rendre obligatoire la responsabilité solidaire du père en termes, notamment, de couverture d'assurance. La reconnaissance en paternité est une procédure courante dans le cadre de la détermination des pensions alimentaires, la technique actuelle des analyses ADN permettrait à la mère d'annoncer le père putatif, de demander ladite reconnaissance en paternité avant même la naissance et, ainsi, de contraindre le père à participer aux frais. Actuellement, les femmes doivent attendre plusieurs années pour toucher le dédommagement des frais de grossesse et d'accouchement, lesquels frais ne sont pas tous déduits à 100%, idem en cas d'avortement; et ce sans parler des franchises. L'implication des pères dans la responsabilité commune de leurs actes permettrait de répartir les coûts de l'avortement de façon plus égale et plus juste.
Autre domaine de solution exploitable, le même Pierre-Alain Fridez rappelle "qu'une méthode de contraception n'est jamais sûre à 100 pour cent [.] Les accidents existent et tomber enceinte n'est pas obligatoirement un choix délibéré". L'explicitation du risque statistique lié à une confiance aveugle dans des moyens de contraception même sophistiqués fait défaut dans les programmes de santé sexuelle. Il convient de combler cette lacune et de présenter une vision réaliste des risques et conséquences dans les programmes d'éducation.
Refus du débat
Céline Amadruz avait déjà manifesté son refus de l'initiative au motif que "sur l’avortement, le débat a déjà eu lieu". Pour Alain Berset, "le Conseil fédéral estime qu'il faut se souvenir du débat d'il y a dix ans et respecter la volonté populaire qui a été exprimée en 2002", volonté populaire qui avait ouvert une dépénalisation d'exception pour les cas de "détresse" et de "détresse profonde" et certainement pas pour des milliers de cas par an.
En 2002, le Conseil fédéral, dans sa brochure d'explication, p. 11, assurait citoyen que: "L’interruption de grossesse ne sera pas décidée à la légère. Une femme ne décide jamais à la légère d’interrompre sa grossesse. Les nouvelles dispositions évitent d’ailleurs que cette décision ne soit prise de façon précipitée, puisqu’elles imposent à la femme enceinte de faire valoir qu’elle se trouve dans une situation de détresse". Or, la notion de détresse n'existant pas en droit suisse, elle ne nécessite aucun moyen de preuve. Une réalité rappelée par l'UDC valaisan Oskar Freysinger: "La femme doit faire valoir une situation de détresse mais n'a à présenter aucune preuve qui puisse être vérifiée. Cela signifie que tout dépend de sa déclaration, elle a juste besoin de dire: « Je suis dans la détresse »."
Un débat que ne veut pas entendre Maria Bernasconi, qui accuse les initiants de moralisme, ce qui les exclurait de fait de toute capacité démocratique: "Cette volonté de vouloir forcer les gens à vivre selon vos préceptes moraux est - comme l'a dit très justement ce matin Monsieur Wermuth - le propre de systèmes dictatoriaux. Or nous vivons dans une démocratie et le peuple s'est prononcé clairement pour la solution des délais."
Pour Mathias Reynard, ce n'est pas le débat sur l'avortement mais celui sur son financement qui a déjà eu lieu: "Il y a dix ans, le peuple suisse acceptait par 72 pour cent des voix le régime des délais. Ce texte plébiscité par la population helvétique contenait l'obligation pour l'assurance-maladie de rembourser les frais découlant d'une interruption de grossesse." Argument repris par le Conseiller Steiert: "Cet aspect figure de manière circonstanciée dans l'argumentation du Conseil fédéral publiée avant la votation du 2 juin 2002". Or, dans sa brochure d'explication, le Conseil fédéral se contente de dire que: "Quant aux coûts occasionnés par les interruptions de grossesse, ils sont déjà à la charge de l’assurance maladie obligatoire actuellement." Ce qui est faux, évidemment, le texte de la révision du code pénal ne comprenait pas cela, mais la Commission des affaires juridiques du Conseil national avait demandé en 1998 que le droit de la LAMal soit adapté systématiquement: "Etant donné que la commission n'est pas compétente pour la modification de la loi sur l'assurance-maladie, elle a transmis le projet aux Commissions de la sécurité sociale et de la santé publique, en les priant de veiller à ce qu'une modification éventuelle de la LaMal entre en vigueur en même temps que les modifications du code pénal". Cette modification de la LAMal était attachée à la révision du code pénal lors de la même votation (p. 8) sans que le Conseil fédéral se donne même la peine d'en dire le moindre mot. C'est ainsi que le remboursement des avortements au sens de l'art. 119 a passé la rampe, en catimini.
Pour ce même Mathias Reynard enfin, oser relancer le débat sur un point dont l'issue fut favorable au parti socialiste alors, est "une injure pour toutes celles et tous ceux qui se sont engagés si longtemps pour obtenir ce droit". La démocratie, une injure ? Mais que penser alors du parti socialiste qui, plus de 20 ans après la sacro-sainte expression populaire, continue de demander l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne ?
Refus de l'objection de conscience
Un peu d'histoire, à l'origine de l'initiative "Financer l'avortement est une affaire privée", il y a le combat sans pitié de la gauche pour tomber les assurances dites éthiques. Après 2002, les vaincus de la solution des délais, qui ne veulent avoir aucune part avec ce qu'ils considèrent comme l'élimination arbitraire d'un être vivant revêtu des caractéristiques propres à l'humain, avaient développé un système permettant de déclarer leur intention de ne pas soutenir le financement de la politique d'avortement.
Le système permettait à certaines caisses-maladie d'offrir aux signataires d'une charte éthique des rabais sur les assurances complémentaires en échange d'une renonciation à certaines prestations comme l'avortement. Les compagnies d'assurance manifestèrent rapidement de l'intérêt pour ces populations souvent composées de familles nombreuses et aux valeurs en harmonie avec un mode de vie réputé plus sain et moins volontiers pathogène. Dès 2006, les milieux de gauche, dirigés par Josef Zisyadis, lancèrent une campagne des plus virulentes et même une motion parlementaire pour faire interdire ces rabais, lesquels relevaient pourtant du droit contractuel et de la plus simple liberté économique. Les partisans de la solution des délais emboîtèrent le pas avec l'aide, notamment, d'une certaine presse. La campagne eut pour faire effet de faire fuir certains partenaires même si le système existe toujours et continue de rencontrer le succès.
La violence de cette campagne acharnée contre la simple expression de leur liberté individuelle a poussé les initiants à demander que le caractère privé du choix "autonome", pour reprendre M. Reynard, de l'avortement soit enfin reconnu. C'est essentiellement cette pensée que le Conseiller national UDC valaisan Oskar Freysinger a traduite par son intervention:
"Ce qui me blesse particulièrement dans ce débat, c'est l'agressivité, les insultes que subissent les gens qui ont le malheur de soutenir cette initiative populaire. On parle de "Moyen-Age", de "talibans", de "théocrates", d'"hypocrisie", de "cynisme", etc. Que ma position soit clairement définie ici: je respecte la démocratie et le peuple a voulu la solution des délais. Donc on ne doit pas remettre en question cela puisque nous, qui sommes dans cette salle, sommes des démocrates et que nous faisons acte de démocratie.
Je conçois aussi que l'avortement est un cas de conscience qui ne concerne que la personne pour laquelle la question se pose. Je n'ai pas le droit de la juger, elle, en tant que personne, mais j'ai malgré tout le droit de ne pas cautionner cet acte. Je ne peux cautionner cet acte de par ma conviction personnelle, même si je ne juge pas la personne qui a dû prendre cette décision. Ce que je ne veux pas, c'est être coresponsable d'un acte que je considère comme éthiquement et moralement inacceptable. Cela n'engage évidemment que moi, c'est une conviction personnelle que je n'impose à personne. J'imagine que, si on a une vision matérialiste athée du monde, on voit les choses différemment et qu'on peut les voir différemment, je le concède. Mais j'ai moi aussi le droit d'avoir ma vision, qui est différente, que je n'impose à personne, et j'aimerais qu'elle soit respectée sans qu'on m'insulte dans cette enceinte, de la même manière que je m'abstiens d'insulter ceux qui pensent différemment de moi.
Or le système actuel qui veut que l'assurance-maladie de base rembourse les coûts des avortements fait de moi un complice involontaire du sacrifice de vies. Pour moi, ce sacrifice est un acte insupportable. Ma conviction est que le degré d'évolution d'une société se mesure à l'importance qu'elle accorde à la vie, à toute forme de vie humaine. C'est pour ça que je suis contre la peine de mort, que j'ai beaucoup de peine avec l'euthanasie. En effet, la vie est à la disposition de personne à mes yeux. Aucune raison d'Etat, aucun principe supérieur ne justifie la mort d'une personne, ne justifie le sacrifice d'une vie. La société humaine, et c'est ce qui la rend profondément humaine, doit promouvoir la vie et pas la mort.
L'assurance-maladie, comme son nom l'indique, doit servir à la survie des êtres humains, à la guérison des gens, c'est là son but.
Or, vouloir guérir un bébé en le tuant, en l'éliminant est un remède beaucoup trop brutal pour que j'accepte d'en être le complice, le complice indirect et involontaire par le truchement des primes d'assurance-maladie. Que certaines femmes avortent, en tant que démocrate, je suis contraint de l'accepter. C'est leur cas de conscience, mais qu'on ne me demande pas de cofinancer, ni donc de me rendre complice, d'un acte que moralement je ne puis accepter.
J'estime donc ici avoir un droit à l'objection de conscience dans un domaine qui est beaucoup trop grave pour que je m'en fasse le complice. Voilà ma position. On peut bien sûr ne pas la partager, avoir une vision totalement différente, mais je crois qu'une société telle que la nôtre, qui se veut évoluée, doit d'abord avoir à coeur de soutenir la vie et de garantir à ses citoyens d'avoir, dans certains domaines, le droit de faire valoir leur objection de conscience."
Pour mémoire, l’art. 119 al. 1 du code pénal autorise de fait l’avortement jusqu’au 9ème mois, la protection du nouveau-né en droit suisse n’étant effective que dès les "premières douleurs de l’accouchement". Autorisation qui paraît contraire à certaines dispositions du droit international, partie intégrante du droit suisse, notamment la recommandation de l’OMS de 1977, fixant la viabilité de l’enfant à vingt-deux semaines d’aménorrhée, ou encore celles relatives au droit à la vie des personnes des art. 2 CEDH et 6 al. 1 et 2 du pacte ONU II (la notion de personne se conjuguant à l’aune de celle, plus large, d’être humain de l’art. 10 al. 1 de la Constitution fédérale ainsi qu’à celle de la dignité qui lui est attachée) ou celle enfin de la protection de la vie in utero de l’art 6 al. 5 ONU II.
Les versions originales de la source font foi, les traductions ont eu à coeur de préserver le sens général.
Ah ah Fardel, ce n’est pas beau de copier-coller les arguments de la gauche, c’est nous contraindre à faire de même avec les réponses de la droite:
“van Singer Christian (G, VD): Cher collègue, est-ce que dans la même logique vous admettez et vous encouragez les objecteurs de conscience, les pacifistes convaincus, qui par éthique ne peuvent pas admettre qu’il y ait des armées, à ne pas cofinancer l’armée?
Freysinger Oskar (V, VS): Nous ne sommes pas dans la même logique, puisque cette armée suisse pourrait, dans un cas de guerre, sauver votre vie. Vous seriez à ce moment-là très content qu’il y ait des soldats qui défendent vos droits démocratiques, les droits de votre famille, le fait que votre femme ne soit pas violée, que vos enfants ne soient pas tués, grâce à cette contribution que vous avez apportée. Nous avons une armée purement de défense, j’insiste sur ce point, qui jamais n’agressera un autre pays et qui vous garantit vos droits élémentaires. Cela n’a rien à voir avec une situation d’avortement dans laquelle un bébé innocent, sans pouvoir codécider, est tué dans le ventre de sa mère. Nous ne pouvons pas comparer les deux situations, je suis désolé.” (http://www.parlament.ch/ab/frameset/f/n/4908/405908/f_n_4908_405908_405909.htm)
Et oui, avant de parler d’égalité, encore faut-il admettre les réalités discernées
@Matthieu
La chirurgie esthétique est légale et constitue aussi un acte médical. Doit-elle être logiquement remboursée ?
Je veux bien Mathieu! Mais l’enfant mal venu n’est pas une maladie. Plutôt un “accident”.
Un souvenir surgit. Pendant mes dernières années d’activité une petite somme était déduite chaque mois sur mon salaire. Entre deux et trois francs. Je ne me souviens plus du libellé de ces prélèvements. Il était question de maternité! Et peut être d’une solidarité assortie. Je ne sais plus, mais ça surprend! Surtout si accouchements et avortements sont couverts par l’assurance maladie. Peut-on m’éclairer?
Et si tous les anti-militaristes demandait une diminution de 5% de leur impôts fédéraux refusant le financement de l’armée? Idem avec certains écolos et la route ? Etc, etc,… On peut trouver quantités d’exemples à 2 balles comme ça. Le peuple suisse a accepté de légaliser l’avortement, qui est un acte médical donc remboursé. Le principe d’une démocratie, en particulier de la démocratie directe suisse, et de se plier à la volonté de la majorité! Cette initiative veut simplement revenir sur quelque chose qui a déjà été décidé il y a plus de 10 ans!! Il n’y a aucune raison de revenir là-dessus.