A propos des deux Yézidies qui ont reçu le prix Sakharov

   
Michel Garroté - Deux jeunes femmes irakiennes, membres de la communauté yézidie, ont reçu le prix Sakharov pour la liberté de l'esprit, mardi 13 décembre 2016, au Parlement européen. Elles s'appellent Nadia Murad et Lamia Haji Bachar. Toutes deux ont été enlevées et utilisées comme esclaves sexuelles par l'Etat islamique avant de parvenir à s‘échapper. Elles ont appelé à traduire les chefs de l'EI devant la Cour pénale internationale. C'est une très bonne idée : la CPI devrait, en effet, s'occuper, plus souvent, des dictateurs et tortionnaires musulmans, plutôt que de se concentrer essentiellement sur des Africains et des Balkaniques.
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A ce propos j'aimerais revenir ici sur la vie du père Patrick Desbois, vie qui ressemble à un « long rendez-vous » avec la mémoire, rendez-vous qui l’a mené sur les traces de la Shoah et le conduit à enquêter sur la persécution des Yézidis par le groupe jihadiste Etat islamique (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : Ce prêtre catholique de 61 ans au verbe direct et chaleureux, peu à cheval sur l’étiquette, troque volontiers le col romain pour l’habit civil. Son quotidien n’est pas commun pour un ecclésiastique, avec des séjours répétés dans les camps de réfugiés du Kurdistan irakien. Là, avec un ex-policier rom, Nastasie Costel, il a interviewé 110 rescapés des exactions visant les Yézidis, minorité kurdophone confessant une foi préislamique.
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Les deux enquêteurs viennent d’en tirer la substance d’un livre, « La Fabrique des terroristes » (Fayard), écho au sort tragique d’hommes assassinés, de femmes réduites à l’esclavage sexuel, d’enfants drogués et enrôlés comme futurs soldats. L’Onu estime qu’environ 3'200 Yézidis restent aux mains de l’EI. Apprenant l’hébreu, sensibilisé à la lutte contre l’antisémitisme, le prêtre devient en 1999 – et jusqu’à l’été dernier – directeur du service de l’Eglise de France pour les relations avec le judaïsme. Cinq ans plus tard, avec la bénédiction du cardinal Lustiger et de responsables juifs, il fonde l’association Yahad In Unum (ensemble, en hébreu comme en latin) pour mieux faire connaître la « Shoah par balles » menée par les Einsatzgruppen nazis en Union soviétique.
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Depuis, le collectif international, qui compte aujourd’hui 25 collaborateurs (chercheurs, traducteurs, vidéastes…), a répertorié plus de 1'900 sites d’exécutions et filmé près de 5'000 témoignages. « Je pense que le modèle des Einsatzgruppen est le prototype des massacres actuels », dit le père Desbois. « Avec Auschwitz, on croyait que les génocides étaient entrés dans l’ère de la modernité industrielle. Mais qui dit camp dit traces, mémoire, photos. L’archaïsme est redevenu la norme pour échapper à la justice, à la mémoire martyre ». Ainsi de la persécution des Yézidis, que le prêtre a en ligne de mire depuis une rencontre, là encore presque fortuite. Quelques mots échangés dans un salon de Molenbeek (Belgique) avec un jeune barbier issu de cette minorité.
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Le père Desbois pressent qu’il tient là un nouveau terrain d’enquête, après les tueries de l’Est européen et les massacres au Guatemala. L’EI a appliqué début août 2014 « une méthodologie particulière, disloquant les familles dès l’arrestation », et s’abattant sur femmes, hommes, enfants. « On focalise sur les filles, mais tout le monde est martyr », souligne le père Desbois. Son équipe réunit une matière « disponible pour la justice » internationale. « Nous sommes dans une démarche scientifique. Le père Desbois du début, avec ses petites caméras, c’est fini », assure le prêtre, même s’il dit être resté l’enfant né dans une « famille simple, sans grande théorie », qu’il était.
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Critiqué hier par certains historiens pour sa méthodologie et sa communication sur la « Shoah par balles », le président de Yahad in Unum ne rejette pas les polémiques : « parfois elles nous aident à être plus précis ». Comment tenir face à des témoignages éprouvants ? « Par la prière et la solitude », répond le père Desbois. Et la contemplation des petites victoires, au contact d’évadés « qui ne sont pas les esclaves » voulus par l’EI, mais des « êtres humains » pleins de dignité (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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Introduction et adaptation de Michel Garroté pour https://lesobservateurs.ch/
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http://www.ladepeche.fr/article/2016/11/04/2452287-shoah-yezidis-pere-desbois-pretre-combat-memoire.html
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© 2016 AFP
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