Révélations – L’ingérence russe dans la présidentielle US

   
Michel Garroté - "Contre Trump la résistance s’organise" ; "Une myriade de manifestations contre Trump". Voilà les grands titres de la presse, le 20 janvier 2017, jour de l'investiture de Donald Trump. On croit rêver. Trump a été élu dans un pays qui est un Etat de droit, une Nation libre et démocratique. Il a été démocratiquement élu. Et que raconte la presse ? Elle raconte que "la résistance s’organise" et qu'il y a une "myriade de manifestations".
-
Le titre le plus hallucinant, c'est "la résistance s’organise". Résistance ? Serions-nous en 1940 ? Le nouveau locataire de la Maison blanche serait-il un "Führer", un "Duce", un "Caudillo", un "Conducator" ? Les Etats-Unis seraient-ils devenu une dictature nationale-socialiste ?
-
Mais ce qui m'a le plus "fasciné", ces derniers mois, c'est la thèse fumeuse, selon laquelle, il y aurait eu "ingérence russe" dans la présidentielle US : Trump serait donc le candidat de Poutine, du Kremlin, du FSB (l'héritier du KGB). Et nous serions ainsi en pleine Guerre mondiale (terré dans mon bunker en Suisse, j'entends le bruit assourdissant des obus qui pleuvent ; la fin du monde est proche).
-
Or donc, il y aurait eu et il y aurait encore "ingérence russe" (il y a peut-être eu "tentative d'ingérence russe", mais rien de plus...). Et dans la foulée, il n'y aurait pas, il n'y aurait plus, "ingérence américaine" en Europe, en Ukraine, en Syrie ou "ingérence française" en Afrique...
-
A ce propos, Rafael Poch (*), journaliste à 'La Vanguardia', écrit notamment, dans une remarquable analyse (extraits adaptés ; voir liens vers sources en bas de page) : Dans les années quatre-vingt-dix, l’ingérence de Washington en Russie a été déterminante pour la ruine et la criminalisation de l’économie russe. Beaucoup de décrets de privatisation et d’autres aspects essentiels ont été rédigés directement à Washington.
-
Des gens comme le vice-secrétaire du trésor US Lawrence Summers, donnait directement des instructions en matière de code fiscal, TVA et des concessions d’exploitation de ressources naturelles et les plombiers de l’Harvard Institute for International Development, sous le parrainage de l’USAID, Jeffrey Sachs, Stanley Fisher et Anders Aslund, avaient autant d’influence que les ministres.
-
Sous la baguette d’Andrei Kózyriev (1992-1996), la politique extérieure russe était aux mains d’une marionnette de Washington qui a été mise comme récompense à la tête de l’entreprise pharmaceutique étasunienne ICN après être révoqué.
-
Le grand projet géopolitique pour la Russie des stratèges de Washington comme de Zbigniew Brzezinski était de dissoudre le pays dans quatre ou cinq républiques géopolitiquement insignifiantes - un scénario que la Russie n’a jamais envisagé pour les Etats-Unis, ni dans les moments les plus forts du pouvoir soviétique et dont le précédent historique le plus proche est le projet de dissolution de l’URSS par le "Reichsministerium für die besetzten Ostgebiete" sous la conduite du nazi Alfred Rosenberg.
-
Lors des présidentielles de juin/juillet 1996, la complicité des États-Unis a été la clef pour faciliter le financement illégal de la campagne de Eltsine et la manipulation de renseignements qui l’a accompagnée, ce qui a empêché une probable victoire communiste.
-
Que beaucoup de tout cela eut été consenti et même favorisé par la classe politique russe dont le principal souci à cette époque était de se remplir les poches, ne change pas grande chose au sujet : après, quand avec Poutine la priorité a été la stabilisation de l’acquis et la récupération de la Russie, Washington a promu les révolutions de couleurs dans divers pays de l’environnement russe et a toujours appuyé ce scénario en Russie même, en soutenant, d’un point de vue économique et informatif, les organisations non gouvernementales et les défenseurs de droits de l’homme dont l’action était favorable à ses intérêts.
-
La clé de la récupération russe au début du 21ème siècle a été la soumission du complexe énergétique aux intérêts de l’État. C'est alors qu’on s’est aperçu que Poutine mettait fin la « bananisation » de la Russie, alors que Washington avait parié sur le magnat Mijail Jodorkovski.
-
Propriétaire de Yukos, la plus grande compagnie pétrolière russe, et principal bénéficiaire de la privatisation énergétique des années quatre-vingt-dix, Jodorkovski se préparait à défier électoralement Poutine. En 2003, il se disposait à tracer pour cela des liens économiques stratégiques avec l’Occident, comme la vente d’un tiers des actions de Yukos à l’Exxon-Mobil, pour 22.000 millions de dollars, la construction d’un oléoduc vers la Chine et d’un terminal pour l’exportation vers l’Occident à Mourmansk, avec lequel il cherchait à déterminer l’exportation de brut.
-
Tout cela non seulement cassait le pacte que Poutine avait établi avec les magnats, pour les acquisitions des privatisations en échange de la non ingérence politique et la soumission à l’État, mais privait le Kremlin du principal atout géopolitique pour la récupération de la Russie : l’usage de sa puissance énergétique.
-
Jodorkovski, « a adopté des décisions qui affectaient le destin et la souveraineté de l’État et qu’on ne pouvait pas laisser dans les mains d’un seul homme guidé par ses propres intérêts », a expliqué Poutine en son temps. Jodorkovski a été emprisonné et immédiatement soutenu par l’Occident jusqu’à sa remise en liberté.
-
Ce type d’ingérence dans les affaires de la Russie fut une constante - tout russe le sait - et remet à sa place le présumé scandale des hackers russes dans la campagne électorale étasunienne. La réalité simple est que, dans l’hypothèse la plus extrême et indémontrable - avec Poutine pilotant personnellement l’opération - toute cette affaire est assez innocente.
-
Plus encore : à côté de ce qu'Eduard Snowden a révélé après avoir démontré sur pièces, l’existence du Big Brother et son contrôle mondial des communications par les États-Unis à travers la NSA, cet épisode (de la soi-disant "ingérence russe" dans la présidentielle US) ressemble beaucoup à une mascarade, conclut Rafael Poch (fin des extraits adaptés ; voir liens vers sources en bas de page).
-
Introduction & Adaptation de Michel Garroté pour https://lesobservateurs.ch/
-
http://blogs.lavanguardia.com/paris-poch/2017/01/07/rusia-riesgos-agravios-74312/
-
http://www.elcorreo.eu.org/Rusia-riesgos-y-agravios
-
http://www.elcorreo.eu.org/La-Russie-risques-et-offenses
-
(*) Rafael Poch a été pendant vingt ans correspondant de 'La Vanguardia' à Moscou et à Pékin. Auparavant, il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest. Il a été correspondant en Espagne de 'Die Tageszeitung', rédacteur de l’agence allemande de presse DPA à Hambourg et correspondant itinérant en Europe Centrale et Orientale de 1983 à 1987. Actuellement, il est le correspondant de 'La Vanguardia' à Paris.
-
Cet article a été traduit de l’espagnol vers le français, pour 'El Correo de la diaspora', par Estelle et Carlos Debiasi.
-