Psychologie des foules : le désir de croire plutôt que de savoir

La psychologie des foules permet d'expliquer bon nombre de comportement actuels liberticides.

À la suite des analyses portant sur les techniques de manipulation des masses dans une démocratie libérale puis sur un antécédent historique de manipulation réussie de la foule, il est possible de déterminer quel est le ressort de celle-ci au regard de la crise actuelle. Sans guère de surprise, l’irrationalité peut se déverser sans retenue une fois les digues morales et légales levées ou effondrées.

Les libertés, premières victimes expiatoires de la psychologie des foules

Dans toute situation d’urgence la première victime ce sont les libertés : le réflexe est bien connu, et toujours employé par tous les régimes avec l’assentiment, voire l’appui, des populations administrées. C’est une première constante qui ne s’est jamais démentie au fil des épreuves passées et présentes. Comme si les libertés étaient, plus encore que la variable d’ajustement, la cause de tous les malheurs de ce monde. Cela révèle en sus la profondeur des convictions libérales des dirigeants occidentaux actuels. L’autre constante est la suspension souvent pérenne desdites libertés. Une fois la victoire obtenue (et l’on sait que celle-ci est souvent différée à dessein), les libertés sont rarement rendues ou si tel est le cas, elles sont d’office placées sous tutelle (administrative et/ou technologique). Comme si les libertés étaient l’arme de l’ennemi alors qu’elles sont précisément le révélateur de qui est notre ennemi.

Curieuse approche de régimes souvent prompts à invoquer des droits fondamentaux lorsque leur emprise commerciale et militaire est menacée en quelque point du monde mais bien plus lents à les restaurer ou à les étendre en leur propre domaine. Sur ce point, le principe mimétique semble particulièrement absent : telle pourrait être la parabole de la baïonnette (à l’extérieur des frontières) et du bâillon (à l’intérieur d’icelles).

L’autre limitation à ce retour des libertés ou à leur extension tient à la désagrégation de l’universalité de ces libertés au profit de libertés redistribuées sur des bases professionnelles, linguistiques, ethniques, confessionnelles, politiques, biologiques, médicales etc. Ce saucissonnage des libertés est matois car par pure stratégie politique, il crée une scission artificielle en rompant le contrat social tout en dissolvant la notion de droits fondamentaux. De la sorte, en situation d’urgence les libertés peuvent être réduites, suspendues ou augmentées à la carte selon le bon vouloir des autorités et le degré d’allégeance du groupe bénéficiaire.

C’est ce qui peut expliquer que dans le cas où les autorités publiques désignent un corps d’individus responsable de tous les maux, les libertés peuvent être levées à son encontre sans objection par les autres composantes de la population. Une fois la situation bien en main, l’hallali peut être sonné comme annonçant le rituel sacrificiel accepté par tous ceux n’étant pas concernés par la mise à mort (sociale dans un premier temps puis physique dans son aboutissement ultime). Mieux encore, la majorité de la population, travaillée par le processus de déshumanisation du groupe visé, est appelé à participer à cet élan purificateur.

Les individus, secondes victimes expiatoires de la psychologie des foules

C’est de la sorte que s’exprimait si bien le philosophe français René Girard (1923-2015) :

Les persécuteurs finissent toujours par se convaincre qu’un petit nombre d’individus, ou même un seul peut se rendre extrêmement nuisible à la société tout entière, en dépit de sa faiblesse relative.

Car lorsque par ses représentants, principaux ou secondaires, un régime conditionne des individus pour les manipuler en flattant leurs instincts les plus primaires et brutaux, aucune limite légale et morale à ses excès ne saurait dès lors exister. A fortiori lorsque les tenants de l’État ont déjà prévu de se déresponsabiliser des conséquences sur leurs servants fanatiques. Combien il est commode pour ce même régime de masquer, d’étouffer ou encore d’éradiquer les contestataires privés de représentativité et encore moins de dignité.

 

Dans une situation où l’ordre ordinaire est bouleversé, où le pire est préparé par ceux qui devraient nous en préserver, les quelques îlots d’intelligence et de sagesse sont peu de chose face à une folie d’essence mystique.

C’est ce qu’assène une fois encore le penseur français :

La foule tend toujours vers la persécution car les causes naturelles de ce qui la trouble, de ce qui la transforme en turba ne peuvent pas l’intéresser.

Car les individus ordinaires veulent croire plus que savoir. Il est nécessaire de répéter pour que ce point central soit bien assimilé par tout lecteur : les individus ordinaires veulent croire, non point savoir.

L’existence d’une société baignant dans la surabondance informationnelle est sans effet sur cet invariant de l’humanité : glissant de la vie au trépas sans y avoir eu quelque prise, le superfétatoire nourrit l’existence de l’individu ordinaire. Mais c’est aussi l’essence de la valeur du principe fondamental de liberté, celle du choix.

Être un libéral humaniste, c’est être conscient de cette réalité intemporelle et intangible aux fins de n’en louer que davantage les individus éclairés formant l’avant-garde d’une société reposant sur le libre arbitre et l’acceptation de la responsabilité de ses choix.

Or, l’Histoire nous apprend douloureusement que les sociétés humaines s’en remettent rarement à de tels hommes et femmes, et préfèrent confier leur destinée à des êtres vils, cupides et cruels mais parfaitement aptes à dompter la foule, quitte à la dresser contre une partie d’elle-même pour s’éviter un sort funeste. Ce sont souvent de très fins psychologues des foules.

Et qui mieux que Gustave Le Bon (1841-1931) pour disserter sur cette vérité faisant écho à des siècles de distance à Étienne de la Boétie (1530-1563) ?

Ce n’est pas le besoin de la liberté, mais celui de la servitude qui domine toujours dans l’âme des foules. Elles ont une telle soif d’obéir qu’elles se soumettent d’instinct à qui se déclare leur maître.

La double erreur des instruits

Les êtres instruits sont parfois aveuglés par des biais qui leur font omettre la réalité des affaires politiques. Une double erreur est généralement à l’œuvre dans leur cécité.

La première erreur est d’ordre juridique. Elle consiste pour les constitutionnalistes à affirmer qu’un carcan de règles puisse entraver cette réalité historique cyclique. Désapprenant qu’une démocratie libérale est tout autant corruptible que tout autre régime si ses éléments de vie, les électeurs en ce cas précis, sont démissionnaires ou pervertis dans leur rôle de sentinelles.

L’autre erreur est d’ordre technologique. Elle consiste à s’illusionner qu’une innovation ou un niveau technologique est à lui seul à même de garantir la prospérité et la stabilité d’une société. C’est par cette certitude d’une supériorité sur les invariants humains que les régimes même libéraux peuvent s’enfoncer précisément là où la technologie devait les en éloigner.

La logique des constitutionnalistes et des technophiles trouve précisément sa limite en ce point : l’absence du versant émotionnel dans le contrôle des foules comme déjà explicité en une analyse précédente.

Le contrôle des foules nécessite de procéder obligatoirement par le canal émotionnel, et non le canal rationnel. Ce dernier est entièrement inefficace pour disposer à sa guise d’une population, et encore moins pour les opposants de la modifier.

Croire plutôt que savoir, une fois encore.

C’est ce qu’énonçait en une formule lapidaire le romancier américain Charles Bukowski (1920-1994) :

Le problème avec ce monde c’est que les gens intelligents sont pleins de doutes alors que les imbéciles sont pleins de certitudes.

Dans les moments de crise agissant comme une loupe psychosociale, la médiocrité et la sublimité des individus est démultipliée.

Mieux qu’un esprit libre : une confédération d’esprits libres

La plus grande croyance de ce début de XXIe siècle est celle de se persuader que les démocraties libérales sont encore vivantes. Elles ne sont en réalité que des régimes zombies dont l’état de décomposition résulte moins de l’action des dirigeants qu’à l’impassibilité et la crédulité des populations et plus encore, à l’inaction des gens de bien comme l’énonçait avec grande justesse le penseur anglais John Stuart Mill (1806-1873).

Le plus dangereux dans ce type de situation est l’excitation des foules, lesquelles reporteront leurs frustrations diverses sur les cibles que l’on aura pris soin de leur présenter (par les titulaires de la puissance publique suppléés par les prêtres cathodiques). Dans un régime zombie, les garanties juridiques sont inexistantes, la parole publique sans valeur et les forces aux ordres sans pitié.

Le paradoxe est que si l’esprit libre répugne à manipuler les foules, il se met en danger par son isolement et sa position de victime toute désignée face à une foule excitée par des dirigeants sans scrupules. Chaque esprit libre doit se regrouper en confédération avec ses frères et ses sœurs, investir les citadelles du pouvoir et du savoir, questionner les individus pour instiller le doute dans la foule, rallier les forces intérieures et mobiliser les forces productives, en somme créer les conditions de sa survie dans un premier temps et du succès de la lutte dans un second.

La vulgate marxiste a longtemps fait accroire au rôle central et moteur du peuple dans les changements historiques majeurs. Pourtant même le révolutionnaire Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine (1870-1924), prônait le concept d’avant-garde menée par des professionnels de la révolution, ce qui en faisait, soit dit en passant, un féroce contempteur du gauchisme opposé à cette approche (il y dédia par ailleurs un ouvrage intitulé La maladie infantile du communisme).

En 1775 lorsque les Insurgents américains se dressèrent contre la puissante monarchie britannique, les notables, les manufacturiers, les savants et les artisans d’Amérique étaient soudés par l’esprit des Lumières, avec en toile de fond le désir de justice fiscale. Ce corpus philosophique joua énormément dans la solidité des liens et la résilience de ses membres face à un adversaire numériquement supérieur et entraîné professionnellement mais dont le seul objectif demeurait le rétablissement de l’ordre, fut-il le plus injuste possible. Quelle meilleure preuve que ces loyalistes marchant aux côtés des Britanniques, autrement bien plus nombreux que les rebelles à la couronne ? Ce qui ne les empêcha pas au sortir du conflit de déposer les armes aux pieds de ces volontaires levés au cri de « Liberté ».

Un homme animé par le désir de liberté pour lui, ses frères et ses sœurs, aura toujours l’ascendant sur celui qui ne lutte que pour garantir la stabilité d’un régime inique : le premier sait pourquoi il lutte, le second croit en celui ou ce pourquoi il lutte. Le sachant contre le croyant.

source: https://www.contrepoints.org/2021/12/20/417185-psychologie-des-foules-le-desir-de-croire-plutot-que-de-savoir

Biais de normalité : Pourquoi on n’a pas vu venir le Coronavirus

Écoutez mon livre audio gratuitement (avec l'essai Audible) : https://marketingmania.fr/go/empire-a... Il y a encore quelques semaines, on pouvait se dire que le Coronavirus c’était plus ou moins une vilaine grippe. Les choses ont basculé vite - plus vite que ce beaucoup d’entre nous attendaient. Dans cette vidéo, je veux vous parler de psychologie humaine : évaluation des risque, inaction, panique... Et on va parler de communication et de comment persuader les gens de rester chez eux, quand ils n’ont pas forcément envie d’écouter.