“Israël attaque l’Iran” – Et si c’était vrai ?

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Michel Garroté -- L'Iran ne cesse de livrer des missiles balistiques à ses milices chiites alliées en Syrie, au Liban et en Irak. Or, les Iraniens connaissent les capacités israéliennes et savent que l'Etat Hébreu possède des bombes anti-bunker intelligentes fabriquées par les Etats-Unis pour frapper les bases de missiles balistiques en Iran, en Syrie, au Liban et en Irak et pour frapper les sites nucléaires iraniens. A noter que le programme nucléaire iranien est dispersé sur tout le pays, le nombre de sites varie de 12 à 20, voire plus. Les installations ont été construites en gardant à l'esprit les capacités américaine et israélienne et sont protégées par un système de défense antiaérienne moderne russe. L'élément essentiel du programme nucléaire iranien est sans doute l'usine de Natanz.
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1'600 à 1'900 km à vol d'oiseau :

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Le cœur de ce site est la zone des centrifugeuses, installées sous terre dans une structure renforcée. Mais même si Israël limitait ses cibles, il faudrait quand même qu'il attaque d'autres sites. Par exemple, l'usine d'enrichissement d'uranium de Fordo - elle a accueilli 3,5 % de l'uranium enrichi de Natanz - près de Qom, qui est hautement fortifiée. Ou l'usine de conversion d'uranium d'Ispahan, l'usine de production d'eau lourde à Arak et les centrifugeuses qui sont situées près de Téhéran. Il y a près de 1'600 kilomètres à vol d'oiseau entre Israël et le site de Natanz. Comme les deux pays n'ont pas de frontière commune, les avions ou les missiles israéliens devraient survoler un espace aérien étranger - et hostile - pour parvenir à leur objectif. La méthode la moins risquée pour toucher Natanz, serait d'envoyer des missiles balistiques à moyenne portée Jéricho I ou III.

Cependant, pour aller aussi loin, les missiles devront avoir une tête plus légère et on peut douter que celle-ci puisse s'enfoncer suffisamment dans le sol pour obtenir le degré de destruction souhaité. L'option la plus probable reste donc l'envoi de chasseurs bombardiers fabriqués aux Etats-Unis. Les Israéliens possèdent vingt-cinq F-15 l et une centaine de F-16 l. Le F-15 l peut transporter quatre tonnes de carburant dans ses réservoirs internes, ses réservoirs conformes et des réservoirs détachables. Ce qui lui permet de parcourir environ 4'450 kilomètres. Il pourrait encore étendre son rayon d'action en se ravitaillant en vol. Le F-16 l a un rayon d'action plus grand qui permettrait à l'aviation israélienne d'attaquer des objectifs situés bien à l'intérieur du territoire iranien sans devoir se ravitailler.
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Réaction saoudienne :

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Si on part du principe que l'attaque se ferait par avion, reste à savoir par où les appareils passeraient pour toucher des objectifs situés à 332 kilomètres à l'intérieur du territoire iranien. Ils peuvent passer soit par l'Arabie Saoudite, soit par l'Irak, peut-être même par la Jordanie. Chacune de ces routes représente un aller de 1'600 à 1'930 kilomètres. Dans l'option Arabie Saoudite, les avions partiraient du sud d'Israël, entreraient dans l'espace aérien saoudien par le golfe d'Aqaba, le survoleraient sur 1'287 kilomètres pour arriver à hauteur du Golfe puis feraient 483 kilomètres dans l'espace aérien iranien. Comme l'armée de l'air israélienne ne possède pas d'avions furtifs, on peut raisonnablement s'attendre à ce que les appareils soient détectés pendant qu'ils survolent l'Arabie Saoudite.
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L'Arabie Saoudite craignant le programme nucléaire iranien, elle détournera les yeux et affirmerai n'avoir rien remarqué. L'Arabie saoudite a déjà fait savoir qu'elle n'est pas hostile à des frappes israéliennes en Iran. Si Israël choisit de passer par l'Irak, sa force de frappe partira du sud d'Israël, fait 483 à 644 kilomètres dans l'espace aérien saoudien, ou à la fois saoudien et jordanien, pénètre dans l'espace aérien irakien le plus tôt possible, puis parcourt les 805 kilomètres de l'Irak au Golfe persique. Passer par l'espace aérien irakien risque de poser des problèmes politiques.
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Même si les troupes américaines ont officiellement quitté les lieux, une traversée du pays ne pourra se faire sans que les Etats-Unis ne le sachent et même sans leur autorisation. La question, c'est de savoir si les chasseurs bombardiers israéliens peuvent mener cette mission sans se ravitailler. Le rayon d'action de combat - la distance qu'un appareil peut parcourir aller et retour sans se ravitailler - est difficile à calculer et dépend de l'armement embarqué, des réservoirs de carburant externes, du profil de la mission, etc. Le rayon d'action de combat d'un F-15 l ou d'un F-16 l équipé de deux réservoirs conformes, de deux réservoirs d'aile, d'un armement correct est selon les meilleures estimations de près de 1'690 kilomètres.
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Chacune des deux routes possibles fait 322 kilomètres de plus. L'appareil pourrait être équipé d'un réservoir externe supplémentaire mais cela nécessiterait une réduction de l'armement, ce qui ne serait peut-être pas un problème compte tenu de la précision des armes dont dispose Israël. Reste la solution du ravitaillement en vol, mais ce serait délicat car il devrait se faire en terrain hostile. Les Israéliens peuvent réussir en théorie, mais le risque d'échec est élevé. S'ils décident d'attaquer le site de Natanz, ils devront causer des dégâts suffisamment importants dès la première attaque parce qu'ils ne pourront pas procéder à des frappes sur les autres installations. Ce dernier point est encore sujet à discussion.
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Les ethnies minoritaires en Iran :

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Enfin, précisons que l’Iran n’est pas un bloc ethniquement ou religieusement homogène. Si le cœur du pays et la majorité de la population sont persans chiites (65% de la population totale), le reste est composé de minorités diverses que l'Etat d'Israël peut armer et soutenir s'il le souhaite.
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Il y a les Azéris, en majorité chiites, qui représentent à peu près 15% de la population totale. Il y a aussi les Kurdes, qui vivent pour la plupart dans la province kurde de l’Ouest, ou les Baloutches, dans le Sistan-Baloutchistan, près de la frontière avec le Pakistan, deux communautés sunnites - les sunnites représentent 10% de la population iranienne - ainsi que les Arabes chiites de la province du Khouzistan dans le Sud-Ouest, à la frontière avec l’Irak. Tous ces groupes se plaignent de discrimination. Dans le Sistan-Baloutchistan par exemple, alors que les sunnites représentent 75% de la population, ils n’ont que 6% des postes gouvernementaux. Quant au Kurdistan, le taux de chômage pour les jeunes de 15 à 24 ans y est de 41%, alors que la moyenne nationale est de 25%.
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Michel Garroté pour lesobservateurs.ch
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Etats-Unis et Israël : accord secret sur l’Iran

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Michel Garroté  --  Israël et les États-Unis ont élaboré, lors d'une rencontre secrète à la Maison-Blanche, un programme stratégique conjoint visant à contenir l'Iran. Le 12 décembre 2017, une délégation de fonctionnaires israéliens de la Défense, conduite par le conseiller israélien à la sécurité nationale Meir Ben-Shabbat, est arrivée aux États-Unis. Au cours de la visite, ils ont rencontré leurs collègues américains supervisés par le conseiller à la sécurité nationale du Président des États-Unis, Herbert McMaster.
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Au bout de deux jours de pourparlers, les États-Unis et Israël ont signé un Mémorandum de compréhension mutuelle (memorandum of understanding) sur le problème iranien. Le Mémorandum prévoit la création de quatre groupes de travail pour régler plusieurs questions clés relatives au programme offensif nucléaire et balistique iranien, et, à la livraison d'armes dans la région.
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Les quatre groupes de travail :
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Le premier groupe s'occupera d'une tâche secrète et diplomatique visant à contrer le volet militaire du programme nucléaire iranien. Le deuxième groupe travaillera à limiter la présence militaire de l'Iran dans la région, notamment en Syrie et au Liban. Le troisième groupe de travail cherchera à contenir le programme balistique de l'Iran et à limiter les tentatives de livrer des missiles iraniens au Hezbollah.
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Enfin, le quatrième groupe travaillera sur l'escalade de la tension dans la région qui est influencée par l'Iran. Des fonctionnaires israéliens de haut rang ont confirmé fin décembre 2017 que Washington et Jérusalem ont abouti à un accord stratégique sur le problème iranien.
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Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait déjà annoncé en novembre 2017 que son pays interviendra militairement dans la guerre civile syrienne si le président Bachar venait à autoriser l’Iran à implanter des bases militaires en Syrie.
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Le volet russe :
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Le directeur des services russes de renseignements extérieurs, Sergueï Naryshkin s'était rendu à Jérusalem le jeudi 29 novembre 2017, où il avait examiné les moyens de rallier Israël au plan de paix russe pour parvenir à une solution politique à la guerre civile syrienne. Sergueï Naryshkin avait déjà abordé le sujet avec le ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, le chef du Mossad, Yossi Cohen et le conseiller israélien à la Sécurité nationale, Meir Ben Shabbat.
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Michel Garroté pour LesObservateurs.ch
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L’Iran tient-il le monde entier en otage ?

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Michel Garroté  --  La crise qui oppose la Corée du Nord aux Etats-Unis ne doit pas cacher le danger iranien qui risque d’être de même ampleur d’ici quelques années. L’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU Nikki Haley a dénoncé la mauvaise foi iranienne et fait état de violations répétées de l’accord de Vienne imposé au forceps par Barack Obama.
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L’ambassadrice a laissé entendre que le président Donald Trump pourrait officiellement déclarer au mois d’octobre que l’Iran ne respecte pas les accords signés avec les grandes puissances et qu’il aurait sur quoi se baser. Le président américain doit s’exprimer devant le Congrès au mois d’octobre à propos de cet accord qu’il a  combattu dès la première heure.
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Nikki Haley n’a pas mâché ses mots : « L’Iran tient le monde entier en otage. Cet accord est très limité et vicié et il était destiné à échouer ». Elle a toutefois indiqué que les Etats-Unis ne se retireront pas forcément de l’accord et que la décision finale reste la prérogative exclusive du président américain. Selon la loi américaine, le secrétaire d’Etat US doit prouver tous les trois mois au Congrès que l’Iran respecte les clauses de l’accord. Aux mois d’avril et juin, la réponse avait été positive mais rien n’est sûr pour le mois d’octobre.
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Michel Garroté pour Les Observateurs
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Les victoires de l’Iran doivent-elles nous inquiéter ?

   
Michel Garroté - Le président et mollah iranien Rohani a ordonné aux scientifiques de son pays d'entamer la conception et la production de moteurs à propulsion nucléaire pour le transport maritime. Une menace bien réelle puisque de tels navires peuvent utiliser de l'uranium hautement enrichi, qui sert aussi pour la fabrication d'armes nucléaires. Nos médias n'en parlent pas : car il faut "ménager" l'Iran des ayatollahs... Il est vrai que Iran Air vient de confirmer avoir commandé à Airbus 46 court-courriers A320, 38 long-courriers A330 et 16 A350. Les livraisons démarreront début 2017, la valeur du contrat est de 19 milliards d’euros...
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Dans une analyse documentée, Hana Levi Julian signale que les dirigeants iraniens ignorent les « lignes rouges », tracées autour de l’accord nucléaire JCPOA conclu avec les six dirigeants mondiaux, et signé à Vienne en juillet 2015 (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : la dernière violation porte sur une interdiction de voyage imposée au commandant Qassem Soleimani, commandant de la Force Qods iranienne, qui a été photographié lors d’une tournée d’Alep en Syrie le week-end dernier. Il est le général qui dirige les agents iraniens dans le monde, et selon le Washington Free Beacon, est également « directement responsable de la mort de plusieurs centaines d’Américains ». Soleimani dirige le Corps des gardiens de la révolution iranienne, qui a fourni des conseils militaires majeurs, et un soutien au régime du président syrien Bashar al-Assad, et qui est de plus intervenu directement en Irak et au Yémen. Les sources du Congrès et du ministère des affaires étrangères, ont déclaré au Free Beacon que les fonctionnaires de l’administration Obama travaillent à censurer les violations de l’Iran à cet accord, « parce qu’ils savent que cela les forcerait à prendre des mesures contre l’Iran. "Maintenant, ils ignorent même toutes les anciennes violations des Iraniens et les mesures coercitives encore en place. Ils feront n’importe quoi pour préserver cet accord à n’importe quel prix, encore pendant quelques semaines, afin de pouvoir blâmer Trump lorsqu’il volera inévitablement en éclat", a déclaré le Free Beacon, selon un rapport publié lundi 19 décembre, ajoute Hana Levi Julian (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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A propos de l'Iran, plus présicément l'Iran et la libération d'Alep, Jean-Sylvestre Mongrenier, Chercheur à l’Institut Français de Géopolitique de Paris-VIII et chercheur associé à l’Institut Thomas More, écrit notamment (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : Quelques jours après la chute d'Alep-Est, le conseil de sécurité a adopté un nouveau projet de résolution. Mais sa composition fait oublier le rôle de l'Iran et des milices chiites. l’écrasement des rebelles syriens sous les bombes et la chute annoncée d’Alep-Est suscitent commentaires et analyses sur la Russie. Envers et contre les faits, ignorants ou cyniques au petit pied persistent à présenter la politique de force de Poutine comme un aspect de la lutte contre l’« Etat islamique ». Dans cette affaire, le régime chiite-islamique iranien et ses milices paramilitaires ne seraient que des supplétifs régionaux, sans véritable poids propre.
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D’une part, les bombardements russes sur les populations et infrastructures civiles ne constituent en rien une contribution à la lutte contre l’«ennemi du genre humain», selon une formule empruntée au droit des gens, mais ils s’inscrivent dans un projet géopolitique simultanément revanchard et révisionniste. D’autre part, le dramatique épilogue de la rébellion à Alep constitue une victoire majeure pour Téhéran, le panchiisme et la volonté de puissance des Pasdarans (les Gardiens de la Révolution), placés sous la direction d’Ali Khamenei.
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Le thème de l’« arc chiite », expression qui recouvre cette logique d’ensemble, n’a pas été suffisamment pris au sérieux. Sous l’emprise des théories post-modernes de la « déconstruction », bien des politistes et des orientalistes ont voulu voir dans cette expression un simple discours (un « récit »), élaboré et manipulé par les régimes arabes sunnites et les puissances occidentales. Le régime iranien serait animé par le seul instinct de conservation et les minorités chiites du Moyen-Orient demeureraient irréductibles les unes aux autres, sans aucun liant ou sentiment de solidarité. Les ambitions nucléaires et balistiques de Téhéran ont été présentées comme un symptôme et une quête de reconnaissance internationale. Une diplomatie habile, un tant soit peu d’empathie stratégique et des concessions occidentales - le régime se voyant reconnaître un droit à l’enrichissement de l’uranium -, étaient censées résoudre le conflit géopolitique irano-occidental, apaiser les rancœurs, voire renverser la situation. La loi des intérêts bien compris, expliquaient les «docteurs Subtil», allait dissoudre les passions tristes et l’esprit de domination. L’engagement renforcé de Téhéran dans les développements de la guerre en Syrie est venu invalider la thèse du retournement géopolitique censé suivre l’accord nucléaire du 14 juillet 2015. En rupture avec l’exercice de «story-telling», destiné à préparer les opinions publiques occidentales, cet accord n’a pas permis d’amorcer un cercle vertueux et d’étendre les effets supposés bénéfiques de ce grand marchandage au théâtre syrien, à l’Irak ou au Moyen-Orient dans sa plus grande extension. Téhéran n’a pas exercé les pressions attendues sur Bachar Al-Assad, en vue de contribuer à la transition politique syrienne et au règlement pacifique du conflit. Bien au contraire, les dirigeants iraniens ont planifié, avec la Russie, une intervention militaire au profit du régime de Damas, contribuant ainsi de manière décisive à la survie d’un pouvoir meurtrier et à la perpétuation des fléaux qui s’abattent sur la Syrie, avec toutes leurs conséquences dans l’environnement régional. Il convient ici d’insister sur la réalité de ce front commun russo-iranien, une alliance politico-militaire que bien des spécialistes ont longtemps écartée de leurs schémas intellectuels. Avant même que les négociations sur le nucléaire soient achevées, la Russie annonçait la livraison de systèmes anti-aériens S-300 à l’Iran et des délégations des deux pays se concertaient sur la Syrie. L’accord à peine signé, le major-général de la force Al-Qods (l’outil d’intervention à l’extérieur des Pasdarans) se rendait à Moscou afin de nouer une étroite alliance au Moyen-Orient. Une fois mise en place une cellule de coordination entre Moscou, Damas et Téhéran, cette alliance, renforcée sur le terrain par le Hezbollah et des miliciens chiites venus d’Irak et d’Afghanistan (des Hazaras), a pris l’allure d’un front russo-chiite qui exaspère les clivages religieux du Moyen-Orient et polarise plus encore cette «zone des tempêtes». Sur le terrain, l’action combinée de l’aviation russe et de l’armée du régime de Bachar Al-Assad n’aurait pas suffi à faire tomber Alep-Est. Il est avéré que les nombreuses milices chiites qui opèrent sous le commandement des Pasdarans ont joué un rôle décisif.
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Parmi ces forces, le Hezbollah (le «Parti de Dieu») retient plus particulièrement l’attention. Reconnue en Europe et aux Etats-Unis comme une organisation terroriste, cette entité fut constituée en 1982, sous l’étroit contrôle de Téhéran. Trois ans plus tôt, l’imam Khomeini s’était emparé du pouvoir en Iran (février 1979) et la révolution chiite islamique balayait le Moyen-Orient, avec des répercussions et des contre-effets dans le monde arabe sunnite. Cette même année, l’URSS avait conduit un coup d’Etat à Kaboul (décembre 1979), puis envahi l’Afghanistan, des faits souvent oubliés lorsque l’on cherche à comprendre la situation actuelle de ce pays. Quant au Liban, il était plongé dans les guerres civiles et le chaos (1975-1990), le régime baathiste d’Hafez Al-Assad manipulant les différents camps pour parvenir à l’objectif d’une «Grande Syrie». Officialisée en 1980 et renforcée depuis, l’alliance entre Damas et Téhéran date de cette époque. Alors que Tsahal opérait au Liban-Sud, l’opération « Paix en Galilée » (1982) visant à chasser les organisations terroristes palestiniennes, le régime iranien mettait sur pied le Hezbollah afin de lutter contre l’armée israélienne et d’étendre la révolution chiite-islamique de part en part du Moyen-Orient. Ensuite, le «Parti de Dieu» a soutenu sans discontinuer la longue occupation syrienne du Liban (1990-2005) et, jusqu’à aujourd’hui, il est équipé de pied en cap par Téhéran. C’est alors que la Syrie est devenue le pivot territorial de l’«arc chiite», avec un débouché géographique sur la Méditerranée orientale (ou «bassin Levantin»).
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Le «Printemps arabe» (2011) et les développements de la guerre en Syrie ont depuis modifié le rapport des forces avec Damas. Initialement placé sous le contrôle du « parrain » syrien, le Hezbollah ne rend plus compte qu’à Téhéran. D’abord intervenu comme une force supplétive dans le conflit syrien, pour préserver le mausolée d’un lieu saint chiite situé aux portes de Damas (le mausolée de Sayyida Zeinab) et protéger une douzaine de villages chiites à la frontière syro-libanaise (2013), le «Parti de Dieu» a ensuite mené la bataille du Qalamoun (2014-2015), puis celle d’Alep (2016). Désormais, le Hezbollah déploie entre 5.000 et 7.000 combattants en Syrie, et Damas a perdu le contrôle du transit d’armes en provenance d’Iran. Le secrétaire général de l’organisation terroriste, Hassan Nasrallah, et son état-major sont associés aux décisions politico-militaires de Téhéran et des Pasdarans. Sur le théâtre syrien, le Hezbollah s’est assuré une base d’action dans la région de Qouneitra, au sud de Damas, sans que Bachar Al-Assad ait son mot à dire. Située à proximité immédiate du plateau du Golan, cette base s’ajoute aux positions occupées au Liban-Sud et elle doit permettre l’ouverture d’un nouveau front contre Israël. Pour ce faire, le « Parti de Dieu » monte de nouvelles milices armées.
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Au total, la « Machtpolitik » russe et son retour en force au Proche-Orient et dans le bassin Levantin ne sauraient occulter la montée en puissance de son allié iranien, tout à son projet de domination d’une vaste région, depuis la Caspienne et le golfe Arabo-Persique jusqu’à la Méditerranée orientale. Cette dynamique pourrait déborder la Russie dont les objectifs géopolitiques, en Syrie et au Moyen-Orient, sont plus limités ; la présence d’une force aérienne et d’un corps expéditionnaire limité ne pourra longtemps équilibrer l’engagement multiforme du régime iranien. L’erreur serait de croire que ce conflit ne concerne que lointainement l’Europe et, plus largement, l’Occident. Outre le fait que la chute d’Alep-Est pourrait marquer le passage à l’« afghanisation » du conflit, avec des conséquences gravissimes, le niveau des ambitions iraniennes laisse penser que la question nucléaire et balistique n’est pas close. Aussi l’Occident doit-il resserrer ses alliances régionales. En tout premier lieu, il importe de rappeler le lien intime avec Israël, sur le plan civilisationnel comme dans le domaine de la haute stratégie, ajoute Jean-Sylvestre Mongrenier (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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De son côté, Antoine Lacoste écrit notamment : La Province syrienne d'Idlib, deuxième front qui fait suite à celui d'Alep est nettement moins médiatique que le précédent. C'est pourtant là que pourrait se jouer une prochaine bataille majeure et c'est à cause de sa prise par les islamistes que Poutine a décidé l'intervention des forces russes en Syrie en septembre 2015. La province d'Idlib se situe au nord-ouest du pays. Elle est limitrophe de la Turquie au nord, et est bordée par la province d'Alep à l'est et celle de Lattaquié à l'ouest, symbole emblématique du pays alaouite (du nom de la religion à laquelle appartient la famille Assad). Une forte minorité turkmène y habite : elle est sunnite et très influencée par l'islamisme. Elle a donc bien évidemment rejoint les rangs de la rébellion dès 2012 et bénéficie depuis d'une base arrière idéale avec le voisin turc, dont elle est si proche religieusement et ethniquement. Le reste de la population est essentiellement sunnite mais quelques villages chrétiens existent encore. La province est assez vite tombée aux mains des islamistes, où le Front al Nosra (devenu Fatah al Cham) joue un rôle majeur, et seule la capitale Idlib restait aux mains des loyalistes. Tout a changé au printemps 2015 : une offensive conjointe de plusieurs groupes islamistes a isolé la ville qui est tombée après quelques jours de combats acharnés, malgré des raids massifs de l'aviation syrienne, trop imprécise. Les effectifs engagés n'étaient pas considérables des deux côtés mais l'essentiel était ailleurs : la chute d'Idlib ouvrait la voie vers la province de Lattaquié (appelée aussi la vallée alaouite) et, un peu plus au sud, vers la base navale russe de Tartous. La progression lente mais régulière des factions islamistes était suivie de très près par les observateurs militaires russes qui ont, au cours de l'été, acquis la conviction que l'armée syrienne ne tiendrait plus longtemps. Or la chute de Lattaquié aurait sonné le glas du régime. De plus, les Russes ne pouvaient tolérer que leur unique base navale méditerranéenne soit menacée. En septembre, Poutine ordonne donc l'inéluctable intervention russe, à laquelle l'armée se préparait d'ailleurs depuis quelques temps. Fort logiquement, c'est donc dans la province d'Idlib qu'a porté l'essentiel de l'effort russe dans les semaines qui ont suivi. Il fallait à tout pris desserrer l'étau qui menaçait Lattaquié. Bien sûr, comme Daech n'était pas présent dans le secteur, la grande entreprise de désinformation pouvait commencer: les Russes s'attaquaient à la rébellion modérée (le Front al Nosra !) et ne s'intéressait pas au seul ennemi identifié par nos journalistes incultes : l'Etat islamique. Quelques semaines plus tard, alors que le front s'est enfin stabilisé, l'impensable se produit : un chasseur turc abat un bombardier russe qui aurait violé l'espace aérien de la Turquie. Les deux pilotes s'éjectent : l'un, blessé, est capturé et massacré par des islamistes turkmènes. On découvre à cette occasion qu'un civil commandait ce groupe de quelques centaines d'hommes : un militant nationaliste turc, membre des Loups gris, présent sur ordre des services secrets turcs. L'idée est en effet d'annexer à terme la province, une fois la chute de Bachar accomplie; la forte minorité turkmène en serait le prétexte. L'intervention russe, évidemment, risquait de mettre un terme à cet ambitieux projet qui aurait prolongé l'annexion du Sandjak d'Alexandrette en 1939, réalisée à cause de la lâcheté de la France (nous y reviendrons dans un article ultérieur). Quant au deuxième pilote, il est exfiltré, non sans mal, grâce à une intervention éclair des forces spéciales russes. La réaction de Poutine sera très énergique et Erdogan devra faire de plates excuses quelques mois plus tard, marquant ainsi l'échec de sa tentative d'intimidation. On notera aussi que quelques hélicoptères turcs seront peu après abattus par des insurgés kurdes du PKK au moyen de missiles russes récemment livrés. La grande nouveauté c'est que depuis quelques semaines, l'activité militaire a repris dans la province d'Idlib, notamment depuis que la chute d'Alep est inéluctable. L'aviation russe a lancé de nombreux raids comme pour préparer le front suivant. Des chars syriens commencent à faire mouvement et une nouvelle bataille, difficile, pourrait prochainement commencer. Comme toujours, ce sont les Russes qui sont maîtres du calendrier et qui décideront du moment de l'attaque. Les Saoudiens, de leur côté, observent avec inquiétude, l'éventualité de ce nouveau champ de bataille. Car rien ne va plus pour leurs alliés : Daraya, dans la banlieue de Damas, est tombée cet été et Alep va bientôt suivre. Les alentours de Homs et de Hama sont progressivement nettoyés. La chute d'Idlib dans ce contexte serait une catastrophe. Alors les grands moyens vont être employés et la CIA est à la manoeuvre pour aider les amis de son fidèle allié. Son patron lui-même, John Brennan, s'est déplacé à Ryad en octobre dernier pour mettre au point la livraison aux islamistes de 500 lance-missiles antichars. Les Russes sont bien sûr au courant et équipent actuellement les chars syriens d'appareils électroniques de brouillage. Personne ne sait si le Département d'Etat américain approuve ces initiatives de la CIA mais celle-ci a acquis une autonomie d'action et de décision particulièrement inquiétante. Aux Etats-Unis aussi les conflits de pouvoir sont complexes. En tout état de cause, la bataille d'Idlib semble inéluctable et son issue victorieuse libérerait presque totalement l'ouest de la Syrie. Après ce sera Raqqua, capitale de l'Etat islamique, ajoute Antoine Lacoste.
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Introduction et adaptation de Michel Garroté pour https://lesobservateurs.ch/
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http://www.jewishpress.com/news/breaking-news/top-iranian-revolutionary-guard-corps-commander-violates-international-travel-ban/2016/12/19/
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http://www.challenges.fr/tribunes/la-chute-d-alep-est-et-la-montee-en-puissance-du-panchiisme_443765
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http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2016/12/19/deuxieme-front-majeur-en-syrie-la-province-d-idlib-5888947.html
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