Près de 20% des mutilations sexuelles féminines sont pratiquées par des fournisseurs de soin et cette tendance à la médicalisation augmente dans de nombreux pays exciseurs. Pour ce 6 février, Journée tolérance Zéro à l’égard des mutilations sexuelles, l’UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour la population et des associations internationales de sages-femmes et de gynécologues lancent un appel à la mobilisation de tous les soignants concernés par cette pratique afin qu’ils contribuent à la faire cesser et à convaincre d’autres de suivre l’exemple.
Cela dit, l’UNICEF (et les autres organismes onusiens qui traitent de la question) persiste dans ses dénis et nous inflige les mêmes balivernes, soit un nombre -infiniment sous-estimé- de filles et de femmes affectées par ce fléau : plus de 130 millions de femmes et filles ont subi le couteau des exciseurs, dans 29 pays et 3 millions de filles sont mutilées chaque année affirme l’organe de l’ONU.
Elle tait les millions de femmes et filles excisées hors de son terrain quasi unique d’observation, l’Afrique… à deux exceptions près : le Yémen et tout récemment l’Irak grâce à une formidable ONG que j’ai interviewée, et à l’acceptation par le gouvernement kurde, puis irakien de laisser enquêter malgré les résistances des religieux musulmans.
L’Indonésie ignorée
Que cache l’UNICEF? Que de nombreux autres pays excisent, caractérisés par le tabou sur la sexualité et le refus des gouvernements de laisser l’ONU et ses organes spécialisés enquêter. Impossible donc de connaître l’ampleur de cette pratique dans les pays suivants: Iran, Emirats Arabes Unis, Oman, Tadjikistan, Maldives, Thaïlande, Inde, Pakistan, Malaisie (à un haut degré) et «d’une manière très organisée et systématique en Indonésie»… qui compte 240 millions d’habitants, presqu’uniquement musulmans. En 2003, une enquête a montré que dans près des trois quarts des cas étudiés, les femmes ont subi une excision. On connait la sinistre pratique de Bandung où pour célébrer l’anniversaire de Mahomet, des centaines de filles sont mutilées chaque année dans d’affreuses souffrances sur des pupitres d’école.
Quelque 28% des femmes interrogées ont, elles, subi des pratiques «symboliques». Leur clitoris a été selon les cas gratté, frotté, piqué, étiré, brûlé, percé...
Une vaste enquête d’une université de Java publiée en 2009 confirme l’essentiel de ces constats, de même qu’un rapport d’Amnesty International de 2010. Dans les 17'000 îles que compte l’Archipel, il est difficile de connaître l’étendue du mal. Mais on sait qu’il est immense et en hausse.
Et pour couronner le tout, les autorités indonésiennes avaient, sous la pression des puissants oulémas, autorisé les hôpitaux à pratiquer les mutilations (softs soi-disant) en 2010. Une levée de bouclier les a contraintes à abroger ce décret en février 2014, mais elles ont simplement précisé que «toute pratique de circoncision féminine doit être faite en prenant en compte la santé et la sécurité de la fille ou de la femme». La honte!
En Malaisie (30 millions d’habitants, 18 de musulmans) la situation est très comparable à celle de l’Indonésie, et la bataille entre religieux conservateurs et anti-MGF bat son plein. La prévalence des MGF est aussi en augmentation. Mais les données manquent.
Des chiffres plus plausibles
Le chiffre avancé par l’UNICEF, trois millions de filles excisées par an, est un pur mensonge. En prenant le taux de prévalence le plus bas parmi 3 enquêtes différentes dans 27 pays d’Afrique, nous sommes arrivés à un total de plus de 5 millions de victimes par année. Et en incluant l’Indonésie avec un taux bien inférieur à la réalité, l’addition atteint 6,3 millions. (1)
Quoiqu’il en soit, que tant de filles subissent encore ces barbaries au 21e siècle est déjà proprement ahurissant. Alors, que le fléau augmente (avec un nouveau phénomène : des populations qui n’excisaient pas s’y mettent) est carrément obscène !
Au milieu des années 2000 déjà, l’ONU avait dû rectifier le nombre de fillettes excisées chaque année. Elle avait discrètement remplacé les deux millions avancés jusque-là par trois millions. Cinquante pourcent de plus! Depuis, elle répète obstinément ce chiffre.
Les cris de victoire à propos des villages africains qui décident de bannir les excisions ne sont pas très crédibles dans ce paysage : ils représentent une goutte d’eau dans un océan de barbarie.
Pour connaître des informations complémentaires, voir mon enquête «Mutilations sexuelles, les drôles de compte de l’ONU».
Et l’islam dans tout ça ?
L’ONG qui tente d’alerter sur les pays et les victimes ignorés, Stop FGM Middle East, se sent bien seule dans ce combat. Surtout que le discours traditionnel est systématique : rien à voir avec la religion. Et pourtant, les mutilations ont beaucoup à voir avec la religion musulmane. Dans de très nombreux pays, elle est un motif majeur invoqué par les mères pour poursuivre cette tradition. Les raisons avancées sont aussi (et c’est souvent lié) la prévention d’une libido débridée et une purification, car les organes génitaux des filles seraient « sales ».
L’islam radical progresse dans la sphère musulmane. La régression des mœurs et du statut des femmes en est une des conséquences. Cette régression favorise non seulement le maintien, mais l’extension de ces pratiques iniques. La perspective d’une interdiction par les autorités est quasi systématiquement combattue par les religieux.
Tous les pays exciseurs comprennent des communautés musulmanes. Au total, c’est dans des populations qui représentent plus de 300 millions de disciples de Mahomet qu’on mutile. Cette prédominance est confirmée par la composition de l’Organisation de la conférence islamique (OCI): parmi les 31 pays qui excisent (Indonésie et Malaisie incluses), 24 font partie de ce puissant lobby religieux de l’ONU. Mais jamais la moindre action n’a été entreprise par cette organisation ni par les leaders et leurs institutions (université Al-Azhar, Conseil des Oulémas, OCI, Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture, etc.) Et on attend vainement que nos soi-disant féministes musulmanes daignent bouger un cil. C’est pas dans le Coran, disent-elles, disent-ils ? Et alors ? Pas concernés par les barbaries des coreligionnaires, hors Coran ?
Ce serait si simple
Il n’est pas imaginable que les mutilations diminuent sérieusement et surtout rapidement sans une mobilisation religieuse. Elle serait d’autant plus efficace que les mères souffrent de cette torture infligée à leurs filles (elles l’ont connue) et que beaucoup d’hommes seraient prêts à l’abandonner. Que l’OCI consacre tant d’énergie à bâillonner les critiques de l’islam sans porter un seul regard sur ce fléau est abject.
Quant à l’ONU et aux pays occidentaux, il serait temps qu’ils ne se manifestent pas seulement 1 jour sur 365, mais à toute occasion. Par exemple, que nos dirigeants s’expriment lors de voyages dans des pays exciseurs ou lorsqu’ils reçoivent des délégués de leurs gouvernements. J’entends parler droits de l’homme chaque fois qu’une délégation va en Chine, je n’ai jamais su qu’un dirigeant se soit exprimé sur ce sujet lors d’un quelconque voyage officiel. Ils pourraient aussi conditionner l’aide au développement à des actions contre les mutilations. A l’ONU aussi, il serait bon de les entendre de temps en temps rappeler quelques réalités.
Et peut-être que dans un jour lointain, la Journée Tolérance zéro aura enfin un sens.
Mireille Vallette, 6 février 2015
(1)Tableau : estimation des mutilations génitales par an en Afrique