L'étude la plus complète à ce jour en matière de sciences de l'éducation est le Visible Learning de John Hattie. Compilant les données de plus de 200'000'000 d'élèves, elle est arrivée à la conclusion que le feedback (effet d'ampleur:0.73 soit plus que le double que la moins médiocre pratique constructiviste) était un des outils les plus puissants dans le domaine de l'enseignement (1). Mais en fait, qu'est-ce qu'un feedback?
Hattie définit le feedback de la manière suivante:
Feedback refers to the process of securing information enabling change through adjustment or calibration of efforts in order to bring a person closer to a well-defined goal. (2)
On peut donc considérer que le feedback est une rétroaction survenant après évaluation d'un travail oral ou écrit et permettant à une personne de se rapprocher d'un objectif bien défini. Il est donc possible de rendre des feedbacks suite à un questionnement oral ou un travail écrit, à une tâche simple comme à une tâche complexe. Son but est de permettre à celui qui est en situation d'apprentissage de bonifier sa pratique.
Contrairement à une idée reçue, le feedback ne s'adresse pas qu'à l'élève. Il est tout aussi précieux pour l'enseignant, celui-ci, même s'il est satisfait de sa prestation actuelle, ne pouvant jamais prétendre à la perfection. Etre à l'écoute de ce que les élèves ont à dire soit directement soit indirectement (on va y revenir) peut s'avérer fort constructif.
Le feedback qui s'adresse à l'élève peut viser, à mon sens, 5 différents objectifs:
il peut:
- signaler si ce que fait l'élève jusque là est juste ou faux
- expliquer à ce même élève pourquoi ce qu'il a fait est faux
- lui expliquer comment réaliser correctement la tâche qui lui est assignée
- lui proposer d'autres alternatives pour résoudre la tâche
- lui indiquer des pistes d'approfondissement/prolongement
En clair, le feedback permet de répondre à un besoin fondamental des élèves, à savoir indiquer comment bonifier sa pratique. Pour qu'un feedback soit le plus efficace possible, il faut que l'élève soit parfaitement au courant des objectifs à atteindre, sans quoi cela n'a pas beaucoup de sens. Il faut également qu'il soit motivant et que l'élève soit incité à investir de nouveaux efforts pour dépasser les difficultés qui sont les siennes: il doit donc porter sur les connaissances/tâches à effectuer ainsi que les stratégies pour y parvenir. En revanche, le feedback ne doit surtout pas porter sur la personne (3). Dire à un élève qu'il est nul ou bon n'a rien d'un feedback, ce sont des interactions qui ne favorisent pas son apprentissage.
De mon point de vue, le fait de signaler à un élève que ce qu'il a fait est faux n'est pas un feedback suffisant. Cela ne lui permet en effet pas de corriger son raisonnement et de repartir dans la bonne voie. Un bon feedback exprime clairement en quoi le raisonnement est faux et quel est le cheminement mental à suivre pour résoudre la tâche de manière efficace. Ce point permet de mesurer à quel point les approches par découverte se privent d'un des outils les plus performants qui soit: dans une véritable approche constructiviste, c'est la tâche elle-même qui est sensée bloquer le raisonnement de l'élève et ce sont les interactions avec ses pairs qui doivent lui permettre de corriger son raisonnement. L'enseignant ne devant surtout pas transmettre son expertise à l'élève qui cherche, cela réduit drastiquement les possibilités de feedback.
Le feedback constructiviste ne peut donc qu'être limité. Limité en intensité puisque pendant que l'élève est en activité, l'enseignant ne doit pas lui fournir tous les éléments nécessaires à une meilleure pratique mais simplement l'aiguiller mais également limité en nombre: un feedback complet, dans une perspective constructiviste, n'intervient qu'à la fin de la tâche.
En la matière, les constructivistes rejoignent parfaitement ceux qu'ils aiment tant à décrier: les enseignants qui font leur cours frontal, donne ensuite des exercices et ne recommencent leurs interactions avec les élèves qu'au moment de la correction. Leurs feedbacks se concentrent essentiellement à la toute fin du processus d'apprentissage (voir éventuellement dans des positions intermédiaires), ce qui laisse largement le temps aux élèves de vagabonder joyeusement d'erreur en erreur. Dans une perspective explicite en revanche, le feedback est continuel: dès lors que l'enseignant estime qu'il peut laisser les élèves travailler de manière autonome, il ne les laisse pas oeuvrer dans leur coin: en parallèle, il soumet les élèves à un déluge de questions permettant de tester la bonne compréhension et la bonne application du savoir nécessaire. Selon le travail oral réalisé par l'élève, le feedback sera plus ou moins conséquent, tout comme le questionnement en direction de l'élève en question. Dans l'idéal, ce travail oral va encore être suivi des feedbacks écrits (évaluation formative ou petite feuille par exemple) propres à des manières plus constructivistes ou traditionnelles de travailler.
De cette manière, l'enseignant ne laisse pas le temps aux erreurs de se développer: celle-ci sont prises en compte et analysées par l'expert qu'est l'enseignant qui décide alors de la meilleure manière de faire prendre conscience à l'élève en quoi son raisonnement est biaisé et comment l'améliorer et ce dès leur avènement. Ce qui nous amène à l'impact du feedback sur l'enseignant: lorsqu'un ou plusieurs élèves émettent des raisonnement erronés, l'enseignant peut, s'il est capable de remise en question, évaluer si son enseignement préalable était optimal ou non (4). Et donc ce qui doit changer pour une prochaine fois (ou même en cours de route). En provoquant des occurrences de feedback pour l'élève, l'enseignant en provoque donc aussi pour lui-même. Bien entendu, il peut tout aussi bien demander aux élèves ce qu'ils pensent de son enseignement. Avec le risque que ceux-ci ne soient pas tout à fait objectif et ne privilégient ce qu'ils préfèrent et non ce qui les fait le plus progresser.
Outre ces aspects qui font du feedback un des outils les plus puissants de l'arsenal éducatif, les conséquences secondaires de l'utilisation intensive du question/feedback en augmentent encore la portée: d'une part, le fait de briser à la racine les erreurs des élèves les aide à acquérir une meilleure estime de soi: lorsque les correctifs ont été faits suffisamment tôt et que donc les élèves arrivent à résoudre les tâches qu'ils ont à faire, leur sentiment d'auto-efficacité s'en trouve grandi au contraire des cas où ils n'arrivent pas à leurs fins ou que les corrections finales montrent qu'ils ont tout fait faux. Cette augmentation de l'estime de soi rejaillit sur la motivation: les situations où on se sent incompétents sont parmi les plus démotivantes qui soient. D'autre part, le bombardement continuel de questions/feedbacks auquel est soumis la classe permet de fixer l'attention des élèves sur le travail à effectuer et ne permet pas à l'esprit de vagabonder: un élève qui sait qu'il a de très fortes chances d'être interrogé est un élève qui, par définition, est nettement plus à son affaire qu'un élève qu'on laisse tranquille dans son coin ou qu'on laisse se débrouiller seul.
Une des grandes nouveautés qu'a apporté l'enseignement explicite au travail des enseignants est sa focalisation sur ce qui se passe après que la matière a été délivrée. Avec le feedback, l'enseignant se dote d'un instrument de bonification des apprentissages de ses élèves tout comme d'auto-perfectionnement qu'il aurait tort de négliger. Pour tout dire, il devrait même en abuser, notamment avec des élèves faibles. Les résultats sont décapants.
Stevan Miljevic, le 3 mars 2014
http://stevanmiljevic.wordpress.com
(1) http://visible-learning.org/hattie-ranking-influences-effect-sizes-learning-achievement/
(2) Hattie et Yates, "Visible learning and the science of how we learn", Routledge, NY, 2014, p.66
(3) Ibid p.70
(4) Ibidem