Islamisme palestinien et complot “juif”

Palestiniens-5

   
Michel Garroté - Pierre-André Taguieff est philosophe, politologue et historien des idées. Il est directeur de recherche au CNRS, rattaché au Centre de recherches politiques de Sciences Po. Il est notamment l'auteur de "Une France antijuive ? Regards sur la nouvelle configuration judéophobe" ; "Antisionisme, propalestinisme, islamisme", Paris, CNRS Éditions, 2015 ; et "L'Antisémitisme", Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2015. Ci-dessous, il analyse l'islamisme palestinien et le soit-disant complot "juif".
-
Pierre-André Taguieff : Pour comprendre comment s'est fabriquée, au cours de la période post-nazie, une nouvelle configuration antijuive dans une Europe professant le respect inconditionnel des droits humains, il faut procéder à quelques détours historiques et géographiques, bref sortir à la fois de l'histoire européenne et de l'actualité la plus récente. Dans cette recherche, le fil rouge est constitué par l'islamisation croissante de la judéophobie, à travers la place toujours croissante occupée par la « cause palestinienne » dans le nouvel imaginaire antijuif partagé désormais par les musulmans et les non-musulmans.
-
La « cause palestinienne » s'est ainsi transformée en cause arabo-islamique, comme par un retour à ses origines (les années 1920 et 1930), mais avec un point de fixation construit comme un mythe répulsif : le « sionisme », entité diabolisée érigée en ennemi universel (le «sionisme mondial»), et Israël, l'État jugé absolument illégitime et voué à la destruction. La réislamisation de la « cause palestinienne », dans le contexte d'une montée en puissance de l'islamisme dans le monde depuis les années 1990, a joué un rôle déterminant dans la production de la nouvelle judéophobie globalisée. Dans ce cadre, de vieilles accusations antijuives transmises par la tradition musulmane ont été réactivées et mises au premier plan.
-
Il en va ainsi du célèbre hadîth du rocher et de l'arbre, qu'on trouve cité dans la Charte du Hamas : Ainsi, bien que les épisodes soient séparés les uns des autres, la continuité du jihad se trouvant brisée par les obstacles placés par ceux qui relèvent de la constellation du sionisme, le Mouvement de la Résistance Islamique [Hamas] aspire à l'accomplissement de la promesse de Dieu, quel que soit le temps nécessaire. L'Apôtre de Dieu – que Dieu Lui donne bénédiction et paix – a dit : L'Heure ne viendra pas avant que les musulmans n'aient combattu les Juifs (c'est-à-dire que les musulmans ne les aient tués), avant que les Juifs ne se fussent cachés derrière les pierres et les arbres et que les pierres et les arbres eussent dit : Musulman, serviteur de Dieu! Un Juif se cache derrière moi, viens et tue-le. Un seul arbre aura fait exception, le gharqad [sorte d'épineux] qui est un arbre des Juifs (hadîth rapporté par al-Bukhâri et par Muslim).
-
Dans la propagande « antisioniste » sont recyclées aussi les accusations de meurtre des prophètes, de falsification des livres saints, de propension juive à mentir et à semer la corruption et la guerre civile. Dans la propagande « antisioniste » sont recyclées aussi les accusations de meurtre des prophètes, de falsification des livres saints, de propension juive à mentir et à semer la corruption et la guerre civile. D'où les stéréotypes négatifs indéfiniment exploités : les Juifs seraient fourbes et traîtres (en référence aux démêlés entre le Prophète et les Juifs de Médine), cupides et cruels, ennemis de Dieu et de l'humanité, corrompus et corrupteurs.
-
Mais il ne faut pas oublier pour autant le phénomène de transfert culturel des thèmes antijuifs européens au sein du monde arabo-musulman qui, commencé à la fin du XIXe siècle, a pris une ampleur croissante au Proche-Orient à l'occasion de la lutte engagée par les Arabes contre le sionisme aux lendemains de la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917. Le refus arabo-musulman de la création d'un « foyer national juif » en Palestine a été immédiat, et s'est idéologisé par recours à des stéréotypes et à des thèmes d'accusation empruntés au corpus de l'antisémitisme européen. C'est le cas pour la légende du « meurtre rituel », le mythe du « complot juif mondial » ou l'accusation plus récente de « racisme », qui alimente depuis les années 1970 la « nazification » d'Israël et du sionisme.
-
En raison de ces investissements symboliques, le modèle ordinaire du conflit israélo-palestinienne, en tant que conflit strictement politique et territorial, s'avère trompeur. Le conflit ne saurait se réduire au simple choc de deux nationalismes rivaux, impliquant des conflits de légitimité plus ou moins surmontables. Qu'on le veuille ou non, il tend à prendre la figure d'un conflit judéo-musulman. Comme l'ont montré un certain nombre d'études historiques, le premier moment du processus de transformation du vieil antisémitisme européen en judéophobie antisioniste dotée d'un sens politique se situe dans l'entre-deux-guerres, et plus particulièrement au cours des années 1930, quand la thématique antijuive christiano-européenne est entrée en synthèse avec l'antijudaïsme théologico-religieux musulman.
-
C'est alors que les Frères musulmans dirigés par Hassan al-Banna, le Grand Mufti de Jérusalem Haj Amin al-Husseini et plusieurs leaders arabes, tel l'Irakien Rachid Ali al-Gaylani, entrèrent en contact avec les nazis, avant de nouer certaines alliances qui se dévoilèrent pleinement durant la Seconde Guerre mondiale. La hantise des Arabes musulmans tourne alors autour de la transformation de la mosquée Al-Aqsa en synagogue, rumeur qui, depuis le début des années 1920 et sous diverses formulations, n'a cessé de provoquer émeutes, pogroms ou affrontements sanglants.
-
L'importation de l'antisémitisme européen dans le monde arabo-musulman, marqué notamment par la première diffusion des Protocoles des Sages de Sion et de sa thématique conspirationniste au Proche-Orient, a pris une importance politique à partir du début des années 1920, lorsque des idéologues du panarabisme et du panislamisme ont associé la question palestinienne à la menace indistinctement « juive » et « sioniste » pesant sur les Lieux saints de l'islam. La hantise des Arabes musulmans tourne alors autour de la transformation de la mosquée Al-Aqsa en synagogue, rumeur qui, depuis le début des années 1920 et sous diverses formulations, n'a cessé de provoquer émeutes, pogroms ou affrontements sanglants.
-
Cette accusation mensongère portée par le slogan « Al-Aqsa est en danger », lancé et exploité par le Grand Mufti de Jérusalem, a été à l'origine de la seconde Intifada, avant de revenir à l'automne 2015 pour justifier une nouvelle vague d'attaques terroristes contre des Israéliens. À la dénonciation de l'« occupation » de Jérusalem (« al-Quds » ou « al-Qods »), où se trouve le troisième Lieu saint de l'islam, s'ajoute celle de la « judaïsation » de la ville supposée musulmane. La version actualisée du slogan islamiste est désormais « Par le sang on reprendra Al-Aqsa », formule mobilisatrice allant de pair avec le cri « Allahou akbar ». L'islamisation de la « cause palestinienne » a atteint un point de non-retour.
-
La multiplication des attaques palestiniennes contre des Israéliens donne à penser qu'une troisième Intifada est sur le point de se déclencher. C'est dans ce contexte que nombre de leaders palestiniens poussent à une radicalisation de l'Intifada commençante. Début mars 2016, Abou Ahmad Fouad, secrétaire général adjoint du FPLP, s'est félicité de l'aide iranienne aux familles des Palestiniens « candidats au martyre » : "Ces capacités et cette aide entraîneront une escalade de l'Intifada. Oui. Et c'est ce que nous voulons. Le candidat au martyre doit savoir qu'on s'occupera de sa famille. Ce soutien aidera ces gens à continuer le combat et les sacrifices".
-
L'annexion islamo-arabe symbolique du Mont du Temple représente la dernière instrumentalisation palestinienne réussie de la question de Jérusalem. Le comité directeur de l'Unesco, réuni à Paris, a adopté le 12 avril 2016 une résolution proposée par l'Autorité Palestinienne stipulant qu'il n'y a aucun lien religieux entre le peuple juif et le Mont du Temple ainsi que le Mur occidental (le Mur des lamentations). La résolution se réfère au Mont du Temple comme à un site exclusivement musulman, connu sous le nom de « l'esplanade des Mosquées ». Le texte, présenté conjointement par l'Algérie, l'Égypte, le Liban, le Maroc, le royaume d'Oman, le Qatar et le Soudan, accuse l'État juif de profaner la mosquée Al-Aqsa et de creuser de « fausses tombes juives » dans les cimetières musulmans de Jérusalem.
-
Avec l'Espagne, la Slovénie, la Suède et la Russie, la France a voté en faveur de ce grossier texte de propagande. Il relance une accusation sloganique bien connue : celle de la « judaïsation » et de l'« israélisation » de Jérusalem, thème privilégié de la nouvelle propagande « antisioniste ». L'accusation était ainsi formulée le 31 mars 2016 par un journaliste militant de la « cause palestinienne », Mohamed Salmawy : Où en est l'Unesco des agressions sur le patrimoine architectural et religieux de la ville sainte de Jérusalem ? La judaïsation et l'israélisation de tout ce qui est arabe et musulman ont commencé à susciter la colère de l'opinion publique mondiale de manière générale.
-
D'ailleurs, nombreuses sont les déclarations qui ont été émises de parties connues pour leur alignement aveugle sur Israël, exprimant leur rejet des agressions israéliennes sur les lieux sacrés à Jérusalem, en plus du sanctuaire d'Abraham (le Caveau des patriarches) ». Le 21 octobre 2015, l'Unesco avait classé le Caveau des patriarches et la Tombe de Rachel, deux lieux saints juifs en Israël, comme des sites musulmans de l'État palestinien. Cette rumeur persistante d'un complot juif pour détruire l'un des Lieux saints de l'islam explique la centralité et la récurrence de la question de Jérusalem dans le conflit politico-religieux opposant Juifs et Palestiniens musulmans. Cette rumeur persistante d'un complot juif pour détruire l'un des Lieux saints de l'islam explique la centralité et la récurrence de la question de Jérusalem dans le conflit politico-religieux opposant Juifs et Palestiniens musulmans.
-
Elle présente l'avantage, pour la propagande palestinienne et ses variantes islamistes, de provoquer mécaniquement la sympathie et la solidarité de tous les musulmans, qu'ils soient sunnites ou chiites, et de les conduire à s'engager «sur le chemin du jihad» pour la défense d'Al-Aqsa. Les islamistes radicaux ont intégré depuis longtemps le thème d'accusation dans leur discours de propagande pour nourrir un antisionisme radical et démonologique puissamment mobilisateur. À la mobilisation des islamistes et des cercles de leurs sympathisants (des passifs aux complices) s'ajoute la mobilisation de divers milieux politiques, allant des gauches radicales à la plupart des groupes néofascistes ou néonazis, en faveur de la «cause palestinienne», sur la base d'une diabolisation du «sionisme» et d'Israël.
-
L'islamisation de la «cause palestinienne» est en accélération continue depuis la création du Hamas en décembre 1987, qui lui a donné une figure organisationnelle. Faut-il rappeler l'article 13 de la Charte du Hamas, rendue publique le 18 août 1988? «Il n'y aura de solution à la cause palestinienne que par le jihad.» Cette islamisation jihadiste a pour effet de transformer un conflit politique et territorial en une guerre sans fin, alimentée par des passions ethnico-religieuses interdisant la recherche du compromis qui seul peut garantir une paix non précaire entre Juifs et Palestiniens (et plus largement États arabo-musulmans). Après des années de rêveries tiers-mondistes, anti-israéliennes et américanophobes, les intellectuels français ont été brutalement confrontés à la réalité historique par les attaques du 11-Septembre, les massacres commis au nom de l'islam en Syrie et en Irak ou les attentats parisiens de janvier 2015 et de novembre 2015.
-
Ce réveil brutal a conduit certains d'entre eux à nier, minimiser ou relativiser les faits ne s'inscrivant pas dans leur horizon d'attente. D'où une dérive conspirationniste. Si le spectacle du monde n'illustre pas le tableau qu'on s'en fait, s'il va jusqu'à le contredire, alors la tentation est grande de recourir aux «théories du complot», qui présentent l'avantage de paraître expliquer ce qu'on ne peut expliquer et de préserver ainsi les dogmes idéologiques et leur apparence cohérence. Les négateurs des attaques du 11-Septembre avaient montré la voie. Les conspirationnistes d'aujourd'hui appliquent les mêmes schèmes interprétatifs aux événements qui dérangent ou contredisent leur vision du monde.
-
Ils imputent par exemple l'apparition de Daech à un vaste complot «sioniste» visant à affaiblir les États arabes et à mettre en difficulté l'Iran. Ou bien ils suggèrent que les attentats meurtriers de janvier ou de novembre 2015 sont le résultat de manipulations de services secrets, où le Mossad est toujours bien placé. Dans les nouveaux récits complotistes, les intérêts prêtés aux «sionistes» fonctionnent comme les « intérêts de classe » dans la vulgate marxiste ou les « intérêts de race » dans les doctrines racistes classiques. Les «antisionistes» qui se réclament de l'antiracisme réinventent ainsi un mode d'accusation proprement raciste, conclut Pierre-André Taguieff.
-
Introduction, adaptation et mise en page de Michel Garroté
-
http://www.resiliencetv.fr/?p=18448
-

« Des juifs avertis des attentats à Paris »



Après les attentats de Paris, Jonathan Simon Sellem, journaliste franco-israélien, répondait aux questions du site Internet ‘Times Of Israël’ et déclarait : « la communauté juive est en alerte depuis des mois de crainte d’un attentat terroriste majeur ». Aussitôt, le site Egalité et Réconciliation de l’antisémite Alain Soral déforme les propos de J. S. Sellem et écrit « Les juifs savaient ». Ci-dessous, je livre à nos lectrices et lecteurs une radioscopie très détaillée des fumeuses théories complotistes et conspirationnistes, y compris celles qui concernent les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et du 11 septembre 2001 à New-York (voir les nombreux liens vers sources en bas de page). Je rappelle que Le New York Times a mené l’enquête pour arriver à la conclusion qu’en réalité 15% des victimes étaient des Juifs. Pour ceux qui voudraient le vérifier, les noms et les photos des victimes sont toujours disponibles (lire la troisième partie de la présente analyse).

Les attentats du 13 novembre à Paris

Alain Granat (extraits adaptés ; voir liens vers sources en bas de page) : Alors que la France est sous le choc des attentats du 13 novembre, le très sérieux magazine en ligne israélien Times of Israël publie dès le lendemain un article en anglais signé Amanda Borschel-Dan, fondé sur une interview de Jonathan Simon Sellem, qualifié de « journaliste free-lance ». Amanda Borschel-Dan y indique en introduction que selon ce dernier, les « responsables de la sécurité de la communauté juive française étaient au courant le vendredi matin d’une information annonçant un attentat imminent ». Depuis, la rumeur circule sur le net : « les juifs étaient au courant des attentats ». Au vu de sa propension aux scoops bidons tels que l’assassinat de Bachar El Assad par son garde du corps ou des tirs de kalachnikov sur une synagogue du 19ème arrondissement de Paris visée par un… lance-pierres, on se demande pourquoi la journaliste a cru bon d’interviewer sur le sujet un citoyen résidant en Israël alors de passage à Paris, dont la crédibilité de journaliste est nulle…

Alain Granat : C’est donc avec circonspection et surtout stupéfaction, au vu du contexte, que nous avons découvert cet article provenant d’un média comme le Times of Israël. Nous avons alors contacté l’auteur de l’article afin de savoir si elle avait procédé aux vérifications des sources mentionnées par Jonathan Simon Sellem, une précaution minimum au vu de la situation particulièrement sensible. Amanda Borschel-Dan nous a répondu, après la parution de son article : « Je suis désolée, je n’avais pas pensé aux conséquences, je vais tenter de les contacter au plus vite (les « responsables de la sécurité de la communauté juive » auxquels fait allusion Jonathan Simon Sellem sont ceux du SPCJ – Service de Protection de la Communauté Juive -) pour confirmer on non les affirmations de Jonathan Simon Sellem ». Nous avons fait son travail entretemps, contactant le SPCJ ainsi que des responsables de divers lieux sensibles de la communauté, dont des synagogues « cibles potentielles », où les personnes en charge de la sécurité nous ont confirmé que les affirmations de Jonathan Simon Sellem relevaient du mensonge.

Alain Granat : Depuis, l’article du Times of Israël a été relayé par plusieurs sites antisémites et conspirationnistes, parmi lesquels Egalité et Réconciliation, Réseau Voltaire, Panamza… Traduit en anglais, en italien et cerise sur le gâteau, par le site de l’agence de presse iranienne Fars News Agency… Partagé des dizaines de milliers de fois et alimentant ainsi abondamment la rumeur complotiste des « juifs avertis des attentats », rengaine maintes fois entonnée depuis l’attentat du World Trade Center. On aimerait comprendre l’objectif de la journaliste et de la rédaction du Times of Israël, dans la situation présente, de publier une telle information sans les précautions d’usage et sans prendre la mesure de ses conséquences néfastes, conclut Alain Granat. Suite à cette parution, la journaliste du Times of Israël a modifié – après 4 jours de publication – l’introduction de son article, remplaçant « Just Friday morning » par « For months » (depuis des mois). Sans plus d’explications (fin des extraits adaptés ; voir liens vers sources en bas de page).

La réaction de Jonathan Simon Sellem

Jonathan Simon Sellem (extraits adaptés ; voir liens vers sources en bas de page) a fait parvenir un message selon lequel il est la cible d’« insinuations fausses ». Il dément formellement avoir dit que « les juifs savaient » qu’il y aurait des attentats à Paris. « Bien évidemment, c’est faux et dangereux » écrit-il. Et de poursuivre : « J'ai simplement expliqué au Times of Israël que la communauté juive de France, tout comme toute la société nationale française (police, armée, etc...) étaient en état d'alerte. J'ai aussi ajouté avoir eu la connaissance d'un SMS d'une experte en sécurité qui a écrit à ses amis expliquant qu'il faut rester vigilant en raison de l'état d'urgence (Vigipirate écarlate, visite Rohani, juif poignardé à Rome, tentatives d'attentats ratés, etc...). De plus, j'étais moi-même à Paris pendant les attentats. Si j'avais su quelque chose, j'aurais été suicidaire d'être dans les parages. (…) Quoi qu'il en soit, peut-être que je me suis mal exprimé, peut-être que la journaliste a mal mis sur papier mes propos (…) mais bien entendu je n'ai jamais, jamais, jamais fait croire que "quelqu'un savait" et encore moins moi » (fin des extraits adaptés ; voir liens vers sources en bas de page).

Le mythe des 4’000 Juifs absents du World Trade Center

11 septembre 2001, 9 h 20 du matin, heure du Pacifique (extraits adaptés ; voir liens vers sources en bas de page). Alors que les ruines du World Trade Center fument encore, une télévision libanaise, Al-Manar TV, annonce que les attaques ont été revendiquées par l’Armée rouge japonaise. Motif, venger les attaques de Pearl Harbor et Nagasaki, cinquante-six ans auparavant. 13 septembre, le journal jordanien Al-Doustour titre : « Ce qui s’est passé est le travail du sionisme juif américain et des sionistes qui contrôlent le monde économiquement, politiquement et par les médias ». Dans les trois jours après les attentats de New York et Washington, le FBI identifie et publie les noms des dix-neuf hommes qui ont conduit les attaques, sous la direction de Mohammed Atta. Ils sont tous membres d’Al-Qaeda.

Le 17 septembre 2001, la chaîne libanaise du Hezbollah ouvre son journal avec un scoop qu’elle attribue au journal jordanien Al-Watan, lui-même informé par « des sources diplomatiques arabes » : 4 000 Juifs ne sont pas venus travailler au World Trade Center, avertis par le Mossad de l’imminence d’une attaque menée par des agents israéliens. Dans les jours qui suivent, des dizaines de journaux arabes ou musulmans, à Londres, au Caire, à Téhéran, à Damas, à Riyad, rapportent l’affaire des 4 000 Juifs manquants.

Le 19 septembre 2001, en direct sur Al-Jazira, le présentateur vedette Faycal Al-Qassem avance qu’« aucun des 4 000 Juifs travaillant au WTC n’est venu travailler le 11 septembre ». La chaîne qatarie est potentiellement regardée par quarante millions de téléspectateurs. Al-Qassem sera suspendu quelques semaines par sa hiérarchie. Le 21 septembre, la Pravda russe emboîte le pas, sous la signature d’Irina Malenko, reprenant pratiquement mot pour mot les « révélations » d’Al-Manar.

Le 5 octobre, Mohammed Gamei’a, prestigieux cheikh du Vatican musulman, l’université Al-Azhar, défend la thèse du complot israélien dans une longue interview publiée par un site Internet égyptien. Il explique que les Juifs américains, influents dans les médias, empêchent l’information de filtrer. Le 8 novembre 2003, à Paris, lors d’un meeting du Front national, un jeune militant lepéniste m’explique que le Mossad est derrière les attentats du 11 septembre parce que les 4 000 Juifs travaillant dans les tours ne sont pas venus travailler. Quand je lui demande comment il le sait, il me répond qu’il l’a vu sur Internet.

Le 23 avril 2004, au Caire, le directeur du journal Al-Gumhuriya, Abd El Wahhad Adas, écrit « que 4 000 Juifs d’origine américaine [sic] exerçant au WTC, avaient reçu l’ordre du Mossad de ne pas travailler ce jour-là ». Il ne se passe pas un mois sans qu’un journal arabe ne mentionne l’affaire. Courant 2004, des adolescents d’une cité de Toulouse expliquent au sociologue Didier Lapeyronnie que les Juifs sont derrière les attentats du 11 septembre.

Pendant tout ce temps, depuis le 11 septembre 2001, en proche banlieue parisienne, Martine Saada pleure son fils Thierry, 26 ans. Il est une des trois à quatre cents victimes juives ou d’origine juive des attentats de New York. Thierry Saada, jeune marié dont la femme était enceinte, venait de décrocher son premier job dans une banque d’affaires du World Trade Center.

À l’âge de l’info en temps réel, aucune information n’est anodine, aussi folle soit-elle. Dans le courant de l’année 2002, un vaste sondage mené au Maroc, en Égypte, en Syrie et au Liban, sous l’égide du département d’État américain, révélait que 62 % des sondés étaient persuadés que le 11 septembre n’était pas imputable à Al-Qaeda. Rien n’indique que 62 % des sondés donnent précisément foi à la rumeur des 4 000 Juifs, ou aux thèses de Meyssan. Mais il ne fait pas de doute que les aberrations lancées par Al-Manar TV ont amplement contribué à troubler les esprits et à instiller l’idée que tout n’était pas clair et que donc la vérité était ailleurs. Le chiffre de 4 000 Juifs est totalement imaginaire. Personne ne peut dire avec certitude combien de Juifs travaillaient dans les tours, dans la mesure où, fort heureusement, personne ne tenait de registre des Juifs du World Trade Center. Pour savoir combien sont morts dans les tours, on en est réduit à compter les noms à consonance juive parmi les patronymes des victimes. Ils sont nombreux, entre trois et quatre cents : Adler, Aron, Berger, Bernstein, Cohen, Eichler, Eisenberg, etc. La folie de certains esprits oblige à dresser des listes, une pratique de sinistre mémoire.

Alors pourquoi précisément ce chiffre ? On en trouve trace dans une interview donnée par un diplomate israélien en poste à New York le matin des attentats. Celui-ci déclarait que ses services avaient reçu 4 000 appels téléphoniques d’Israéliens, inquiets pour leurs proches, citoyens israéliens vivant ou travaillant à Manhattan. Comment cette brève s’est métamorphosée en la théorie d’Al-Manar que l’on sait ? Insondables sont les mystères de l’imagination lorsqu’elle est en proie à la paranoïa, au dogmatisme et à la bêtise.

Sans doute aussi les journalistes de la chaîne libanaise n’ont-ils vu que peu d’inconvénients à prendre des libertés avec la déontologie. Al-Manar TV est en effet la propriété d’un groupe en bonne place sur la liste des organisations terroristes du département d’État américain : le Hezbollah, le « parti de Dieu » télécommandé par l’Iran. Après avoir révélé le scoop prouvant l’implication du Mossad, le présentateur avait avancé un argument supplémentaire : « Les seuls à profiter de cet acte de terrorisme sont les Juifs ». Autrement dit : à qui profite le crime ?

Les programmes d’Al-Manar TV sont à cette aune. Fort d’un personnel techniquement compétent, la chaîne fournit des clips léchés à la gloire des martyrs, des appels à la destruction d’Israël et toute sorte de choses de ce genre. Du matin au soir, des clips montés à partir d’images d’actualité, d’archives de la Seconde Guerre mondiale mêlant camps de concentration et bombardement des villes allemandes. Et, régulièrement des messages en hébreu s’intercalent : « Juifs, rentrez chez vous en Europe et aux États-Unis ! La Palestine sera votre tombeau ».

Ne pensez pas qu’Al-Manar soit une chaîne ringarde. En novembre 2003, elle a diffusé un feuilleton doté d’un budget de 2 millions de dollars, Al-Chatat, « Diaspora » en français. La série raconte à sa manière l’histoire du sionisme. Selon « Diaspora », les Juifs tentent de contrôler le monde par le biais d’un gouvernement juif mondial secret, dirigé depuis le XIXe siècle par la famille Rothschild. Sous leur direction, les Juifs seraient responsables d’à peu près tous les événements noirs du siècle précédent, de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo à la guerre froide. Ils auraient ainsi aidé Hitler à exterminer les Juifs d’Europe, déclenché les deux guerres mondiales, largué les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

Avec la révolution des paraboles, Al-Manar TV est reçue dans l’ensemble des pays arabes – et assez regardée : son ton résolument engagé séduit. Il n’y a pas que le monde arabe : Al-Manar est relayée dans le monde par neuf satellites dont Hotbird 4. Ce satellite appartient à la société française Eutelsat et dessert près de cent millions de foyers en Europe, en Afrique du Nord, et au Moyen-Orient. En France, 2,6 millions de foyers ont une parabole orientée vers Hotbird et ont donc la possibilité de capter la chaîne du Hezbollah. Du reste, Al-Manar a pensé aux téléspectateurs qui ne comprennent pas l’arabe. Elle diffuse des programmes quotidiens en français et en anglais. L’émission francophone est visible à 21 h 30, temps universel, pendant vingt-cinq minutes.

Signe que ces torrents de haine ne sont pas une calamité naturelle contre laquelle on ne peut rien, cet été, à la suite de l’action d’associations juives, le gouvernement français a saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel en vue d’interdire la diffusion d’Al-Manar sur le réseau Eutelsat. Si le droit le permet, la technique rend douteux le succès d’une telle censure, car on ne pourra jamais interdire l’achat de paraboles capables de capter les ondes par-delà les frontières. En tout cas, la pérennité de la chaîne est au moins assurée dans le monde arabe. Il n’est qu’à voir l’opulence de Mahmud Bakri, le représentant officiel d’Al-Manar dans la capitale égyptienne. Je l’ai rencontré en février 2004, au Caire.

Tiré à quatre épingles dans un costume de bonne coupe, évoluant dans de splendides locaux, conduit par un chauffeur, ce dernier ressemble plus à un cadre supérieur d’une grande banque qu’à un prétendant au martyr du Hezbollah. « J’ai une vision professionnelle de mon travail de journaliste, explique-t-il en préalable. Mais j’ai aussi une vision politique : je refuse la colonisation des pays arabes et l’hégémonie américaine ». Bakri n’est pas directement à l’origine de l’information délirante sur les Juifs du WTC, puisqu’elle venait du siège de Beyrouth, mais il continue d’en défendre la véracité. « Cette information d’Al-Manar donne une vision précise de ce qui s’est passé le 11 septembre et de qui est derrière ».

Pour preuve, il se livre à un jeu de questions-réponses : « Pourquoi pas le Mossad ? S’agit-il d’un simple accident normal effectué par de jeunes Arabes ou s’agit-il d’un complot ? Car il faut lier ces événements avec leur suite, la guerre contre le terrorisme et la destruction de pays arabes musulmans, dans le cadre d’un plan américain qui vise à servir les intérêts israéliens en premier lieu. Et si en plus on voit qu’il y a un soutien américain à Israël hors du commun, on peut arriver à la conclusion que le 11 septembre était un complot israélien ». Argument classique des aficionados du complot, à Paris comme au Caire, qui consiste à inverser les faits et les conséquences, au nom du non moins classique « à qui profite le crime ? ».

Lorsqu’on lui avance que 300 Juifs au moins sont morts dans les tours, Mahmud Bakri reconnaît que lui-même n’a pas de preuves certaines à avancer, mais il renvoie à la direction d’Al-Manar. Au fond, il se fiche éperdument qu’on lui avance des noms. On pourrait lui parler de Thierry Saada, 26 ans, ce jeune Français de confession juive, mort dans les tours. Qu’importe Thierry Saada à Mahmoud Bakri. Son opinion est faite et elle importe plus que les faits. Sans doute le Mossad a-t-il oublié de prévenir le jeune homme (fin des extraits adaptés ; voir liens vers sources en bas de page).

L’analyse d’Ali Adib

Sur RASEEF22, Ali Adib publie une analyse intéressante concernant les théories complotistes et conspirationnistes, analyse également disponible sur Kassataya et sur le site du Courrier international (extraits adaptés et commentés ; voir liens vers sources en bas de page).

Ali Adib : Si vous interrogez des Arabes sur la cause de tous leurs malheurs, beaucoup vous répondront par un mot : complot. La théorie du complot est devenue un trait de la mentalité arabe, théorie confortable qui vous dispense de faire l’effort de réfléchir aux causalités comme de faire votre autocritique. Elle permet au contraire de se considérer comme une victime et de croire que tout irait bien sans les manigances de l’ennemi.

Ali Adib : Généralement, les adeptes de cette théorie n’ont pas beaucoup de mal à en démontrer la véracité. Les interventions étrangères sont là pour ça, même celles qui celles qui sont motivées par des événements locaux. Aussi beaucoup d’entre nous continuent-ils de parler avec volubilité des Protocoles des sages de Sion, preuve, selon eux, qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour comprendre que les événements historiques peuvent tous être attribués à une poignée d’êtres maléfiques déterminés à établir leur domination sur les peuples de la terre entière.

Ali Adib : L’exemple du 11 septembre 2001. Depuis leur traduction en arabe, nombreux sont ceux qui sont convaincus de leur véracité. Selon eux, ces Protocoles prouvent que les Juifs dirigent un complot international afin de contrôler le monde. Et cela alors qu’on sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un faux rédigé par la police secrète russe en 1901, à l’époque du tsar Nicolas II, et destiné à servir la propagande antisémite.

Ali Adib : De grands intellectuels arabes, tels que l’intellectuel et militant politique égyptien Abdelwahhab El-Messiri et l’universitaire et écrivain égyptien Youssef Ziedan, ont écrit qu’il s’agissait d’un faux. Ils sont même allés plus loin en expliquant qu’y accorder crédit ne faisait qu’ajouter au désespoir des Arabes et leur valait la réputation d’être racistes. Or beaucoup persistent à ne pas vouloir se libérer de ce cocon intellectuel qui entrave la liberté de pensée, mais leur permet de se sentir dans le rôle confortable de la victime qui mérite la compassion.

Ali Adib : Autre exemple, plus récent : les attentats du 11 septembre 2001. En interrogeant les ressortissants des pays arabes, on serait surpris de voir combien d’entre eux croient que ce sont les Etats-Unis eux-mêmes – ou Israël, leur allié – qui les ont organisés, et ce afin de justifier leur guerre contre le monde arabe et musulman. Une des assertions qu’on entend souvent est que des milliers de Juifs ne seraient pas allés travailler ce jour-là. Ils auraient été avertis à l’avance des attentats. Ceux qui avancent cette thèse n’expliquent pas comment des milliers de gens auraient pu être suffisamment discrets pour que rien ne filtre d’une information de cette importance.

Ali Adib : Le New York Times a mené l’enquête pour arriver à la conclusion qu’en réalité 15% des victimes étaient des Juifs. Pour ceux qui voudraient le vérifier, les noms et les photos des victimes sont toujours disponibles. Or ces informations ne semblent pas être parvenues jusqu’aux Arabes. Qui plus est, ceux-ci se montrent inébranlables dans leur conviction qu’il y a eu complot, quand bien même Oussama Ben Laden a reconnu et revendiqué avoir été à l’origine des attentats (Note de Michel Garroté – En France, un livre complotiste à propos du 11 septembre a été écrit par un imposteur ; ce livre mensonger a eu un grand succès, y compris parmi les catholiques ; par conséquent, la théorie arabe du complot juif n’est pas seulement arabe ou musulmane ; elle est aussi occidentale).

Ali Adib : Le dernier exemple en date de théorie du complot répandue dans la presse arabe, c’est le complot du printemps arabe. Celui-ci découlerait du concept du chaos créateur. La question qu’on peut se poser est la suivante : comment un acteur, quelle que soit sa puissance, pourrait-il détruire toutes les digues et provoquer un déferlement d’événements incontrôlables tout en croyant qu’il arrivera à les maîtriser ? De même, quel intérêt y aurait-il à provoquer la chute de régimes tels que celui de Hosni Moubarak en Egypte et de Zine Al-Abidine Benali en Tunisie, fortement liés à l’Occident, pour parier sur un avenir incertain ? (Note de Michel Garroté – La théorie arabe du complot juif allègue aussi qu’Israël ferait tout pour contrecarrer le printemps arabe du fait que celui-ci est en réalité un hiver islamique plaçant au pouvoir des dirigeants religieux encore plus israélophobes que les dirigeants laïcs ; cette théorie circule également en Europe, notamment en France ; sept millions d’Israéliens seraient donc suffisamment forts pour endiguer un hiver islamique qui concerne plus d’un milliard de musulmans…).

Ali Adib : Oui, l’Otan est intervenue en Libye. Oui, l’Occident est intervenu au Yémen. Oui, tout le monde intervient désormais en Syrie. Mais ces interventions sont-elles le seul élément qui compte dans tout ce qui s’est passé ? Pensons-nous réellement que les peuples arabes sont si inconscients que tout ce qui se passe chez eux ne peut avoir pour origine qu’un complot ourdi à l’étranger ? Nos propres pathologies intellectuelles, sociales et économiques dépassent de loin les capacités d’une quelconque puissance étrangère pour créer les problèmes qui sont les nôtres, conclut Ali Adib (fin des extraits adaptés et commentés ; voir liens vers sources en bas de page).

Michel Garroté

http://www.jewpop.com/religion-et-politique/des-juifs-avertis-des-attentats-a-paris-quand-le-times-of-israel-relaie-lintox-de-jonathan-simon-sellem/

http://www.conspiracywatch.info/Des-juifs-avertis-des-attentats-a-Paris-quand-le-Times-of-Israel-relaie-l-intox-de-Jonathan-Simon-Sellem_a1494.html

http://www.conspiracywatch.info/Le-mythe-des-4-000-Juifs-absents-du-World-Trade-Center_a96.html

http://kassataya.com/monde-arabe/12161-monde-arabe-pour-en-finir-avec-la-theorie-du-complot

http://www.courrierinternational.com/article/2013/12/26/pour-en-finir-avec-la-theorie-du-complot

http://raseef22.com/home#.T405VfmYrgV

http://raseef22.com/Blogs