L'affichette du Courrier du 5 août 2020 :
Colonialisme La Suisse a-t-elle la mémoire qui flanche?
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Cenator: Sous le plume de Mohamed Musadak , les lecteurs du Courrier sont invités à se questionner: la Suisse voudrait-elle cacher son passé honteux?
Notons que les sujets qui tournent en rond dans ce journal, c’est l’antiracisme, le féminisme, la cause des migrants, les maltraitances des Suisses envers les migrants, la promotion des migrants, la culpabilité de l'Occidental et spécialement de l'homme suisse envers les misères du monde présentes et passées, avec des rappels répétés du passé colonialiste de l'homme blanc.
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Mohamed Musadak: Un passé sous silence?
La Suisse a-t-elle tendance à cacher son passé trouble? Une partie des militants antiracistes et anticolonialistes le pensent et le voient comme un obstacle à leur cause.
Le 13 juillet dernier, les Neuchâtelois découvraient la statue de David de Pury, négociant qui avait fait fortune (au moins en partie) grâce au commerce triangulaire, maculée de peinture rouge sang. Keystone
Série d'été "Sur un piédestal"
Dans le sillage des revendications des mouvements féministes, anticolonialistes et antiracistes, une partie de la société civile suisse réclame la remise en question des hommages – noms de rues, sommets ou encore statues – dont ont bénéficié des figures nationales au passé controversé. Très émotionnel, le débat s’est immédiatement polarisé. Les demandes de déboulonnage et autres actions coup de poing (la statue de David de Pury souillée par exemple) ont suscité l’incompréhension d’une grande partie de la population.
Sur un piédestal (IV)
On ne les voyait plus, elles focalisent désormais l’attention. Statues, plaques de rues ou enseignes reviennent en lumière et agitent comme rarement le débat public, sous l’action des mouvements féministes, anticolonialistes et antiracistes. Cet été, Le Courrier vous propose de voyager dans ce passé bien présent dans nos villes. CO
Accusés de réviser l’histoire, les militants renvoient le reproche à l’expéditeur et estiment que le pays a une fâcheuse tendance à cacher, volontairement, son passé encombrant. Une habitude qui biaiserait le débat et empêcherait la population de se former une opinion informée sur le sujet. Alors, la Suisse a-t-elle la mémoire qui flanche?
Un travail de mémoire peu volontaire
«Ce n’est évidemment pas aussi simple, tempère Alix Heiniger, chercheuse en histoire contemporaine à l’université de Lausanne. D’un point de vue scientifique, beaucoup de travail est fait. De nombreuses recherches sont menées sur le passé ‘sombre’ de la Suisse. D’ailleurs, la Confédération a investi passablement d’argent pour mettre au jour des pans peu reluisants du passé national.» L’historienne fait notamment référence aux commissions indépendantes d’experts mandatées par la Confédération pour enquêter sur les agissements de la Suisse pendant une période historique donnée. «Je pense notamment à la commission Bergier, chargée de faire la lumière sur l’attitude de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale ou encore à la Commission indépendante d’experts sur la politique suisse des internements administratifs, à laquelle j’ai participé.»
Face à ce travail scientifique, qu’elle juge solide, Alix Heiniger, souligne tout de même le peu d’entrain des autorités et de la classe politique à rouvrir les plaies du passé. «Le Conseil national a refusé d’ouvrir un débat sur les résultats des recherches de la commission Bergier. La fondation qui devait financer deux ouvrages de vulgarisation en français et en allemand s’est retirée. Jean-François Bergier pensait à l’époque que cela était dû à des pressions extérieures.»
Au final, le journaliste et historien Pietro Boschetti a publié un ouvrage de vulgarisation sans soutien externe. «Il faut aussi souligner que le Conseil fédéral n’a créé ces commissions que sous une importante pression. Celle consacrée à l’internement administratif a été réclamée par les personnes concernées qui se sont fortement mobilisées. Elles demandaient un travail de mémoire dans le cadre des réparations des injustices subies.»
Pas une «originalité» helvétique
«Souvent, ces impulsions sont venues de l’étranger», complète Dominique Dirlewanger, chercheur associé à l’Unil et spécialiste de l’histoire de la Suisse. «Pour les fonds en déshérence en 1996, ce sont des avocats étasuniens qui sont venus demander des comptes aux banques suisses. Quant à la politique d’asile pendant la Seconde Guerre mondiale, le scandale du ‘J’ sur les passeport des ressortissants juifs est venu d’Allemagne en 1954.»
Cela dit, pour cet historien, cette volonté de ne pas trop remuer le passé polémique «n’est pas une ‘originalité’ suisse» et se retrouve dans les autres pays. Il reconnaît toutefois qu’il y a une «frilosité toute helvétique».
Une crispation qui pousse parfois à faire de l’obstruction au travail des historiens. «En 2003, lorsqu’une équipe de recherche se penche sur les relations entre la Suisse et le régime sud-africain de l’Apartheid, la Confédération décide de restreindre l’accès aux archives sur tous les dossiers qui documentent les exportations de capitaux et de marchandises de la Suisse vers l’Afrique du Sud entre 1948 et 1991», rappelle Dominique Dirlewanger. «Ce n’était pas seulement par manque de volonté politique d’assumer le passé, mais aussi pour éviter que les archives ne se retournent contre les grandes entreprises suisses visées par une plainte collective aux Etats-Unis en 2002.»
Les archives ont été partiellement rouvertes en 2014 et le travail historique n’a pas encore pu être fait complètement, au grand regret de Dominique Dirlewanger. «C’est regrettable car la société civile n’a pas pu s’emparer de ces sujets. Il y a pourtant beaucoup à débattre sur la politique de neutralité suisse.»
Vague décoloniale
Pour le chercheur, c’est la dynamique d’impulsions mutuelles entre la société civile et les historiens qui permet de remettre en question le récit officiel du passé. «Aujourd’hui, si on assiste à une aussi forte mobilisation pour faire reconnaître le passé colonial ou esclavagiste de la Suisse, c’est en partie grâce aux travaux historiques, relativement jeunes, faits sur le sujet.»
«Quand j’ai commencé mes recherches au début des années 2000 sur l’implication de la Suisse dans l’entreprise coloniale, on me demandait si j’avais des preuves, si j’étais bien sûr de moi», se souvient Hans Fäsler, historien, ancien professeur à l’université de Zurich. «Mes travaux se heurtaient directement au récit national et au mythe de la neutralité de la Suisse.»
Parti de loin, ce militant antiraciste de longue date, est très optimiste sur la diffusion de ce pan d’histoire. «Depuis les formidables mobilisations qui ont suivi l’assassinat de George Floyd, j’ai été interviewé à de nombreuses reprises dans des médias aussi grand public que le Blick. Cela a permis de toucher une nouvelle catégorie de population, qui a pu s’approprier et débattre de la question», s’enthousiasme le Saint-gallois.
Lorsqu’il demande publiquement des réparations pour les crimes esclavagistes de la Suisse, une information le met en joie: «Sur les quelque 800 commentaires, aucun ne remettait en cause la participation de la Suisse à cette entreprise. C’est un immense progrès!»
Pour aller plus loin sur cet aspect du passé de la Suisse, lire Produire un savoir colonial dans un pays sans colonies de l’historienne Aline Zuber.
Le dictionnaire historique suisse en mutation
mercredi 5 août 2020 Mohamed Musadak
Loin des grandes manifestations populaires, une bataille pour la prise en compte du passé colonial de la Suisse se joue entre académiciens. Plusieurs historiens tentent de compléter le Dictionnaire historique suisse (DHS) et d’y inclure ces aspects, notamment dans les notices biographiques des figures historiques nationales. Outil de référence et faisant autorité aussi bien auprès des académiciens que du grand public, son aggiornamento permettrait, selon ces historiens, de diffuser plus largement ce pan d’histoire suisse. Christian Sonderegger, directeur du DHS, répond à nos questions.
Y a-t-il une tendance en Suisse, et au DHS, à présenter les figures nationales sous leur meilleur jour?
Christian Sonderegger: Le terme de «tendance» suggère une intention délibérée de dissimuler, de tabouiser certains faits historiques. Je ne peux pas parler au nom de la Suisse dans son ensemble. Cependant, l’historiographie suisse s’est depuis longtemps intéressée au passé colonial de notre pays, et le DHS peut maintenant récolter progressivement les fruits de ces recherches. Le DHS lui-même, dont la liste de mots-clés et la plupart des articles ont été rédigés dans les années 1990, n’effectue aucune recherche – ne serait-ce que pour des raisons financières. Il s’appuie exclusivement sur des recherches déjà publiées. Peut-être qu’à ce stade, il faut dissiper un malentendu: il n’y a pas d’«histoire officielle» dont le DHS serait le porte-parole. Le DHS s’efforce de rassembler les connaissances existantes sur l’histoire de notre pays et de les mettre à la disposition d’un large public d’une manière attractive et compréhensible.
Comment expliquez-vous qu’il n’est presque jamais fait mention des implications colonialistes, racistes ou esclavagistes des personnalités historiques suisses figurant dans le DHS?
En effet, dans certaines biographies du DHS, on remarque que certains aspects plus critiques ne sont qu’effleurés ou même occultés, comme cela se voit non seulement pour les questions racistes ou coloniales, mais aussi dans l’histoire de la psychiatrie (le rôle des médecins, par exemple) ou dans l’attitude des personnes biographiées envers le national-socialisme, l’antisémitisme ou le fascisme. Je ne pense pas que des faits critiques ont été dissimulés de manière généralisée, mais plutôt qu’au cours de ces trente dernières années, l’intérêt de la recherche a changé, d’autres questions ont été adressées aux sources disponibles, et en même temps, des sources supplémentaires, principalement étrangères, ont été incluses dans l’analyse, ce qui était absolument nécessaire pour une vision d’ensemble des parcours de vie. Nous sommes en train de nous rattraper et d’inclure ces aspects.
Est-ce que le DHS compte à l’avenir prendre plus en compte les aspects et les implications des personnalités historiques en lien avec le colonialisme/le racisme?
Il s’agit en effet d’un de nos principaux objectifs et nous sommes en train de renouveler systématiquement le DHS dans ce domaine. C’est dans ce but que nous avons lancé le projet «Suisse coloniale». Dans un premier temps, nous travaillons sur les mots-clés qui seront ajoutés au corpus (racisme, esclavage, travail forcé, etc.) et sur les articles existants qui devront être réécrits. Mais là aussi, nous sommes obligés de nous limiter et de faire une sélection.
Source: https://lecourrier.ch/2020/08/04/un-passe-sous-silence/