Fatima: Le César du meilleur film que l’on n’attendait pas, titre le Huffington Post.
Fatima, sacré meilleur film à la surprise générale, dit en écho le Figaro.
Fatima, César surprenant du meilleur film, selon le site avoir-alire.com
Et toute la presse de décliner ses variantes sur le même thème: O surprise, Fatima obtient le Cesar du meilleur film 2016.
Qui donc est surpris? On pourrait dire même que c’était couru d’avance tant le cinéma français peine à montrer autre chose que des films dans lesquels des migrants ou immigrés récents donnent aux Français de souche des leçons de vie ou de courage. On se contentera de citer Intouchables dans lequel comme chacun sait, même ceux qui n’ont pas vu le film, un jeune de banlieue avec son culot et sa gouaille, redonne le goût de vivre à un bourgeois des beaux quartiers, vivant seul dans son riche appartement, devenu handicapé par la pratique d’un sport à haut risque, figure emblématique du destin qui attend l’homme blanc.
On passera sous silence les Vincent Lindon, Catherine Frot et autre Miou-Miou (la liste serait longue…) qui ont incarné cet homme blanc, seul, hargneux, mal aimé et mal aimant, qui (re)trouvera un sens à sa vie en rencontrant l’Autre, peu importe qui, pourvu qu’il vienne d’outre-Méditerranée ou de par-delà les montagnes du Caucase, lequel lui donnera une leçon de vie et de générosité qui lui fait si cruellement défaut. En effet, quand il n’est pas barbare, l’homme blanc est égoïste.
Aussi, pour moi, est-ce sans surprise aucune si la 41° Cérémonie des César consacre Fatima, le film de Philippe Faucon.
L’histoire est si convenue qu’elle ressemble à une parodie: une Algérienne arrivée en France et abandonnée par son mari, élève seule ses deux filles en faisant des ménages. L’aînée commence ses études de médecine tandis que la plus jeune, plus rebelle, donne quelque fil à retordre à sa mère.
On sent tout de suite l’histoire édifiante d’une mère courage qui se sacrifie pour ses filles. Et mon dieu pourquoi pas. Sauf qu’une mère seule se sacrifiant pour élever ses enfants n’est en aucun cas une exclusivité de la population immigrée. On en trouve beaucoup, et de plus en plus, dans la population d’origine à laquelle notre cinéma s’intéresse moins, semble-t-il, ou alors pour la moquer façon Famille Tuche dont le père se proclame chômeur et fier de l’être. Les vrais chômeurs apprécieront.
Certains le qualifient de documentaire, tant pour la critique le film dépeint un aspect de réalité sociale et ethnologique quotidienne.
Au mieux, le film serait anachronique. En fait, il montre moins la réalité actuelle de l’immigration que le fantasme des années 80 où l’on voulait croire encore à l’intégration sinon à l’assimilation et où l’on pensait que l’immigration maghrébine serait, peu ou prou, semblable aux immigrations européennes qui l’avaient précédée. La situation décrite dans le film, qui a suscité l’émoi de la salle frémissante du Châtelet, éperdue d’autosatisfaction, ne correspond en rien à la réalité des banlieues que celle-ci ignore.
Loin d’être un documentaire, le film qui enchaîne les images d’Epinal, montre au spectateur l’histoire qu’il voudrait croire. Fatima a deux filles. C’est souvent le cas dans nos productions. Notre cinéma abonde en filles maghrébines soucieuses de s’émanciper. Ce sont les opprimées des opprimés, les damnées des damnés de la Terre. On exalte ainsi l’émancipation que ces femmes rechercheraient et que la France est censée leur apporter. On justifie ainsi l’immigration tout en s’octroyant un satisfecit. Non, en banlieue, les filles ne sont pas vêtues à l’européenne, elles ne font que très rarement des études de médecine, et si, à l’inverse, on y trouve bien des rebelles, ce n’est pas du modèle patriarcal qu’elles veulent s’affranchir, mais du modèle français et républicain, pour reprendre le mot dont gauche et droite usent et abusent. Quant au foulard, que Fatima porte en toutes circonstances même chez ses employeurs, il est davantage un symbole de conquête que la marque d’humilité dont ce personnage est pétri.
A la suite d’une chute et immobilisée chez elle, Fatima tient son journal intime. Si elle ne sait ni lire ni écrire en français, elle lit et écrit l’arabe. Théoriquement, cela est possible. Dans la réalité, les immigrés illettrés en français le sont aussi dans leur langue d’origine. Pourquoi cette invraisemblance, ou si l’on veut, cette ficelle narrative un peu trop visible? Parce que cela donne une note intimiste au personnage qui en devient plus touchant. Soit. Peut-être parce que cela permet de montrer, en plan rapproché, la si délicate calligraphie arabe, note exotique que notre gauche Marrakech affectionne tant.
Pour compléter ce portrait édifiant, le cinéaste n’oublie pas, bien sûr, l’aspect pieux de l’humble personnage qui admoneste ainsi sa fille cadette: Tu as à manger, un toit, tu peux étudier, remercie Dieu. Cette pauvre femme aurait pu lui demander de la reconnaissance envers elle qui se sacrifie, mais non. Elle s’efface jusqu’au bout. Ce n’est plus une histoire édifiante, c’est une hagiographie. Au passage, elle aurait pu aussi dire : remercie la France, mais imagine-t-on dans notre cinéma, propos aussi nauséabonds.
Fatima porte son voile en toutes circonstances, y compris sur l’affiche du film et jusque dans la salle du Châtelet hier soir, par le truchement de son interprète Soria Zeroual. Le public ne semble pas du tout gêné de voir récompenser un film prétendument dédié à une femme qui lutte pour sa liberté et son indépendance, mais qui exhibe ce symbole de servitude, fût-elle volontaire. Au diable les contradictions, pourvu qu’on étale son anti-racisme d’opérette.
On a donc, hier soir, franchi un pas. Après le énième film à la gloire de l’immigré dont le cinéma français nous abreuve, première apparition d’une femme voilée lors de la cérémonie des César.
Monique Bousquet