Affaire Michael Lauber. Le parlement lamentable

Le mot parlement vient du verbe français « parler », c’est un endroit où l’on parle, un endroit où l’on délibère, où l’on pèse et soupèse les arguments, où l’on débat de manière approfondie d’une question qui demande une décision.

La première notion de parlement comprenait aussi les Cours de justice. Avant la Révolution le terme de parlement désignait en France une cour de justice qui jugeait en appel les décisions des tribunaux des régions.

Dans le fond, tout endroit où l’on a pour charge de discuter soigneusement des arguments pourrait être désigné comme un parlement. Sauf en Suisse.

En Suisse, les lieux où l’on est censé discuter de manière approfondie des arguments, soit les tribunaux et les parlements proprement dits, ne sont plus des parlements, ce sont des lieux où ceux qui ont le pouvoir entre les mains jouent avec les mots.

Poussé par la justice vers la sortie, le procureur de la Confédération Michael Lauber vient de démissionner. La belle affaire. Accusé d’avoir violé ses devoirs de fonction dans le cadre de plusieurs rencontres avec le président de la FIFA Gianni Infantino, le procureur s’est vu sanctionné d’une baisse de 8% de son salaire pendant une année. L’homme a fait recours contre cette décision selon lui injuste et partiale. Il a invoqué une constatation incomplète des faits et d’avoir été empêché d'exercer son droit d'être entendu. Le pauvre !

Excusez-nous pour l’expression mais de plus en plus on a l’impression que la moitié de ce pays et tout cet aéropage de beaux parleurs vit avec de la merde dans les yeux. Michael Lauber se plaint de partialité, de constatation inexacte des faits, et de violation de son droit sacré d’être entendu ? Mais ce même Michael Lauber est le procureur en chef d’un Ministère public qui en 2017 a littéralement jeté à la corbeille la dénonciation pénale qui visait le parlement pour n’avoir pas appliqué le vote du 9 février. Alors la justice et le droit d’être entendu, vous voyez.

Car oui, dans le cas du vote du 9 février le parlement a empêché le fonctionnement normal de nos institutions, empêchement poursuivi pas l’article 275 de notre code pénal [1].

Le Ministère public a-t-il alors pesé et soupesé les arguments qui lui ont été présentés dans la dénonciation ? On ne le sait même pas, puisqu’ils ne s’est même pas donné la peine d’y répondre, il a déjà fallu exiger qu’il délivre un simple accusé de réception, la loi lui permettant de faire ici comme bon lui semble sans qu’aucun recours ne puisse lui être opposé. Comme c’est facile. Et après ce monsieur vient nous parler de droit d’être entendu et de justice ? Laissez-nous rire.

Ces gens, ce Michael Lauber, ne sont du point de vue de l’attitude et de la manière de faire pas différents de ces djihadistes dont le mouvement assassine des petites filles à Manchester puis ensuite revendique le droit de retour dans nos pays au nom de la justice. De la même manière, ils crachent dans la soupe des autres mais exigent que la leur soit respectée. Ces Dames et Messieurs du Ministère public de la Confédération ne sont pas du bon côté de la justice, de même que les trois quarts des parlementaires de notre pays qui se mêlent de cette histoire.

Le Tribunal Fédéral Administratif (TAF) vient de reconnaître que le droit d’être entendu du sieur Lauber a un tout petit peu été violé, à certains moments il n’aurait pas pu consulter toutes les pièces du dossier, mais cela a été guéri, comme c’est gentil ! Cet homme d’un revers de la main a jeté à la corbeille la violation de notre Constitution par tout un parlement ! D’un revers de la main il a jeté à la corbeille la confiscation des votes de 1.4 millions de Suisses !

Vous nous parlez de justice, laissez-nous rire. Vous n’êtes que des gens grassement payés qui jouent avec les mots. L’intention du juste et du bien n’est pas votre première préoccupation. Vous parlez de comportement déloyal, comprenez-vous encore un tant soit peu le vrai sens de ces mots, leur portée et leur téléologie. Sérieusement, nous parler du comportement déloyal de ce procureur dans une procédure disciplinaire alors qu’il a jeté à la corbeille une dénonciation de Coup d’Etat ! Etes-vous sérieux ? En riez-vous vous-même le soir où est-ce devenu naturel chez vous ? Ou ne comprenez-vous pas que ce petit procès administratif nous paraisse grotesque et fantoche contre un homme qui a été déloyal envers toute la population du pays ?

C’est agréable d’être très bien payé pour jouer avec les mots n’est-ce pas. Le TAF dit que dans l’affaire FIFA « les déclarations de Lauber étaient délibérément fausses » mais vous pourrez chercher partout le mot de menteur vous ne le trouverez pas. Peut-être y-a-t-il trop de menteurs dans ce système pour que cela ait encore la moindre signification.

Nos yeux s’ouvrent ronds comme des billes lorsqu’on lit les faits qui permettent au Tribunal de déduire que Lauber a menti, pardon, lui permettent de déduire « qu’il a délibérément faussement déclaré » ! Le Tribunal a la preuve qu’une rencontre a eu lieu le 16 juin 2017 entre le procureur et les divers acolytes impliqués, mais constate, on cite, « qu’aucun des participants mentionnés n’a toutefois le souvenir de cette rencontre… »

Le monde n’est-il pas merveilleux ? Plus personne ne se souvient de la rencontre.

Le Tribunal poursuit en déclarant : « Cette circonstance à elle seule, confortée par d’autres éléments, permet au TAF de conclure à l’invraisemblance des propos du procureur général. Selon l’expérience générale de la vie, un tel cas d’amnésie collective relève de l'aberration. »

Amnésie collective ? Amnésie collective ? Est-ce qu’on a des têtes d’amnésie collective ?!

Le Tribunal alors d’en conclure que : « le procureur général a délibérément caché la vérité ». Mais comme c’est dur, n’est-ce pas, d’utiliser le mot de menteur.

Ce mot d’amnésie collective est éminemment intéressant. Celui d’expérience générale de la vie aussi. Parce qu’alors on se demande, du point de vue sociologique et anthropologique, comment font ces juges pour appliquer jours après jours le droit, pour l’appliquer avec substance et en y croyant, alors que le vote de tout un peuple a été confisqué et que tous ceux qui ont droit à la parole en la matière font semblant de n’avoir rien vu ou semblant qu’il ne s’est rien passé. Appelle-ton cela aussi une « amnésie collective » ? Et selon « l’expérience de la vie » ?

Lorsqu’on est très bien payé on peut jouer avec les mots n’est-ce pas, mais pas avec tous, c’est en général déconseillé.

Le pire dans toute cette histoire c’est … comment l’appeler ? la clique, la meute des parlementaires lamentables, spécialement verts et de gauche qui, autoconvaincus d’avoir entrepris une croisade pour protéger nos institutions en s’attaquant à Lauber, sont persuadés d’être aujourd’hui des justes. Alors que hier ils nous ont confisqués nos droits politiques. Ils nous beuglent, à qui le plus haut, qu’ils sont tous des gardiens de nos institutions. Bullshit !

De nombreux politiciens ainsi que la Commission de gestion du Parlement s'interrogent maintenant paraît-il sur la nécessité de revoir le rôle et les attributions du prochain procureur général. L'institution, disent-ils, mérite d'être réformée en profondeur.

Oh encore de grands mots n’est-ce pas. Avec apparemment à leur tête en chef de file, le socialiste bernois Hans Stöckli, qui comme d’autres parlementaires s’imaginent être vénérables en oubliant que le Ministère public de Lauber leur a sauvé la mise en « oubliant » la dénonciation qui menaçait de les mener droit devant la justice pénale.

A la confortable amnésie collective, ces tristes parlementaires ajoutent donc une ingratitude sans scrupule et sans limite. Ils tuent sans aucune peine celui qui vient juste de les sauver. Inutiles donc pour la plupart de les renvoyer au simple De officiis de Cicéron :

« La justice, sur laquelle repose tout l'ordre social, se divise en deux branches : la justice proprement dite, et la bienfaisance. - La première loi de la justice est de ne nuire à personne, à moins d'y être provoqué ; la seconde est d'user comme d'un bien commun de ce qui est à tous, comme d'un bien propre de ce qui est à nous. C'est la bonne foi qui est le fondement de la justice. »

Cicéron, De officiis ou Traité des devoirs.

Autant dire que la plupart de ces parlementaires ne semblent même pas avoir commencé d’en comprendre le début.

On vous laisse lire dans la presse main stream comment est traitée toute cette affaire et comment elle passe maintenant la brosse à reluire aux gentils parlementaires qui défendent si ardemment la probité de nos institutions, comment elle essaie même – et c’est incroyable – de les faire passer pour des victimes. Si vous avez l’impression que quelque chose est déréglé dans notre psychologie collective, dans la manière de lire la réalité, rassurez-vous, vous n’êtes pas les seuls.

Mais plus généralement, dans des temps plus anciens, on aurait simplement dit qu’il s’agit de dérèglement moral. Et le plus inquiétant c’est que ceux qui en sont atteints n’ont aucune idée de ce que cela implique et quelles en sont à terme les conséquences pour notre ordre social. Nous avons atteints ici le degré zéro de la conscience politique.

Et pour le reste tout va bien. Nous devons juste revoter une seconde fois un objet parce que ces gens qui nous expliquent le droit et la justice nous ont trahis et confisqués nos droits politiques. Ce n’est pas grave, nous disent-ils, nos parlementaires protègent nos institutions et ils s’en portent garants. On se demande qui peut encore croire à ces sornettes.

Levez grand les voiles, la manipulation continue et sait se saisir du moindre prétexte. La justice n’est en Suisse aujourd’hui qu’une illusion, les kleptocrates du parlement présentés maintenant comme les défenseurs des institutions peuvent continuer à dormir sur leurs deux oreilles, en réalité Lauber n’aura été qu’une tempête dans un mauvais verre d’eau qui était déjà sale.

Michel Piccand

N.B.

Le mot de kleptocrate sied ici à merveille à ces parlementaires, puisque dans son sens premier il signifie ceux qui volent le pouvoir.

Le communiqué en français du TAF sur l’affaire Lauber peut être lu ici :

https://www.bvger.ch/bvger/fr/home/medias/medienmitteilungen-2020/lauber.html

[1]

Extrait de la dénonciation que le Ministère public du Procureur Michael Lauber a en mars 2017 simplement jeté à la corbeille sans même y répondre.

Sous le Titre 13, Crimes ou délits contre l'Etat et la défense nationale, le Code pénal suisse poursuit à son article 275 les atteintes à l’ordre constitutionnel, à son article 265 la haute trahison, à son article 266 les atteintes à l'indépendance de la Confédération.

1.

Art. 275. Mise en danger de l'ordre constitutionnel / Atteintes à l'ordre constitutionnel

Celui qui aura commis un acte tendant à troubler ou à modifier d'une manière illicite l'ordre fondé sur la Constitution ou la Constitution d'un canton, sera puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

a.

Le but de cette disposition est de « protéger l'ordre constitutionnel, ce qui signifie nos institutions politiques, notre régime libéral et démocratique et le fonctionnement normal de nos institutions. L'atteinte, aux termes de la disposition légale, est constituée par le fait de troubler ou de modifier d'une manière illicite l'ordre constitutionnel. » [FF 1949 I 1247].

Le législateur a expressément renoncé à énumérer toutes les formes possibles d’atteintes, laissant la porte ouverte pour contrer tout moyen qui pourrait venir « miner les institutions démocratiques » [Id. par.2].

b.

Dans l’arrêt 98 IV 124 le Tribunal fédéral a donné des précisions sur l’article 275.

Il ressort que son but principal est de protéger la démocratie [ATF précité considérant 9 a].

Le tribunal déclare que l’on doit reconnaître une atteinte à l’ordre constitutionnel « chaque fois que les autorités politiques instituées par la constitution - fédérale ou cantonale - auront été mises dans l'impossibilité d'exercer leur pouvoir. »  [Considérant 9 b].

Dans l’état de fait considéré il ne fait aucun doute que le peuple est une autorité politique instituée par la constitution [Cf. notamment J.-F. Aubert, La Constitution, son contenu, son usage, n. 200, 201.] et qu’il a été mis par le parlement dans l’impossibilité d’exercer son pouvoir, matériellement dans l’impossibilité de faire appliquer sa décision prise le 9 février.

c.

L’interprétation téléologique et historique de l’article 275 indique qu’il y a atteinte non seulement dès qu’il y a trouble ou modification illicite de l’ordre constitutionnel, mais également dès que le fonctionnement normal de nos institutions est empêché [FF 1949 I 1247].

En refusant d’appliquer la volonté claire du peuple exprimée le 9 février, et au contraire en la détournant, en promulguant une disposition légale qui n’applique pas le vote du peuple, le parlement a typiquement empêché le fonctionnement normal de nos institutions qui indiquent que le peuple est le souverain et que lorsqu’il vote sa décision doit être appliquée.

La décision du peuple du 9 février était par ailleurs sans aucune ambiguïté puisqu’elle manifestait clairement son objectif en indiquant au parlement comment régler le conflit entre la réintroduction de la pleine autonomie du droit migratoire et les engagements internationaux contraires que le parlement et le gouvernement avaient alors mandat de renégocier [197 ch. 11 al. 1 Cst. féd.]

Partant, il ressort qu’en refusant d’appliquer les dispositions constitutionnelles les membres du parlement ayant voté la disposition 21a LEtr ont typiquement empêché le fonctionnement normal des institutions de la Suisse et donc porté atteinte à notre ordre constitutionnel, actes constitutifs d’une infraction à l’article 275 CP et cela sans motifs justificatifs au sens pénal du terme.

___________

Le Ministère public de la Confédération a donc jeté à la corbeille ces arguments sans même les examiner ni les discuter, ni les contredire. Ni même y donner de réponse. Il a tout simplement évincé cette dénonciation pour protéger les parlementaires accusés. Et l’on nous explique que cette vénérable institution qu’est le Ministère public serait dans notre pays le gardien du Droit et de la Justice.

Et le comble, pour ainsi dire, c’est que le Procureur sous l’égide duquel cela est arrivé, lui, s’est plaint de son droit de ne pas être entendu. Il y a décidément dans notre pays des mots et des concepts juridiques qui ne veulent plus dire grand-chose.

En Suisse le mot premier de parlement n’a ici strictement plus aucune signification. Et une société dans laquelle on est empêché de « parler » c’est-à-dire de faire examiner et discuter ses arguments dans des plaintes et des dénonciations, ce n’est rien d’autre qu’une dictature. C’est le monde dans lequel vous vivez. Alors que ces parlementaires la ferment et fassent profil bas, ce serait un minimum de décence.