Xenia Fedorova : « Le lancement de RT France a permis de créer une césure avec le panorama médiatique français »

Propos recueillis par Nicolas Vidal et Matteo Ghisalberti – Xenia Fedorova, la très jeune Présidente et directrice de l’information de RT France a accordé un grand entretien à Putsch. Lancée le 18 décembre 2017, la chaîne RT France a suscité beaucoup polémiques, de discrédit et de critiques au sein du paysage médiatique français. Xenia Fedorova revient sur les 10 premiers mois de la chaîne. où elle aborde la question des Fake News, du financement de RT France, ses relations avec l’Elysée et les autres médias français. Elle nous parle aussi du pluralisme des voix et du débat ainsi que de l’arrivée de Frédéric Taddéi au sein de RT France.

Xenia Fedorova, pourquoi avoir choisi une carrière de journaliste plutôt qu’une carrière de diplomate ?

J’ai toujours été intéressée par la politique et la géopolitique ainsi que par les événements diplomatiques. Mais j’ai réalisé que je n’aurais pas eu la liberté suffisante pour m’exprimer. C’est pour cela que je me suis orientée vers le journalisme. J’ai commencé comme freelance alors que je n’étais encore qu’une étudiante. Si je n’ai donc pas pu être présente dans les coulisses de certains grands événements diplomatiques, j’ai tout de même pu les couvrir comme journaliste. Au final, j’ai pu m’occuper de choses dont je rêvais quand j’étais jeune. J’ai également été inspirée par l’exemple de ma mère qui est journaliste.

Comment définiriez-vous les fake news, Xenia Fedorova ?

C’est une très bonne question. Quand je suis arrivée en France, cette expression commençait tout juste à être utilisée régulièrement. Peut-être parce que je suis arrivée pendant la campagne électorale, alors même que les hommes et femmes politiques étaient en train lutter pour la Présidence de la République. Il y avait un grand flux d’informations. En France, l’expression fake news – j’essaie de ne pas être sarcastique – est aussi utilisée dans le sens de l’expression d’un point de vue différent. Cela ne signifie pas nécessairement que l’information n’est pas vraie. Cela peut signifier aussi que l’information est différente de ce que disent les médias mainstream. Ou bien elle est différente des informations que les médias mainstream étaient habitués à diffuser. Je vous donne un exemple : la couverture des faits en Syrie. Tout ce qui allait au-delà de la compréhension et des attentes des médias traditionnels était défini – à priori – comme une fausse nouvelle. Mais ça pouvait simplement être un point de vue différent sur des événements. C’est pour ça que je pense qu’il y un énorme malentendu sur le sens de cette expression. La définition de fake news, c’est une information qui est fausse. Mais, en France, on peut être accusé de diffuser une fausse information tout simplement lors ce qu’on essaie de donner un point de vue différent. Je crois que ce terme est mal utilisé, et de façon abusive, par les médias, mais également par les hommes et les femmes politiques.

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La communication, le point faible de la nouvelle stratégie russe

Les interventions militaires russes en Crimée et en Syrie ont démontré que l'armée russe a bel et bien tourné une page de son histoire.

Les réformes mises en place par Vladimir Poutine depuis quelques années, et cela malgré la résistance de certains haut gradés russes, semblent désormais porter leurs fruits. L'époque d'une armée russe sous-équipée basant sa puissance sur les vestiges de ses forces mécanisées issues de l'Armée Rouge, semble aujourd'hui révolue. En diminuant les effectifs de son armée, la Russie est désormais capable d'aligner une force de plus en plus professionnelle et de mieux en mieux équipée, conçue non plus pour assurer la défense de son territoire mais tournée vers les opérations extérieures. La volonté d'acquérir des navires de type mistral, c'est-à-dire des bâtiments de projection et de commandement, sorte de base avancée idéale pour mener des opérations loin de ses frontières, démontre une nouvelle approche stratégique pour ce pays qui se conçoit non plus comme une puissance régionale mais comme une puissance mondiale.

Or il existe un domaine dans lequel la Russie souffre toujours d'un important retard par rapport aux autres puissances, notamment occidentales, c'est celui de la communication. Il faut dire qu'en Russie, la « maskirovka », c'est-à-dire l'art de la dissimulation, est une véritable tradition ancestrale dans le domaine militaire. Afin de leurrer leurs ennemis sur leurs véritables intentions, les Russes ont pour habitude d'utiliser de nombreuses ruses pour désinformer et maintenir le doute chez l'adversaire. Une approche tout a fait compréhensible pendant des siècles mais qui pose aujourd'hui problème car elle n'intègre pas un changement majeur dans l'évolution des sociétés. Ces dernières se sont transformées depuis quelques décennies en véritables sociétés de consommation de l'information.

Souvenez-vous, durant la guerre du Vietnam, les familles américaines pouvaient voir quasiment tous les soirs les images des dernières batailles à la télévision. En janvier 2013, lors de l'intervention française au Mali, les internautes ont quasiment pu suivre en direct le saut des parachutistes français sur la ville de Tombouctou. Cette stratégie de la communication ne concerne pas seulement les grandes puissances, l'exemple le plus flagrant étant bien sûr le cas de l’État Islamique qui a opté pour une approche très offensive et particulièrement morbide pour diffuser son image. Un choix stratégique marqué par un certain succès, à tel point que désormais Daesh est devenu aux yeux de l'opinion publique mondiale, le seul et unique groupe jihadiste en Syrie, transformant ainsi les autres groupes (dont Al Qaïda) en de simples « rebelles ».

Mais du côté de la Russie, rien de tout cela. Lors de son intervention en Crimée, la Russie a volontairement fait passer ses troupes comme des rebelles opposés au nouveau pouvoir ukrainien alors que n'importe quel observateur ayant un minimum de connaissance sur l'armée russe, pouvait très bien voir que ces soldats n'avaient rien de « rebelles ». En Syrie, rebelote. La Russie a laissé planer le doute jusqu'au bout. Et si depuis, les russes abreuvent les médias de communiqués et de déclarations souvent difficilement vérifiables, les images restent rares. Une stratégie de communication qui semble volontaire puisque lorsqu'ils le souhaitent, les russes savent très bien communiquer comme le démontre la vidéo montrant le lancement de 26 missiles depuis des navires dans la mer Caspienne le 7 octobre dernier.

Cette absence de communication peut certes se justifier par des raisons de sécurité, mais elle reste un frein au développement de l'image de la Russie dans l'opinion internationale. Se taire c'est aussi laisser la parole à ses adversaires qui ne vont pas se priver de vous rabaisser. Or dans le cas de la Russie, les adversaires ne manquent pas et ils savent profiter de ses faiblesses. Il suffit de voir comment les médias occidentaux présentent systématiquement une communication officielle russe comme suspecte avec un emploi immodéré du conditionnel alors que les communications émanant de Washington et des différentes capitales européennes sont généralement traitées comme des vérités. On pourrait bien sûr crier à la malhonnêteté des médias occidentaux mais ce serait oublier trop vite les véritables carences de Moscou dans ce domaine. Certes, des efforts ont été fait avec le lancement de Russia Today en 2005 puis du site Sputnik plus récemment. Mais c'est très loin d'être suffisant, d'autant plus que ces deux médias plongent parfois, voire même souvent, dans une propagande assez grossière.

En choisissant une nouvelle stratégie en terme de politique internationale, la Russie doit s'en donner les moyens. En faisant abstraction de l'importance cruciale de la communication, elle choisit elle-même de maintenir cette image de « méchant agresseur » qui lui colle à la peau.

Jordi Vives, 17 octobre 2015