RTS: Esther Coquoz pose des questions risquées, pour n’obtenir que des réponses très prévisibles

RTS - Forum  - Le débat - 3 juin 2022

100 jours de guerre en Ukraine, les États-Unis principaux gagnants? Est-ce que la guerre en Ukraine profite aux États-Unis aux dépens des Européens?

En préambule, rediffusion de ces propos de Gilbert Casasus, Université de Fribourg, dans l’émission « La matinale » du 31 mai :
– Il y a actuellement un glissement pro-OTAN, pro-anglo-saxon, aux dépens de l'idée d'une armée européenne. La guerre ne profite qu'aux USA à notre détriment.

La journaliste Esther Coquoz pose à ses invités une question très enhardie :
– Est-ce que Joe Biden se frotte les mains? Il peut asseoir son influence sur l'Europe? Est-ce qu’on peut dire que les États-Unis sont en train d’utiliser l’OTAN pour asseoir leur influence sur l’Europe ?

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Invités:
-Mercedes Bresso (MB)
, en direct de Turin, ancienne députée à l'UE et membre d'une task force qui réfléchit au futur de la défense de l’Europe.

-Brett Bruen, ancien diplomate américain en poste à la maison Blanche sous Barack Obama.

-Alexandre Vautravers, en direct de Genève, expert en sécurité militaire, professeur à l'UNIGE, Global Studies Institute (GSI), rédacteur en chef de la Revue militaire suisse

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Mercedes Bresso : Les USA y gagnent, c'est évident. Trump avait dit que l'OTAN ne servait plus à grand-chose.

Mais avec Biden, l'OTAN est redevenue importante et forte. L'esprit de l'UE s'est renforcé avec la guerre, et l'accélération de la défense européenne se fait à l'intérieur de l'OTAN, ensemble, unie avec les USA.

Pour Mercedes Bresso, l’Europe de la défense existe. Elle rappelle que la Suisse a mis des centaines d’années pour se construire, c'est pourquoi il est normal que l’Europe de la défense se construise à son rythme aussi.
La guerre en Ukraine l’accélère même et renforce ce processus, avec une force militaire commune avec l’OTAN.
Le réveil militaire de l’Allemagne est une des défaites principales de Poutine. Si l'Allemagne et la France avec l'Italie et les grands pays recommencent d'investir dans les armements, il n'y a aucun doute, on va avoir une défense européenne à l'intérieur de l'OTAN ensemble.

Esther Coquoz : Joe Biden a appelé dans une lettre au NYT à ne faire aucune concession territoriale en Ukraine. Macron cherche à garder le contact, le dialogue ?

La réponse de Mercedes Bresso: L'UE et les USA sont d’accord d'aider ensemble l’Ukraine pour arriver à la table des négociations dans une position de force, même si à cause de notre position géographique nous avons plus intérêt à arriver aux négociations.
L’important est de construire ensemble une Europe politique avec l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, une sorte de confédération politique pour la sécurité stratégique et la capacité de défense, espérons avec une Ukraine libre et indépendante sur son territoire.

(Mercedes Bresso est connue pour ses positions fédéralistes au sein de l'UE)

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Esther Coquoz: Est-ce que les États-Unis sont en train d'utiliser l'OTAN pour asseoir leur influence sur l'Europe?

En direct de Washington, Brett Bruen: Mais pas du tout ! Au contraire, l’Europe a repris sa position et son influence sur l’Europe et dans le monde. La théorie que la guerre profite aux USA est fausse. Nous avons accepté de donner à l’Ukraine une aide nécessaire pour se défendre, et ceci pour l’indépendance de l’Ukraine, pas pour des avantages.
Brett Bruen dit qu’il a travaillé en Irak durant la guerre. Les USA n’ont en rien profité de cette guerre, ni pétrole, ni d'autres entreprises, par contre, ils ont dépensé beaucoup pour reconstruire le pays.

Esther Coquoz:  Des missiles à longue portée, des avions F35 et des armes sont vendus par les USA en Europe, c’est quand même tout bonus pour l’industrie d’armement américaine?

Brett Bruen affirme que même la Suisse a donné des armes en Ukraine. Esther Coquoz dément: la Suisse ne livre pas d'armes en Ukraine.

Brett Bruen insiste : Aujourd’hui même, la Suisse a donné l’autorisation pour que l'Allemagne donne ses tanks suisses à l’Ukraine. Et c’est une bonne chose pour la communauté nationale. L'Europe a besoin d’une défense forte.

Coquoz ne dément plus la nouvelle, ce qui laisse bien des auditeurs pantois.

Esther Coquoz:  Est-ce que la guerre en Ukraine peut servir à réparer l’image de Biden après le retrait d’Afghanistan ?

Brett Bruen: Démocrates et Républicains sont d’accord pour aider l’Ukraine, sans vouloir en tirer de profit.
Après la crise afghane de 2021, Biden a retrouvé un peu de l’image de leader ayant l’expérience nécessaire pour diriger les USA, et réparé l’image laissée après l’épisode tragique de la présidence de Trump. Biden était un peu lent, poursuit Brett Bruen, peut-être un peu timide en ce qui concerne la politique américaine au début de cette crise (cette crise, c’est la guerre en Ukraine…).
Les Russes cherchent à nous diviser, mais il faut que tous, Europe et USA, tirent à la même corde.

Brett Bruen dit avoir l’expérience de l’invasion de l’Ukraine de 2014.
( C'est-à-dire que Brett Bruen était aux commandes lors du coup d'État et des émeutes de Maïdan....)

*

Alexandre Vautravers, en direct de Genève:

Esther Coquoz: Avec les F35, les USA sont en train de gagner en avantage militaire? Joe Biden peut dire merci à Vladimir Poutine? Qu'est-ce que vous comprenez? L’Europe de la défense a plus que jamais du plomb dans l'aile?

Alexandre Vautravers: L'Europe de la défense est un mythe, il faut l'admettre. Un mythe français, mais d'autres pays participent à ce rêve.
À chaque étape de la construction européenne, l'Europe de la défense a été un échec.
Pour avoir une armée européenne efficace, il faudrait changer radicalement, en finir avec le modèle intergouvernemental qui nécessite l'unanimité des participants. Et redéfinir la place et le rôle de l’UE par rapport à l’OTAN (synergies, répartition des tâches).
Il y a la consigne de l’OTAN de consacrer au moins 2% du PIB à la défense, et 20% de ces 2% doivent aller à l’acquisition de matériel moderne. Avec la pression américaine, ce renouvellement est actuellement possible.

Beaucoup d’États européens aimeraient acheter des armes, même en Europe, car ce serait plus proche de l'Ukraine, mais les USA ont 10 ans d’avance, grâce à Bill Clinton, qui a fait fusionner l’industrie de la défense, les grandes entreprises qui étaient une centaine ont été concentrées en 3 ou 4. L'Europe est en retard sur les USA dans ce processus, il n’y a pas d’Europe de la défense, mais une foison d'entreprises dispersées, et seulement une Agence européenne de l'armement. Par exemple, il y a 20 versions différentes du même avion, une pour chaque pays, à homologuer chacune séparément, et à cause de ces différences l’Europe est très peu performante.

Esther Coquoz cite Biden: « Aucune concession territoriale »! Mais est-ce qu’il peut y avoir des dissensions avec les Européens qui, comme le dit Mercedes Bresso, ont un intérêt géographique un peu différent ?

Alexandre Vautravers : On est tous d’accord sur le principe de souveraineté et on ne peut pas accepter l’usage unilatéral de la force par la Russie.
Poutine ne cherche pas forcément une victoire militaire, comme on l’a constaté en Géorgie en 2008. Poutine peut s’accommoder d'une situation indéterminée pour très, très longtemps. Rappelons qu'un tiers des conflits dans le monde durent depuis plus de 30 ans.

Lien vers l'émission: https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/le-debat-100-jours-de-guerre-en-ukraine-les-etats-unis-principaux-gagnants-25828436.html

***

Esther Coquoz aurait pu poser les questions les plus audacieuses, comme celle des sanctions qui ne profitent qu'aux États-Unis: avec une telle brochette d'invités, elle ne courait aucun risque qu'il arrive une réponse imprévue autour de la table.

Pourtant, c'est une banalité que la totalité des embargos économiques contre la Russie sont suicidaires pour l'Europe, et que les bénéficiaires en sont les États-Unis… et pas seulement. Le degré de crétinerie du camp progressiste qui dirige la politique occidentale a réussi non seulement à faire faire hara-kiri aux Européens en les privant d'énergie russe, mais aussi à marquer un autogoal en renforçant la Chine, qui est devenue avec un contrat de 30 ans le principal acheteur des énergies fossiles russes.

L'équation dans laquelle se situe l'Europe est très simple:
Les États-Unis mènent en Ukraine une guerre par procuration contre la Russie.
Les ventes d'armes américaines "pour se défendre contre l'agresseur russe" ont explosé.
L'embargo du pétrole, et bientôt du gaz russes bon marché, peu polluants, avec des conduites adaptées, et son remplacement par du gaz de schiste américain cher, insuffisant en quantité, polluant, nécessitant d'adapter les conduites pour des sommes faramineuses, nous conduisent à notre perte.
Les USA tirent donc un bénéfice de cette guerre
tandis que l'Europe est le dindon de la farce. Encore n'est-ce qu’un bénéfice à court terme, car ce faisant les USA sont en train de sacrifier pour rien leurs derniers alliés.

Et même si les manuels enseignent qu'un tiers des conflits dans le monde durent depuis plus de 30 ans, rien ne dit qu'il en sera de même en Ukraine, ni que le monde multipolaire qui arrive va nous réserver bien des surprises.

La réalité présente consiste à ce que les pays européens financent une guerre qui n'est pas la leur, et qui met gravement en danger tout le continent, à la fois économiquement, en matière d'alliances et en matière de sécurité.
En effet, il est certain qu'une bonne partie des armes livrées à l'armée ukrainienne vont atterrir finalement dans les mains expertes des conquérants qui inondent l'Europe occidentale. D'autres équipements seront revendus aux plus offrants. Les 90 véhicules qui viennent d'être livrés à la police ukrainienne seront sans doute rapidement revendus au noir.

Tous les sacrifices européens insensés pour servir les États-Unis, tous ces pas suicidaires pour que les Américains puissent regagner leur position dominante sont vains: la Chine est déjà la grande gagnante de cette confrontation.

Cette guerre a mis en lumière la vassalisation totale de l'Europe à l'Amérique de Biden, au point qu'elle est absolument  incapable de défendre ses propres intérêts.

Pire encore: le Parlement européen a dépassé les souhaits de Washington, qui avait pourtant communiqué qu'il n'était pas nécessaire de se sacrifier au point de renoncer aux énergies fossiles de la Russie. Après le refus simple et catégorique d'Orban, il y a bien eu quelques hésitations, mais lors du dernier sommet de l'UE, lorsque le 6e paquet de sanctions a passé, il a suffi d'une vidéo-conférence de Zelensky avec le Parlement européen, dans laquelle il s'est emporté parce que le sixième paquet de sanctions avait pris trop de temps, pour que l'UE obtempère la queue entre les jambes et agende plus rapidement la mise en œuvre du 7e paquet, celui qui concerne le gaz russe.

La domination idéologique du parti Démocrate américain est également omniprésente dans nos médias. La remise en question du dogme idéologique venant de ce camp-là est impossible; tous les délires idéologiques dont cet univers accouche – et hélas, il est très créatif – sont importés en Europe occidentale dans un bref délai.

Ce pseudo-débat de la RTS montre parfaitement à quel point la situation est pourrie dans notre pays, et à quel point nos médias peuvent devenir des outils d'endoctrinement.

Le principal sujet qui devrait occuper depuis des décennies l'espace médiatique, c'est l'acceptation ou le rejet du modèle progressiste américain, modèle totalement immoral et insensé, que la population s'est vu imposer inconditionnellement, comme une incontournable fin en soi .
La victoire de cette idéologie exclut toute réflexion, en diabolisant tous ceux qui représentent un autre modèle de société, conservateur, avec les idées souverainistes de Droite, honorant le passé, et préférant retourner à ses valeurs fondatrices que de déconstruire à tout-va et de suivre aveuglément le modèle néo-libéral progressiste imposé par les
États-Unis.

Ici, deux des invités, Brett Bruen et Mercedes Bresso, ne peuvent manquer de faire référence à "l'ennemi Trump", le symbole même du mal absolu, accusé d'avoir affaibli l'OTAN, au contraire de Biden, qui redresse son image et représenterait le leader occidental à suivre.

Lorsque Esther Coquoz évoque la débâcle afghane de 2021, Brett Bruen répond  que l'épisode tragique, c'est Trump. Et il n'y a personne pour dire que Brett Bruen, conseiller stratégique sous Obama-1, était l'une des éminences grises du putsch gouvernemental ukrainien en février 2014, putsch qui a mis au pouvoir successivement des dirigeants totalement vendus aux forces atlantistes, pour remplacer le démocratiquement élu Viktor Ianoukovytch, qui a dû dégager du pouvoir pour crime de corruption par la Russie.

Dans un vrai débat, disposant de la liberté d'expression, il serait élémentaire de répliquer à Brett Bruen, tellement sa pirouette à la question de Coquoz est malhonnête. (Rappel: il accuse Trump à propos du retrait américain catastrophique d'Afghanistan.) Mais le confronter est naturellement impensable pour les autres participants, car tous ont profondément intériorisé l’injonction de pratiquer l'autocensure, qui est la condition sine qua non pour poursuivre leur carrière.

Et finalement, toutes les émissions de ce genre à la RTS ne servent qu'à renforcer la pensée dominante, à reconditionner la tête de ceux qui se poseraient encore quelques questions concernant ce gavage idéologique imposé quotidiennement.

Dans notre ère de post-vérité, une personne comme Zelensky est saluée comme un héros, alors qu'il a entraîné son peuple dans une guerre meurtrière qu'il va perdre à coup sûr, et en plus, une guerre dont il est parmi les instigateurs.

Le camp du bien, jadis pacifiste, a renversé en un tour de main ses principes de "peace and love" et vilipende la Hongrie, qui refuse la politique va-t-en-guerre et place ses intérêts nationaux avant les intérêts américains.

De même, dans ce monde à l'envers, des pays qui ont bénéficié jusqu'ici d'un statut de neutralité, statut extrêmement avantageux en cas de guerre, songent à faire volte-face. 

Dans nos médias, les articles militants pour abandonner notre neutralité fleurissent, sous couvert d'un remaniement sémantique du terme "neutralité". Exemple dans Le Temps du 1er juin: Il est temps de découpler l’indépendance et la neutralité:

[...] La Suisse devrait pouvoir se proclamer dans le camp occidental qui est le sien moralement et se permettre d’agir en conséquence, y compris en laissant ses armes vendues servir aux objectifs qu’elle partage, écrit la journaliste Joëlle Kuntz [...] Une Suisse seule dans sa neutralité [...]

De leur côté, la Suède et la Finlande se lancent dans la ruée coûteuse vers l'OTAN, comme si ces pays déjà lourdement enrichis de diversité, féminisés, devaient en plus, après cent jours d'une guerre qui ne les concerne en rien,  se presser de se débarrasser de cette neutralité encombrante, leur dernier vestige identitaire, afin de ne pas être exclus d'une "bonne" Troisième Guerre mondiale.


Par Carla Montet

3 commentaires

  1. Posté par UnOurs le

    Patriote suisse, je me réjouis déjà de voter contre le F-35.

  2. Posté par Daniel Albert le

    Il y a déjà un certain temps que je me posais la question :
    Qui gagnera le plus en ne prenant aucun risque ? USA

Et vous, qu'en pensez vous ?

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