Par Raoul Weiss.
Slovaquie – Les élections présidentielles slovaques du samedi 16 mars – un premier tour si nettement dominé par la candidate euro-mondialiste Zuzana Čaputová (une « Macron slovaque » favorable à l’agenda LGBT) que le second tour pourrait bien devenir une formalité – n’ont pas déchaîné de passions en Hongrie.
Pour plusieurs raisons.
D’abord, il est d’usage dans la région de considérer la Slovaquie comme un État récent et fragile, caractérisé par une politique extérieure faite d’attentisme et d’opportunisme – comme une réplique à l’échelle réduite de la Roumanie si proche (qui, du fait au moins de sa taille, pourrait pourtant en théorie se permettre une plus ample marge de manœuvre – mais ne le fait pas). Cette estimation est a priori fondée, si bien que l’avenir du V4 continuera probablement à dépendre davantage de l’équilibre du trio Budapest-Prague-Varsovie que des atermoiements slovaques.
Ensuite, le candidat hongrois le mieux classé était celui du parti Most/Híd (le « parti pont »), qui d’une part est assez hostile au FIDESZ, d’autre part a enregistré un résultat assez catastrophique, dominé par Čaputová même dans les zones méridionales à forte population hongroise. Il est donc aussi difficile pour les élites hongroises de se féliciter maintenant d’un recul du vote ethnique hongrois en Slovaquie qu’il aurait été difficile pour elles – dans le cas contraire – de se féliciter des bons résultats d’un leader minoritaire (Béla Bugár) qui ne fait pas bon ménage avec Viktor Orbán.
En réalité, la leçon de ce scrutin, du point de vue hongrois, devrait être claire : travaillées au corps par des partis ethniques restés axés sur le discours essentiellement Open Society du « respect des minorités » à l’horizon d’une euro-mondialisation heureuse, les minorités hongroises des pays voisins risquent de préférer l’original à la copie ; c’est en tout cas ce que semblent avoir fait une bonne partie des Hongrois de Slovaquie, préférant communier avec leurs concitoyens urbains (ethniquement) slovaques dans un même culte euro-libéral plutôt que de maintenir la discipline ethnique autour d’un parti qui se contente de leur proposer « la même chose mais en hongrois ». Ce test grandeur réelle pourrait et devrait faire réfléchir Hunor Kelemen, président de l’UDMR/RMDSZ (parti hongrois de Roumanie), et son nouveau suzerain Viktor Orbán, leur faisant comprendre à quoi mène le « transylvanisme œcuménique » avec lequel, sous l’influence des élites libérales magyarophones de Cluj/Kolozsvár, flirte l’aile libérale dudit UDMR/RMDSZ. Ces partis prétendant jeter un « pont » entre libéraux de la majorité ethnique et de la minorité hongroise ont en effet tendance à devenir des ponts à sens unique, menant massivement et définitivement l’électorat de langue hongroise vers les partis et coalitions des majorités ethniques des États résultant du Traité de Trianon.
Côté hongrois, les irrédentistes durs auraient pourtant des raisons apparentes de se réjouir de ces récentes évolutions slovaques, qui accentuent le divorce entre un Sud urbanisé contigu à la Hongrie, faisant front derrière Čaputová, et un Nord montagneux qui semble évoluer vers un modèle ukrainien (nous y revenons ci-dessous) : le SMER, sur « ses terres », doit se contenter de moins de la moitié du score de Čaputová, concurrencé qu’il est par le pro-russe Harabin et le néo-fasciste Kotleba (dont les scores cumulés égalent presque celui du candidat du SMER). Ces raisons sont donc, on le voit, de mauvaises raisons : la fragilisation des États voisins résultant du Traité de Trianon tend actuellement surtout à transformer leurs zones contiguës à forte population hongroises en bastions euro-mondialistes aussi hostiles à la Hongrie du FIDESZ qu’au nationalisme des majorités ethniques de leur pays respectifs, tout en entourant cette « Grande Hongrie » rêvée – mais non reconstituée ! – de zones d’instabilité mettant en péril l’équilibre régional. Qu’on imagine seulement la Roumanie de 2020, présidée par une Laura Kövesi massivement élue par un électorat avant tout transylvain (les régions moldaves et oltènes restant, elles, acquises au PSD), et avec un parlement où, côté hongrois, seuls les départements sicules auraient conservé une représentation ethnique. Dans la catégorie des pires cauchemars de Viktor Orbán, le score d’un tel scénario est a priori assez élevé, et la paix interethnique régionale n’aurait rien à y gagner non plus.
Les fortunes divergentes du SMER slovaque et du PSD roumain (deux partis de gouvernement assez semblables par ailleurs) appellent aussi un commentaire. Tandis qu’en Roumanie les pro-russes comparables au slovaque Harabin et les nostalgiques des régimes d’avant-guerre comparables à Kotleba ont plutôt tendance
à faire front commun dans une opposition constructive plutôt favorables à la ligne Dragnea au PSD (qui leur fait pourtant peu de concessions autres que rhétoriques) et
à se cantonner aux réseaux sociaux (ne disposant d’aucun parti réellement représentatif, et venant de perdre le contrôle de România Liberă, le seul quotidien qui les soutenait depuis l’été dernier),
en Slovaquie septentrionale, on assiste plutôt à un scénario « à l’ukrainienne » : le SMER, parti gestionnaire sans idéologie, comparable au Bloc Porochenko du pays voisin, y semble pris entre l’enclume du pro-russe Harabin et le marteau du néo-fasciste Kotleba, apparemment incompatibles à la fois entre eux et avec le SMER.
Pour expliquer cette divergence, on peut certes évoquer la barrière linguistique, qui rend l’influence russe – en dépit d’une religion commune – moins sensible au sud du Prout. On est aussi, une fois de plus, frappé par la persistance de tendances culturelles lourdes : culture byzantine du consensus en Roumanie, conflictualité rampante des Slaves centraux et septentrionaux. Mais – si l’on songe à l’action de réseaux moins visibles et moins orientaux que la presse russe – on peut aussi se demander si cette Pax Valahica n’est pas aussi la récompense d’un alignement plus parfait de Bucarest sur… Washington.
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