ChatGPT, la Grande Peur de Sciences-Pipeau

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ChatGPT, la Grande Peur de Sciences-Pipeau

J'ai testé pour vous ChatGPT et vous confirme que "intelligence artificielle" est un oxymore

Jean-Paul Brighelli, Causeur, 31 janvier 2023

 

Sciences-Po vient d’interdire l’usage de ChatGPT, l’application qui permet à tous les empêchés de la plume ou du clavier de produire en un temps record des textes bourrés d’idées reçues — de crainte sans doute, persifle notre chroniqueur, que l’on ne distingue pas les produits de l’Intelligence Artificielle et ceux de nos futurs énarques.

David Cayla, un économiste qui ne dit pas que des âneries, s’est fendu d’un tweet ravageur dès qu’il a appris que Sciences-Po avait décidé d’interdire à ses élèves l’usage de ChatGPT. « La stricte interdiction de #ChatGPT à Sciences Po révèle que cette école se sent menacée par une IA qui est capable de construire de belles phrases à partir de tout sujet, sans comprendre de quoi elle parle, et en faisant régulièrement des erreurs grossières. » Et toc.

Rappel des faits pour ceux qui sortent à peine de leur grotte d’hibernation. Chloé Woitier, journaliste Tech au Figarovous explique en direct live ce qu’est cette application : la capacité à générer du texte — sans grand souci d’originalité et avec une capacité réelle d’erreurs grandioses — à partir de cohortes de mots et de phrases mis en mémoire. En fait, il s’agit de ce que l’on appelle en rhétorique un texte-centon, fabriqué à partir de collages de citations. Vous en avez un joli exemple ici.

Une chance pour les tire-au-flanc

Rien de nouveau — si ce n’est la capacité à produire un résultat de façon quasi instantanée. Voilà qui nous arrange bien, se disent déjà les élèves peu besogneux qui s’aperçoivent à 7 heures du matin qu’ils ont une dissertation-maison à rendre à 10 heures. En gros, le résultat vaut une petite moyenne.

A lire aussi, du même auteur: 64 ans, un horizon déjà largement fictif

Laurence Plazanet, professeur de littérature à l’université de Clermont-Auvergne, note que « nourri de la vaste littérature disponible sur la toile, littérature qu’il remâche suivant des algorithmes statistiques et probabilistes aptes à se reprogrammer eux-mêmes, dit-on, selon des procédures que cessent de maîtriser leurs programmeurs initiaux, ChatGPT patauge dans le prêt-à-penser. » Et d’ajouter : « Pas un instant ce robot éclairé ne pense. »

Intelligence artificielle, un oxymore

Comprenons bien que ces deux mots, « intelligence artificielle », sont ce que l’on appelle en stylistique un oxymore — une contradiction en soi. Comme « obscure clarté », « nuit blanche », « homme fidèle » ou « femme intelligente »…

(C’étaient les exemples que je citais en cours pour expliquer l’oxymore. Protestations immédiates des uns et des autres, comme vous l’imaginez, mais du coup, par l’exemple provocateur, la notion s’ancrait dans les mémoires.)

Ce qu’il y a d’intelligent dans la machine y a été mis par des hommes. Lorsqu’un ordinateur vous bat aux échecs, c’est que vous êtes moins fort que la cohorte de grands maîtres qui l’ont programmé — ce qui est assez logique.

Que Sciences-Pipeau s’en émeuve est en revanche très inquiétant — et très drôle : les grandes intelligences qui nourriront les ministères et parviendront peut-être un jour au sommet (pensez, François Hollande, Ségolène Royal, Dominique de Villepin appartenaient à la même promo de l’ENA) se sentent menacées par un robot qui mécaniquement débite des platitudes. « Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on n’pense pas, Monsieur, on n’pense pas », chantait Brel. La machine à débiter des lieux communs, dont Flaubert s’est si ardemment moqué dans le discours du sous-préfet (c’est dans Madame Bovary) vous est désormais accessible.

Des inquiétudes injustifiées

ChatGPT n’est pas capable de rédiger une dissertation crédible. Un enseignant un peu rodé repère immédiatement les copiés-collés que les étudiants pressés vont cueillir sur le Net (c’est simple, il n’y a soudain plus de fautes d’orthographe), et ne met pas cinq secondes pour en identifier la source.

Il est encore moins capable de rédiger une thèse — le plus simple étant d’aller copier une thèse déjà écrite : en 2013 déjà une ministre allemande a été déchue de son doctorat (rendu 33 ans auparavant) parce qu’il avait été pompé sur un travail antérieur. Deux ans auparavant c’était le ministre de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, qui s’était vu dénoncé pour un plagiat similaire dans sa thèse de Droit.

A lire aussi: Pourquoi l’intelligence artificielle de ChatGPT est-elle progressiste?

Et ChatGPT ne saurait pas non plus écrire un roman original. Ne vous avisez pas de le lui demander : au pire, il vous arrivera ce qui est arrivé jadis à Thierry Ardisson, dont le nègre indélicat est allé chercher un récit des années 1930 pour Pondichéry, un roman publié en 1994. Et les héritiers de l’auteur véritable ont porté plainte. Ardisson m’avait confié dans les coulisses d’une émission qu’il avait été « con » de ne pas vérifier. Mais en 1994 c’était moins facile qu’aujourd’hui, où tout se sait à la vitesse de la Toile.

La rumeur de la rue Saint-Guillaume

Que la rumeur d’un robot doué d’une vraie intelligence ait si vite enthousiasmé les commentateurs et effrayé les enseignants témoigne de notre candeur et de notre incapacité à comprendre ce qui fait l’originalité d’un travail. Ou, plus inquiétant, de notre aspiration à la paresse.

Rassurons-nous : HAL 9000 (ou Carl 500, dans la version française, pour Cerveau analytique de Recherche et de Liaison), l’ordinateur rebelle de 2001 l’Odyssée de l’espace, n’est pas pour demain.

Une preuve ? J’ai demandé à ChapGPT de répondre à cette question simple : l’IA va-t-elle remplacer l’intelligence humaine ? Et le robot m’a répondu :

« Non, l’IA ne remplacera pas complètement l’intelligence humaine. L’IA est un outil qui peut être utilisé pour augmenter les capacités humaines et faciliter certaines tâches, mais elle ne peut pas remplacer la conscience, la créativité et l’empathie qui sont uniques à l’intelligence humaine. » Plus plat, tu meurs. On dirait de l’Annie Ernaux.
Et le fait est que si vous supprimez de votre conversation « la conscience, la créativité et l’empathie », vous êtes bon pour être un parfait étudiant de Sciences-Po, un parfait énarque en devenir, et très probablement un excellent président de la République.

 

2 commentaires

  1. Posté par aldo le

    Sans avoir utilisé chatGPT, j’ai lu pas mal d’avis contradictoires. Comme d’habitude il y a ceux qui ne comprennent rien mais qui ont déjà un avis. Ils me rappellent ces ados qui s’intéressaient au bouquin « Prendre sa retraite à 40 ans » et ils déclaraient qu’on n’a plus besoin d’aller à l’école… Voilà un gros bobard, parce chatGPT est très dépendant d’une haute maîtrise de la sémantique pour obtenir des résultats probants. Donc il doit être aussi très dépendant de l’intelligence et donc de l’expérience personnelle du locuteur.

    Je laisse de côté ces artistes mineurs, fils ou filles de qui vous savez, planqués éternels du système, qui ont définitivement perdu leur job avec chatGPT. Puisqu’on pourra dire aux politicards qui commandaient une sculpture à un millions dont, pas mal de commissions personnelles, pour la mettre au milieu d’un rond-point, qu’ils étaient des gestionnaires indélicats des finances publiques méritant un plainte pénale pour malversations, puisqu’il aurait suffit que leur secrétaire utilise chatGPT pour obtenir plusieurs propositions artistiques éblouissantes à un prix totalement ridicule, tout en passant directement commande à une fonderie. Idem pour ces architectes spécialistes des politiques, suffisamment roués pour connaitre tous les rouages des financements publics et les parcours tortueux permettant les petits cadeaux nécessaires à l’acceptation de leurs propositions.

  2. Posté par Sergio le

    Toute la gauche compte pourtant sur l’intelligence artificielle pour lui apporter des solutions, mais surtout pour lui donner des idées. Notre déclin est bien avancé, l’effondrement c’est après-demain.

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