Bernard Carayon : « L’antisémitisme historique de la gauche est un sujet tabou »

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Valeurs actuelles. Où l’antisémitisme de gauche trouve-t-il ses racines ?
Bernard Carayon. Il vient de Karl Marx, dans La question juive, publié en 1844, lorsqu’il dénonce, entre autres, « l’essence du judaïsme » et « la racine de l’âme juive », ou encore « l’opportunité et l’intérêt personnel qui se manifestent dans la soif de l’argent ». Dans une lettre envoyée à Friedrich Engels en 1862, Marx décrit le socialiste allemand Ferdinand Lassalle comme « un vrai juif de la frontière slave, avec sa manie de masquer le juif crasseux de Breslau, sous toutes sortes de pommades et de fard ». Le philosophe Pierre-Joseph Proudhon dénonce de son côté, au XIXe siècle toujours, « l’ennemi du genre humain », une race qu’« il faut renvoyer en Asie ou exterminer ». Joseph Staline lance, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en 1948, une campagne « anti-cosmopolite », qui va annoncer l’exécution des « blouses blanches » et des intellectuels juifs « incapables de comprendre le caractère national russe ». Il y a des racines théoriques à cet antisémitisme de gauche, où se mêlent l’anticapitalisme et la haine de l’argent attachés aux juifs et, en arrière-plan, le fait que le juifs soient inassimilables. C’est à la fois un combat de classe et un combat national.

Le fait que cet antisémitisme constitue un antisémitisme dit « érudit » le rend-il plus acceptable aux yeux de la gauche de 2022 ?
Non, absolument pas. La gauche n’évoque même pas cet antisémitisme : il est dissimulé, tabou. Certains analystes disent : « Il faut nuancer, tout le monde était antisémite à l’époque. » Mais il y a de multiples contre-exemples à cette assertion. Beaucoup d’hommes de gauche n’étaient pas antisémites, comme Georges Clemenceau. Toute la gauche, comme toute la droite, n’a pas été antisémite. A gauche, l’antisémitisme de Jean Jaurès est le sujet tabou par excellence, car Karl Marx n’est pas la référence absolue de cette famille politique. Jaurès fait au contraire l’unanimité à gauche et à l’extrême gauche, en témoignent les nombreuses commémorations du centenaire de sa mort, le 31 juillet dernier. Il est l’idole du socialisme français, une idole encaustiquée même. Pourtant, les zones d’ombre sont nombreuses. Son journal, La Petite République, désigne, au début du XXème siècle, le député Joseph Reinach comme un « député ignoble ». Lors de son voyage en Algérie, en avril 1895, Jaurès dénonce les juifs qui, «par l’usure, l’infatigable activité commerciale et l’abus de l’influence politique, accaparent peu à peu la fortune, le commerce, les emplois publics (…). Ils tiennent une grande partie de la presse, les grandes institutions financières, et quand ils n’ont pu agir sur les électeurs, ils agissent sur les élus ».

Dans son discours au Tivoli en 1898, Jaurès se montre encore plus caricatural : «Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n’est pas par la force du prophétisme, (…) manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corset, d’extorsion. » Longtemps convaincu de la culpabilité de Dreyfus, qui aurait échappé à la peine capitale grâce « au prodigieux déploiement de la puissance juive », Jaurès dénonce à la tribune de la Chambre la « bande cosmopolite ». Il sera d’ailleurs sanctionné pour ses propos. Après avoir, une dernière fois, souligné que « l’odeur du ghetto est souvent nauséabonde », Jaurès opère une « révolution copernicienne » lors du procès de Zola, assigné en justice par le Président Félix Faure en représailles de son « J’accuse » paru dans L’Aurore. Devenu dreyfusard, Jaurès, le repenti, obtiendra le soutien financier du banquier Louis Dreyfus pour son journal l’Humanité.

Diriez-vous que cet antisémitisme de gauche est un sujet de crispation majeur ?
Oui, évidemment. Je vais vous donner un exemple concret. Lorsque je publie en 2014 mon ouvrage Comment la gauche a kidnappé Jaurès, à l’occasion du centenaire de sa mort, je participe à beaucoup d’émissions de radio et de télé. Un jour, sur Europe 1, je participe à un débat où sont conviés un vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme, un rédacteur en chef de l’Humanité et un spécialiste de Jaurès, membre du Parti socialiste. Tout le monde baigne dans le consensus. « L’homme généreux », « la prodigieuse intelligence », « le tribun »… Les éloges pleuvent sur la figure de Jaurès. Sans contradiction. Après cette séquence de « ripolinage », je refroidis l’atmosphère en évoquant les zones d’ombre du personnage, et ses nombreux propos tenus après son voyage à Alger, en 1895. L’incrédulité et la stupeur gagnent le studio. Le journaliste, qui n’y connaissait visiblement rien, se tourne vers ses camarades, baisse la tête, et contente de dire : « Jaurès revenait d’un long voyage à Alger. Il a tenu ces propos alors qu’il était fatigué. » C’est révélateur du deux poids deux mesures des commentateurs. Si une personnalité de droite avait tenu des propos analogues, la polémique aurait été instantanée. La figure de Jaurès est taboue pour la gauche. Son antisémitisme est souvent tu. Seuls Valeurs actuelles, Le Figaro et Le Figaro Magazine ont relayé la sortie de mon ouvrage, qui démythifie le personnage historique. Et seules trois petites lignes ont été consacrées au sujet dans Le Nouvel Observateur…

Quelles formes prend aujourd’hui l’antisémitisme ?
Celle de l’antisionisme. C’est le cache-sexe de l’antisémitisme. Il peut y avoir des raisons de critiquer le gouvernement de l’Etat d’Israël. Mais lorsque la gauche antisioniste parle d’Israël, elle ne parle pas des gouvernements, mais de l’Etat en soi. Elle lui dénie son droit d’exister, sa légitimité, sa substance-même.

Par clientélisme électoral, une gauche s’est-elle complu dans cet antisémitisme déguisé ?
Il y a une compréhension très forte exprimée auprès des organisations terroristes. Dans le journal Rouge, Edwy Plenel appelait en 1972 à « défendre inconditionnellement » les terroriste anti-israéliens de Septembre noir, qui ont assassiné 11 athlètes israéliens lors de Jeux olympiques de Munich de la même année. La mythologie guerrière de cette gauche se nourrit du terrorisme anti-israélien, et par ricochet de terrorisme anti-occidental.

L’antisémitisme musulman est-il aujourd’hui l’antisémitisme le plus virulent ?
Oui, il représente la grande majorité du nouvel antisémitisme, que ce soit dans la violence des mots et des actes. Je n’ai jamais entendu parler d’une synagogue profanée qui l’aurait été par un bouddhiste, un protestant ou un catholique. Le vote mélenchoniste s’est nourri de la population immigrée dans les banlieues (69% des musulmans ont voté pour le candidat insoumis, selon un sondage Ifop pour La Croix). C’est un vote ethnique et confessionnel. Cette stratégie cynique le met en marge du camp républicain et du camp national. Il y a toujours eu une gauche qui a exprimé la différence étrangère. C’était autrefois par idéologie. L’ancien ministre des Armées Jules Moch disait : « Les communistes ne sont pas à gauche, ils sont à l’Est. » Il dénonçait leur défense et leur attachement excessif à l’Union soviétique. Puis, l’URSS s’est effondrée. La gauche a dû se trouver un prolétariat de substitution. Pour eux, il est issu des guerres coloniales. Ils ont alimenté en France un sentiment de culpabilité, et une alliance d’intérêt avec ces populations. Il y a dans une certaine gauche un appétit irrépressible pour la trahison des intérêts républicains et nationaux.

Comment expliquer la complaisance de la gauche vis-à-vis de l’antisémitisme musulman ?
Il y a la volonté de ne pas stigmatiser le musulman. Il est le prolétaire de substitution, le nouveau « damné de la Terre ». C’est un réflexe électoraliste. Il y a aussi ce vieux réflexe de soumission au mâle dominant, à l’homme fort, celui qui bombe le torse. Il y a un rapport de force, un mécanisme de soumission qui s’est instauré. Il est très difficile de s’en extirper.

 

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2 commentaires

  1. Posté par Coligny le

    Pendant la dernière guerre en France, nombre d’antisémites déclarés venaient de gauche comme Georges Montandon et d’autres. Henri Labroue, ancien député de la Gironde radical-socialiste tenta d’inaugurer à la Sorbonne un cours dénonçant le judaïsme,

  2. Posté par antoine le

    L’hypocrisie crasse de la gôche :
     » La gauche n’évoque même pas cet antisémitisme : il est dissimulé, tabou. »

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