Tuerie d’Uvalde, une débâcle de la police

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

La tuerie d'Uvalde fait couler beaucoup d'encre de ce côté de l'Atlantique, mais des détails essentiels du drame sont passés sous silence.

Mémorial improvisé aux victimes d'Uvalde - (source)

Prenons Le Matin, bastion de la pensée unique s'il en est, comme support d'analyse. Un premier article est publié dès le lendemain de la tuerie. Lisons les premiers paragraphes:

Un adolescent de 18 ans a ouvert le feu mardi, dans une école primaire au Texas, tuant 19 jeunes élèves et deux adultes, un drame qui a replongé l’Amérique dans un cauchemar chronique, Joe Biden exhortant à un sursaut pour réguler les armes à feu.
«Il est temps de transformer la douleur en action», a insisté le président américain, visiblement ému, dans une allocution solennelle à la Maison-Blanche. «Quand, pour l’amour de Dieu, allons-nous affronter le lobby des armes?» a lancé Joe Biden, se disant «écœuré et fatigué» face à la litanie des fusillades en milieu scolaire. Cette dernière tragédie a fauché la vie d’enfants âgés d’une dizaine d’années tout au plus.

Le ton est donné. Peu d'informations factuelles sur le déroulement des faits, mais une large place laissée à l'exploitation politique du drame par Joe Biden. On apprend que le "tireur a été tué par la police", ce qui est inexact. "Cette nouvelle tuerie, d’autant plus choquante que les victimes sont des enfants, ne manquera pas de relancer les critiques sur la prolifération des armes à feu aux États-Unis" explique sans détour le rédacteur du texte. Ces armes pléthoriques qui se mettent à tuer des enfants toutes seules...

La polémique naît pourtant. Elle est même publiée sur Le Matin le 6 mai au soir (moment idéal pour amener un article à disparaître dans le flux de l'actualité tout en prétextant avoir fait le job) sous le titre "Il y avait au moins 40 agents armés jusqu’aux dents, mais ils n’ont rien fait". Des esprits critiques "dénoncent la passivité des forces de l’ordre. Ils estiment que les policiers ont trop attendu avant de donner l’assaut", explique le journaliste d'un ton détaché et impersonnel proprement ignoble, alors que les critiques viennent de parents qui ont perdu leurs enfants.

Que s'est-il passé à Uvalde? Difficile de le savoir en lisant la presse romande. Qu'importe, finalement, puisque les conclusions sont déjà tirées! Cependant, le 27 mars, trois jours après la tuerie, un nouvel article "Une matinée d’horreur: ce que l’on sait de la tuerie du Texas", tente une approche plus factuelle des événements. On y lit que:

Mardi vers 11 h 00 (16 h 00 GMT), le tueur, identifié plus tard comme Salvador Ramos, âgé de 18 ans, annonce «sur Facebook» qu’il va «tirer» sur sa grand-mère, chez qui il habite, selon le gouverneur du Texas, Greg Abbott. Touchée au visage, la femme de 66 ans peut néanmoins alerter la police. Elle sera transportée dans un état critique à l’hôpital University Health de San Antonio. Le jeune homme, en tenue paramilitaire, s’enfuit avec le pick-up de sa grand-mère. Sur Facebook, il annonce aussi qu’il va s’attaquer à «une école primaire», toujours selon Greg Abbott.

Suit le reste du déroulé de cette journée, là encore émaillé d'approximations et de contre-vérités. Mais ce pseudo compte-rendu trouble par son imprécision: seules deux heures sont mentionnées. 11h du matin et 11h 40 un peu plus tard, au cours de la cavale du tireur. Sa mort n'est plus mentionnée du tout, ni quand, ni de quelle façon. Trois jours après les faits, dans un article intitulé "ce que l'on sait", on ne sait même plus comment le forcené a été abattu.

Place au pathos. Le 28 mai, Le Matin joue la surenchère émotionnelle avec un autre article abominable - une dépêche de l'AFP, en réalité - dans lequel est décrit comment "une élève de 11 ans (...) a raconté s’être enduite de sang et avoir fait la morte pour échapper au tireur qui venait de tuer ses camarades et professeures." L'information vient de CNN via un témoignage "non filmé et sans citation directe". Les parents ont ouvert une cagnotte.

Un second article, le même jour, là encore décrivant le calvaire subit par les victimes. Au détour du récit, notons une phrase curieuse:

Il a fallu attendre environ une heure, mardi, pour que la police mette fin au massacre, malgré plusieurs appels passés par des enfants, demandant une intervention. Les 19 agents sur place attendaient l’intervention d’une unité spécialisée de la police aux frontières.

19 agents sur place attendant pendant une heure? Et qu'est-ce que l'intervention d'une unité spécialisée de la police aux frontières vient faire là-dedans? Le narrative commence à se détricoter.

Il faudra pourtant attendre le 8 juin, deux semaines après les faits, pour que la polémique apparaisse, alors que le flot de l'actualité permet de passer à autre chose. Un dernier article laisse éclater la colère d'Arnulfo Reyes, un enseignant qui a vu mourir onze élèves sous ses yeux. Parce que les policiers ont été en-dessous de tout ce jour-là. Il "ne pardonnera jamais les policiers pour leur passivité et même leur lâcheté", explique-t-il.

Notons qu'aucun des article mentionnés n'a été ouvert aux commentaires.

Que s'est-il passé à Uvalde?

Pour avoir un témoignage de première main, il suffit de se rendre sur la version originale de l'interview d'Arnulfo Reyes. Elle décrit en détail la fatidique journée. Après avoir essuyé le passage du tireur - et encaissé deux balles - l'enseignant gisait sur le sol, faisant le mort.

Reyes a déclaré avoir entendu trois fois des officiers s'approcher de sa salle de classe depuis ce qui ressemblait au couloir, mais ils ne sont pas entrés.

À une occasion, il a dit avoir entendu un élève appeler la police. « L'un des élèves de la classe voisine disait : 'Officier, nous sommes ici. Nous sommes ici'... Mais la [police] était déjà partie », a-t-il dit. (...)

À l'insu de Reyes, les parents et les spectateurs s'étaient rassemblés à l'extérieur de l'école et encourageaient les agents à entrer dans le bâtiment. Ce n'est qu'à 12h50 qu'une unité tactique franchit finalement la porte de la salle de classe et tua le tireur.

Nous apprenons également que l'école primaire Robb se préparait pour des "événements de tir actif", menant des exercices quelques semaines seulement avant le massacre. Mais Reyes expliqua que le 24 mai les protocoles furent défectueux à chaque étape - des méprises et des faux-pas qui coûtèrent des vies. Il n'était même pas parvenu à avoir une porte de classe fermant à clé.

Reprenons, résumant ce que nous savons par de meilleures sources que Le Matin.

La chronologie des faits selon le Daily Mail. Depuis cette infographie nous savons que certains éléments indiqués sont faux: il n'y avait aucun policier dans l'école ce jour-là, ni aucun policier qui croisa le tireur sur la route - deux "approximations" soutenues initialement par la police locale, mais finalement réfutées.

Salvador Ramos annonce sur Facebook qu’il va tirer sur sa grand-mère, chez qui il habite. Touchée au visage, la femme de 66 ans peut néanmoins alerter la police. L'adolescent part en pick-up mais emboutit celui-ci dans un fossé et tire sur des gens dans un centre funéraire à proximité de l'école primaire Robb. Il reste plusieurs minutes ainsi à tirer à l'extérieur sans la moindre interférence. Il entre par la cour arrière de l'école, qui a été ouverte quelques minutes plus tôt. Dix-neuf policiers finissent par se rassembler à mi-chemin mais refusent d'engager le tireur isolé.

Le tueur entre dans deux salles de classe et se livre à un massacre. Des dizaines de policiers finissent par entourer le bâtiment de l'école. Une heure passe dans la confusion générale, pendant laquelle le chef de la police du coin - qui "ignorait qu'il était en charge de coordonner la réponse policière" et a jugé bon "de se débarrasser de sa radio pour courir plus vite" cherche à obtenir la bonne clé pour ouvrir la porte (non fermée) de la classe où s'est retranché le tireur. Les policiers, en gilets pare-balles, ignorent les appels des parents à intervenir. Ils attendent qu'on leur livre des boucliers blindés pour mener l'assaut ou qu'une unité d'élite s'en charge.

La police frappe, immobilise au taser et met en état d'arrestation des gens qui veulent aller à l'intérieur de l'école secourir leurs enfants. D'autres prennent l'initiative. Il faudra attendre 12h50 pour que la police intervienne vraiment et que Salvador Ramos soit finalement abattu. Au moins une enseignante et trois enfants périrent, à cause du temps perdu, de l'hémorragie causée par leurs blessures.

La tuerie d'Uvalde a été commise par des armes à feu, mais elle n'aurait pas pu survenir sans la désorganisation et la lâcheté des forces de police locales ; ni avec le respect des normes de sécurité les plus élémentaires, comme d'être capable de fermer une salle de classe. Les détails de ce genre n'intéressent ni Joe Biden, ni Le Matin.

Un commentaire

  1. Posté par antoine le

     »La tuerie d’Uvalde a été commise par des armes à feu, mais elle n’aurait pas pu survenir sans la désorganisation et la lâcheté des forces de police locales ; ni avec le respect des normes de sécurité les plus élémentaires, comme d’être capable de fermer une salle de classe. Les détails de ce genre n’intéressent ni Joe Biden, ni Le Matin. »
    – Désorganisation de la police ?
    – Lâcheté de la Police ?
    Cela me rappelle le Bataclan !! Même situation et un temps d’attente interminable …
    https://www.bfmtv.com/police-justice/proces-du-13-novembre-on-n-a-pas-obei-aux-ordres-raconte-les-premiers-policiers-arrives-sur-place_AD-202110270529.html
    Il y avait quelques policiers courageux qui ont fait leur devoir !

Et vous, qu'en pensez vous ?

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