La perspective néo-marxiste sur les médias

Journalisme

Carla Montet : Les sociologues se sont beaucoup interrogés sur le rôle des médias dans leur façon de filtrer et de présenter l’information, élaborant des notions comme celle d’agenda médiatique.
En fixant l’agenda, c’est-à-dire en concentrant l’attention des citoyens sur un nombre limité de thématiques, les médias influent sur la formation de l’opinion.
Ensuite, l'orientation politique imposée comme "vérité objective" dans les travaux des journalistes, ainsi que les méthodes d'investigation et d'interview, le tri des intervenants et des sources de références, le choix des "spécialistes" et des "experts", le langage, le vocabulaire, le "jargon", la formulation, le ton, la contextualisation et décontextualisation des propos, tout cela permet de transformer un journaliste en journaliste d'opinion, puis en journaliste militant.

Exemple récent de "canalisation" des préoccupations de la plèbe:

Actuellement, les articles pleuvent pour débattre d' une question qui se veut lancinante: "Faut-il démasculiniser Dieu?" Après que la bienpensance médiatique en a fini avec le mâle Blanc dominant, sexiste, c'est au tour de Dieu de passer à la casserole.
La recette pour cette haute gastronomie journalistique, c'est de travailler plutôt les tripes que des ciboulots,... un zeste pour rétablir les injustices faites aux femmes racisées, un zeste de planète en péril, sans oublier les souris de laboratoire transgenres en souffrance... C'est du grand art, c'est "La Rose qu'on nous propose", comme chantait jadis Alain Suchon dans "Foule sentimentale".

Le problème n'est pas que tout cela existe, mais que le journalisme d'opinion et le journalisme militant veulent se faire passer pour de simples intermédiaires, des passeurs d'idées neutres, des aides objectives à la formation de l'opinion, tout en ne proposant que les 50 nuances de rouge.

C'est ainsi que nos journalistes se font actuellement une auto-promotion éhontée, à tel point que les "réflexions journalistiques" sur la votation du 13 février concernant "l'aide aux médias" se confondent blanc bonnet, bonnet blanc avec les publicités imprimées juste à côté, tant les moyens pour obtenir la manne venant de nos poches ne connaissent plus de scrupules.

En voici un exemple qui vaut le détour, dans le Courrier du 24 janvier 2022:   Le droit à l’information est en danger

extraits: [...] Le droit à l’information fait partie du droit à la liberté d’expression et d’opinion1 [...]

[...] l’information non orientée est devenue une denrée rare et les journalistes indépendant·es en quête de vérité également.
Ces dernier·es, soumis·es à des pressions – politiques et économiques en particulier – font face à de multiples menaces (du licenciement à l’emprisonnement), quand ils et elles ne sont pas assassiné·es3 [...]

références: 1. Cf. la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 19) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 19).
2. Selon la Fédération internationale des journalistes, 2658 journalistes ont été assassiné·es entre 1990 et 2020, www.ifj.org/fr/salle-de-presse/rapports/detail/livre-blanc-de-la-fij-sur-le-journalisme-mondial/category/publications.html

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Il va de soi que si nos journalistes réclament des centaines de millions de subventions, c'est pour notre bien, car sans eux, nous ne serions plus capables de former notre opinion et de savoir au final ce que nous devrions voter. Actuellement, nos médias pensent à notre place, mais que deviendrions-nous si nous n'étions plus inspirés par eux?
La RTS a encore son public, mais pratiquement plus personne ne lit la presse, et sans les aides étatiques déjà existantes, sans les abonnements des administrations en nombre pléthorique, la plupart des journaux seraient depuis longtemps déjà rangés à côté de l'Hebdo et du Matin.
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À propos de la question « Pourquoi l'agenda médiatique est-il limité ? » – quels sont les facteurs aboutissant à cette limitation – le site Revise Sociology, a publié une série de fiches résumant les réponses de plusieurs théories concurrentes.
Nous traduisons ci-dessous celle qui concerne la perspective néo-marxiste.

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Pour les néo-marxistes, c'est l'hégémonie culturelle qui explique pourquoi nous avons un agenda médiatique limité.

Article de Karl Thompson. – Les journalistes ont plus de liberté que ne le suggèrent les marxistes traditionnels, et l'agenda médiatique n'est pas directement contrôlé par les propriétaires. Cependant, les journalistes partagent la vision du monde des propriétaires et ils utilisent le contrôle d'accès et la mise à l'agenda pour garder hors de l'agenda des médias les articles nuisibles aux élites et propager ainsi volontairement l'idéologie dominante.

Cette perspective est aussi appelée perspective de l'idéologie dominante ou perspective hégémonique des médias.

 

Les néo-marxistes mettent l'accent sur l'hégémonie culturelle

Il y a hégémonie lorsque les normes et les valeurs de la classe dirigeante sont considérées comme le sens commun.

Pour les néo-marxistes, la raison pour laquelle nous avons un agenda médiatique limité réside dans l'hégémonie culturelle, et non dans le contrôle direct par les riches propriétaires de médias. C'est-à-dire que les facteurs culturels sont plus importants que les facteurs économiques pour expliquer le contenu étroit des médias.

Autrement dit, les journalistes ont accepté la vision du monde conservatrice de la classe dirigeante comme étant le sens commun, et ils partagent cette vision du monde avec la classe dirigeante - ils propagent ainsi inconsciemment eux-mêmes l'idéologie dominante sans qu'il y ait besoin d'un contrôle direct par les propriétaires des médias.

Les journalistes propagent de leur plein gré l'idéologie dominante

Les journalistes ont la liberté de présenter l’information comme ils l'entendent, de sorte que le contenu des médias est déterminé par d'autres facteurs que le contrôle économique/la propriété: des facteurs tels que les intérêts des journalistes et les valeurs de l'industrie de l'information.

CEPENDANT, le large programme des médias est encore limité parce que les journalistes partagent la même vision du monde que la classe dirigeante et les propriétaires (c'est ce qu'on appelle « l'hégémonie culturelle »).

S'il est ainsi, c'est au moins en partie parce que les journalistes sont eux-mêmes majoritairement blancs et issus de la classe moyenne; plus de 50 % d'entre eux sont allés dans des écoles privées. Ils présentent ainsi en pilotage automatique une vision conservatrice et néolibérale du monde.

De plus, les journalistes ne veulent pas risquer leur carrière en contrariant les propriétaires et ils sont donc réticents à publier du contenu qui pourrait contrarier les propriétaires.

Mise à l'agenda et maintien de l'agenda

La mise à l'agenda et le contrôle d'accès sont les deux processus par lesquels les journalistes limitent le contenu des médias. Ils sont normalement utilisés en relation avec la sélection et la présentation des informations.

Contrôle d'accès (gatekeeping) = le processus de sélection des sujets qui seront traités dans le média ou seront exclus.

Définition de l'agenda (ou mise à l’ordre du jour, agenda setting) = le fait de décider comment les éléments médiatiques vont être encadrés; par exemple, qui va être invité à discuter des sujets et quel type de questions vont être posées. (Ndt: il nous semble que ce n'est pas la définition habituelle et que l’agenda setting se réfère lui aussi à la sélection des sujets.)

Pour les néo-marxistes, le contrôle d'accès et la définition de l'agenda tendent à faire en sorte que les questions nuisibles à l'élite soient tenues à l'écart des médias, renforçant ainsi l'idéologie dominante.

Voici des exemples de définition d'agenda et de contrôle d'accès :

  1. Inviter seulement deux partis politiques pour commenter une information – on entend rarement le Parti vert, par exemple [l’article parle du Royaume-Uni et non de la Suisse! ndt].
  2. Se concentrer sur les violences lors des émeutes et des manifestations, plutôt que sur les problèmes qui font l'objet des protestations ou sur la cause des émeutes.
  3. Les informations adoptant le point de vue de la police et du gouvernement, plutôt que d'écouter celui des criminels ou des terroristes.

Critiques du néo-marxisme

  • Les marxistes traditionnels soutiennent que le néo-marxisme sous-estime l'importance des facteurs économiques, par exemple le pouvoir des propriétaires d'embaucher et de licencier des journalistes
  • Comme pour le marxisme traditionnel, le rôle des nouveaux médias peut rendre la perspective néo-marxiste moins pertinente. Il est maintenant beaucoup plus difficile de maintenir l'idéologie dominante, par exemple.
  • Les pluralistes soulignent que la perspective néo-marxiste tend à continuer de supposer que le public est passif et facilement influencé par l'idéologie dominante. En réalité, le public peut être plus actif et critique.

Sources : https://revisesociology.com/2019/08/05/neo-marxist-media

  • Ken Browne (2016) Sociology for AQA Volume 2
  • Chapman (2016) Sociology AQQ A-Level Year 2

3 commentaires

  1. Posté par kandel le

    RAPPEL:
    « […] Du premier, philosophe marxiste et membre fondateur du Parti communiste italien [Antonio Gramsci (1891-1937)], on a voulu surtout récupérer et détourner le concept d’« hégémonie culturelle ». […] SEUL CELUI QUI A L’HÉGÉMONIE CULTURELLE DÉTIENT LE VRAI POUVOIR PAR LA SUBVERSION DES ESPRITS. […] »
    https://www.lhistoire.fr/carte-blanche/trump-et-les-philosophes

  2. Posté par kandel le

    « Actuellement, nos médias pensent à notre place »
    La formule suivante ne serait-elle pas plus adéquate pour notre époque ?
    « Actuellement, l’immense majorité ne pense plus mais se borne à répéter… en croyant penser ce qui est le pire »

    Les journaleux s’en frottent les mains en se croyant au-dessus de cette masse moutonnière alors qu’ils sont encore plus esclave de la bienpensance que tous… mais ce sont des « moutons universitaires » ce qui changerait tout.

    D’autres ont dit, en Suisse, il n’y a plus que deux partis LA GAUCHE et L’UDC… ou, ce qui revient au même, DES MOUTONS et L’UDC

    Pour sa part, Jan Marejko avait écrit à ce sujet « La ligne de partage n’est plus entre DROITE et GAUCHE mais entre ceux qui PENSENT et ceux qui sont POSSÉDÉS par une idéologie de l’homme total.»

  3. Posté par antoine le

     »Actuellement, nos médias pensent à notre place »
    Cette petite phrase pose un énorme problème !
    En effet qui a le droit de penser à la place d’autres personnes dans notre démocratie ?
    S’attribuer cette fonction est très malsaine, car elle signifie qu’on prend le citoyen lambda pour un simple d’esprit, un naïf, voire un imbécile !
    Cet accaparement de fonction est illégale, tout comme la propagande de gôche diffusée à outrance de la RTSocialiste, payée par la redevance obligatoire !
    N’oublions pas que  »qui paie commande » !
    NOUS le Peuple nous payons donc nous exigeons une diffusion de l’information juste et honnête et qui reflète la RÉALITÉ. On n’a pas besoin du  »politiquement correct » ou de l’avis du  »Politik bureau » !!
    On en a MARRE d’entendre tout le temps des émissions où on culpabilise sans fin des communautés entières de délits qui n’ont pas été commis !
    C’est FINI, on pense à l’avenir, nos Jeunes doivent prendre confiance en eux !
    Il y aura une fin avec le virus chinois de Wuhan, renommé covid-19 pour ne pas froissé les chinois et son président Xi.
    Il y aura une fin des interdictions et autres plaisanteries du genre pass sanitaire ou pass vaccinal.
    Ici en Europe, nous n’avons PAS la mentalité de se soumettre à de petits dictateurs du genre M. Micron !

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