Des cornflakes pour le djihad : l’histoire des origines de Boko Haram

Le problème du terrorisme islamique organisé au Nigeria n'a pas commencé en 2009. Il est beaucoup plus insidieux que vous ne le pensez.

Par David Hundeyin

En mai 2021, un homme d'affaires de 96 ans est mort à Rome, en Italie. De son vivant, Ahmed Idris Nasreddin a peut-être amassé une fortune personnelle de près d'un demi-milliard de dollars, mais la mort du fondateur multimillionnaire de NASCO Group a à peine fait la une des journaux. À première vue, la seule chose extraordinaire dans l'histoire de sa vie était qu'elle incarnait le rêve de l'entrepreneuriat africain.

Nasreddin était un Érythréen qui s'est installé à Jos, dans l'État du Plateau au Nigeria, et a transformé la petite entreprise manufacturière de son père en un conglomérat de 460 millions de dollars, présent dans tous les secteurs, des céréales pour petit-déjeuner et des confiseries aux produits pharmaceutiques, en passant par l'immobilier et l'énergie. Après de nombreuses années de croissance et de succès, il a finalement cédé son empire commercial tentaculaire à son fils Attia Nasreddin et s'est retiré à un âge avancé et satisfait.

Dans une déclaration officielle publiée après le décès de Nasreddin en mai, le gouverneur de l'État du Plateau, Simon Lalong, a écrit :

"NASCO est restée au fil des ans un important employeur au Plateau et continue de contribuer à la prospérité économique de l'État et du Nigeria en général par le biais des recettes fiscales et de la responsabilité sociale des entreprises."

C'était du moins l'histoire officielle.

En réalité, comme souvent au Nigeria, le fossé entre les faits et les informations diffusées au public est si large qu'il est à peine croyable. Pourquoi cet homme d'affaires avisé et respectable, qui semblait ne pas pouvoir faire de mal à une mouche, figure-t-il dans un même article sur l'organisation terroriste la plus meurtrière du monde ? Pourquoi la marque qu'il a créée, qui évoque pour de nombreux Nigérians les petits-déjeuners de leur enfance, apparaît-elle dans la même phrase que Boko Haram ?

Pour répondre à ces questions, notre histoire commence sur un autre continent, en 1955, quelque huit ans avant que son père ne s'installe au Nigeria et ne fonde le groupe NASCO.

Un érudit de Zamfara

Nous sommes en 1955, et un érudit islamique de 33 ans, originaire de Gummi, dans l'actuel État de Zamfara, se rend à La Mecque pour son premier pèlerinage du Hajj. Il est accompagné d'un certain Ahmadu Bello, qui est le premier ministre du nord du Nigeria. Au cours de ce voyage, l'érudit impressionne à la fois Ahmadu Bello et le roi saoudien Sa'ud par ses talents de traducteur en arabe. Il fait rapidement une grande impression sur de nombreux habitants et religieux de la Mecque.

Ces relations deviendront plus tard son atout le plus précieux […]. À son retour au Nigeria, il occupe un poste de professeur d'études arabes dans des écoles islamiques à Kano et à Kaduna. Son enseignement est axé sur l'éducation de ses étudiants aux différences entre la doctrine religieuse islamique et les coutumes locales. Se fondant sur sa compréhension sunnite stricte du Coran, il enseigne à ses élèves à adopter une identité islamique "pure" au détriment des pratiques qu'il considère comme bid'ah ("innovation" ou "corruption") […].

Il devient également le premier érudit islamique à traduire le Coran de l'arabe en haoussa, ce qui le place dans une position d'influence unique […]. Grâce à ce levier, il devient une figure de plus en plus puissante dans le nord du Nigeria, et ses vues essentialistes sur la doctrine islamique gagnent en popularité. Pour lui, les ordres soufis existants du nord du Nigeria sont pollués par la bid'ah et inadéquats. Il se fait connaître en attaquant les confréries Tijaniya et Qadriyya lors de ses apparitions sur Radio Kaduna, tout en prônant un "retour" à la "pureté islamique".

Après la mort de son ami et bienfaiteur Ahmadu Bello, l'universitaire se retrouve dans une situation précaire. Le nouveau gouvernement fédéral nigérian, dirigé par des militaires, tend à réprimer toute personne influente et au franc-parler. Il est peut-être un géant dans le nord du Nigeria, mais c'est un géant aux pieds d'argile. Aussi va-t-il chercher une aide financière, doctrinale et politique auprès de ses amis de La Mecque. Les Saoudiens, comme toujours, sont prêts à l'aider.

Ses bailleurs de fonds saoudiens souhaitent l'utiliser pour promouvoir l'interprétation officielle de l'islam de l'État saoudien, qui se fonde sur les travaux du savant islamique du 18e siècle Muhammad ibn 'Abd al-Wahhab. Cette doctrine fondamentaliste, souvent appelée wahabbisme, correspond tout à fait aux enseignements de notre héros du nord du Nigeria, qui s'emploie avec enthousiasme à recueillir des soutiens pour ce nouveau projet financé par l'Arabie saoudite. Dans son livre "The Wahhabi Mission and Saudi Arabia", publié en 2009, l'historien David Commins écrit : "La mission wahhabite et l'Arabie saoudite :

"La Ligue [islamique mondiale, financée par l'Arabie saoudite] a également envoyé des missionnaires en Afrique de l'Ouest, où elle a financé des écoles, distribué de la littérature religieuse et accordé des bourses pour fréquenter les universités religieuses saoudiennes. Ces efforts ont porté leurs fruits dans la région musulmane du nord du Nigeria. […]

Suite en anglais : https://westafricaweekly.substack.com/p/cornflakes-for-jihad-the-boko-haram

Traduction Albert Coroz pour LesObservateurs.ch

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