Politiquement correct à l’université : danger sur la science

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politiquement correct université

Par Marcel Kuntz.
Ses analyses ne reflètent pas la position officielle de son employeur.

La société occidentale contemporaine est depuis quelques décennies gagnée par une nouvelle idéologie dominante, que l’on peut nommer le postmodernisme.

Dès les années 1960-70, ce mouvement a eu ses théoriciens dont les thèses consistent en un déni des points de vue philosophiques généraux des Lumières, une méfiance de la raison et du progrès et par conséquent de la science et de la technologie. Ils rejettent les « méta-récits » (christianisme, marxisme, science, etc.). Le postmodernisme se définit également comme un ensemble de déconstructions.

Celles-ci concernent entre autres :

  • L’Homme des Lumières, encouragé à devenir un être individualiste et consommateur à l’identité variable, qui pourra par exemple déterminer son genre ;
  • La Nation à laquelle se substituent d’autres communautés imaginées, comme des groupes réclamant le statut de minorités et/ou d’opprimés ;
  • La démocratie représentative à laquelle il faudrait préférer une démocratie  participative aux contours pourtant flous et où règnent des minorités actives ;
  • La déconstruction de la réalité elle-même par un constructivisme social (tout est  construction sociale) intimement lié au relativisme (tout se vaut).

L’idéologie postmoderne déclinée en science et technologies

Transposée par la chapelle de sociologie postmoderne dite des Science and Technology Studies (STS), la même idéologie touche la science qui ne serait qu’une construction sociale, une simple opinion d’une communauté scientifique partageant des présupposés, ne valant pas plus que toute autre opinion. Relativisme oblige, les militants de l’écologisme et les charlatans doivent être écoutés comme (voire plus que) les scientifiques reconnus.

Revêtant habilement les habits de la démocratie, une dérive démocratiste exige que la science devienne citoyenne. Cette conception en apparence d’ouverture, devenue hégémonique dans les institutions scientifiques, risque d’être captée par des groupes politisés .

Profitant de querelles politiques autour de questions scientifiques et technologiques, comme celle des OGM, la chapelle des STS a propagé l’idée que la participation des citoyens est indispensable en science. En réalité, ce seront souvent des activistes qui participeront. Cette idéologie est parvenue à s’imposer dans l’évaluation scientifique des risques par exemple. Le but final est de l’imposer partout, y compris en amont dans les laboratoires.

Pourquoi cette idéologie et le politiquement correct se sont imposés en Europe

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a voulu légitimement prévenir de nouvelles guerres et d’autres atrocités (génocides, totalitarismes). À partir des années 1970, la démarche est devenue idéologique : l’Europe a voulu éviter tout  tragique, et pour ce faire a choisi de renoncer à une ambition de puissance. Durant les années 1980, cette idéologie du « sans tragique » s’est étendue aux risques technologiques et a donné naissance au principe de précaution.

Ce fut un choix contre-productif : pour éviter tout risque même hypothétique, l’Europe est prête à renoncer aux bénéfices, même établis. Le blocage des biotechnologies des plantes et des OGM diabolisés illustre cette dérive qui s’est étendue aux nouvelles biotechnologies baptisées gene editing.

L’Europe y est largement distancée par les États-Unis, eux-mêmes rattrapés par la Chine. Tenaillées par l’idéologie postmoderne, nos élites politiques et administratives demeurent insensibles à cette perte de puissance et à la vassalisation qui en découle.

Le facteur clé : le sentiment de culpabilité occidental

La bien-pensance contemporaine croit devoir porter sur ses épaules toute la culpabilité de l’Occident (Western Guilt). Pour sa rédemption, elle affiche de nouvelles vertus, quasi théologales (la virtue-signalling des Anglo-Saxons) : donner des gages de non-sexisme, de non-racisme, être inclusif, éco-responsable, et autres slogans que chacun interprète comme il veut. Même et surtout si l’on n’a, en réalité, commis ni délit, ni crime dans ces domaines.

Aux États-Unis, en raison de son passé esclavagiste et ségrégationniste, la Western Guilt se manifeste souvent au sujet des races. Sa dérive fanatique, l’idéologie woke et la cancel culture pratiquent une chasse aux sorcières dans les universités ; des professeurs sont harcelés, voire licenciés lorsqu’ils ont déplu à certaines minorités actives.

Le meurtre de Georges Floyd a été l’événement déclencheur de ce qui était en gestation : la racialisation des discours et l’autoflagellation dans les sciences dites dures. De nombreuses institutions et revues scientifiques ont cru bon d’accuser la science de « racisme systémique » en prenant comme argument la sous-représentation des Noirs.

L’idéologie postmoderne déclinée sur le genre

L’idéologie du genre est portée dans le monde universitaire par une branche de la sociologie postmoderne, les gender studies, cousine en constructivisme (l’identité sexuelle ne serait qu’une construction sociale) des STS (les lois scientifiques ne seraient qu’une construction sociale). Certains utilisent cette notion de genre dans une logique totalisante, souhaitent l’introduire partout et par ce biais instaurer un contrôle social le plus large possible (voir ci-dessous l’exemple du financement de la recherche).

Comme pour la sous-représentation des Noirs en science, qui porte les accusations de « racisme systémique » aux États-Unis (alors que les causes sociales et économiques sont plus complexes), l’argument est qu’il n’y a pas, dans toutes les disciplines scientifiques et à tous les niveaux hiérarchiques, une stricte parité entre hommes et femmes, pour porter des accusations de « sexisme » (là aussi les causes sont plus complexes). Bien que ni la pensée ni les compétences spécifiques n’aient de sexe, la wokisation en cours de l’Europe considère qu’il est nécessaire d’imposer la parité, ce qui amènera inévitablement au soupçon sur les compétences de la femme qui aura été recrutée.

Ainsi, dans le programme de financement Horizon Europe, le genre a pris une dimension clairement coercitive :

La nouvelle éligibilité pour avoir accès aux financements d’Horizon Europe : il sera nécessaire pour les organismes publics, les organismes de recherche et les établissements d’enseignement supérieur, à partir de 2022, d’avoir mis en place un plan d’égalité des sexes.

On voit ainsi apparaître des formations réservées aux femmes, donc objectivement interdites aux hommes, dont le stage « Osez les carrières au féminin », une rupture inquiétante avec les valeurs de l’universalisme que portent l’enseignement supérieur et la recherche. Et une rupture également avec la mixité prônée à l’école. Personne ne gagnera à une communautarisation potentiellement porteuse d’antagonismes sur la base du sexe.

La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a dévoilé le 15 octobre 2021 son plan d’action pour combattre les « Violences sexistes et sexuelles » (VSS). En réalité, le concept de VSS a déjà proliféré dans le monde universitaire, dans un sens idéologique, avec des formations qui prétendent les combattre. L’imprégnation idéologique de ces formations (éminemment bien-pensantes en apparence : qui peut être contre la lutte contre les violences ?) est illustrée par l’extension excessivement large du périmètre des dites violences et du  sexisme.

Des moqueries sont par exemple ainsi cataloguées comme des violences qui deviennent sexistes dès qu’elles concernent une femme (implicitement la femme est jugée incapable de répondre et de s’affirmer). L’affichage d’une lutte contre les vraies violences s’accompagne ainsi d’un programme idéologique plus large.

Une telle tendance est de nature à donner une image négative injustifiée (sexiste et violente par une nature) des universités en général.

Un marqueur idéologique : la pratique de l’écriture inclusive

Comme pour les affichages de vertu évoqués ci-dessus, il ne fait pas de doute que, mis à part quelques idéologues, la plupart des personnes pratiquant l’écriture inclusive pensent bien faire. Produit de la même idéologie, elle est généralement associée aux autres affichages de vertu.

En réalité, « inclure tout le monde » ne peut se faire par la langue qui en tant que telle n’est ni inclusive ni exclusive : la langue est un outil de l’entendement qui ne relève pas d’une logique quantitative ni d’une représentation sociale. Si elle était généralisée, l’écriture inclusive favoriserait l’atomisation de la langue en autant de communautés fondées sur les séparatismes linguistiques, graphiques et idéologiques, et donc la balkanisation intellectuelle et culturelle de la francophonie.

En résumé

L’idéologie postmoderne porte une conception différentialiste (communautariste) qui s’oppose à l’universalisme des Lumières : les Blancs vs. les « racisés », les hommes vs. les femmes, etc.

En science, elle encourage le relativisme contre la méthode scientifique, et le constructivisme qui peut aller jusqu’à récuser l’existence des faits scientifiques.

Le basculement idéologique de la modernité vers la postmodernité peut se résumer par l’image d’un pendule.

S’étant glissée dans les habits de la démocratie, de l’égalité, de la justice, etc., incorporant aussi l’écologie, et portée par le système médiatico-politique dominant, l’idéologie postmoderne a pu dissimuler aux scientifiques, pour mieux les manipuler, les menaces qu’elle présente pour la science.

De simple affichage de vertu, l’idéologie postmoderne veut ensuite diffuser sa liturgie et ses nouvelles normes morales politiquement correctes, et est par voie de conséquence amenée à concevoir des modes de rééducation culturelle, et inéluctablement à les imposer par une coercition sociale, et finalement à réduire au silence les dissidents.

 

 

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