La Commission européenne se sert du plan de relance pour faire plier la Pologne

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Pologne/Union européenne – L’Italien Paolo Gentiloni, commissaire européen en charge de l’économie et ancien premier ministre de son pays, a causé une véritable tempête en Pologne en expliquant le 1er septembre que si la Commission n’a pas encore approuvé le plan de relance polonais – ce qui est une condition pour débloquer les fonds européens – c’est notamment à cause de la saisine par le premier ministre polonais de son Tribunal constitutionnel à propos de la primauté du droit de l’Union européenne par rapport à la Constitution polonaise. Gentiloni a assuré devant un groupe d’eurodéputés que la Commission avait décidé de bloquer ces fonds, laissant clairement entendre que ces fonds resteraient bloqués tant que le gouvernement de Mateusz Morawiecki n’aurait pas retiré sa saisine.

Le collègue de Gentiloni en charge de la justice, le Belge Didier Reynders, avait déjà suscité de vives réactions en juin quand il avait écrit au ministre de la Justice polonais pour lui demander le retrait de cette saisine.

Aujourd’hui cependant, à en croire Gentiloni qui s’exprimait devant la commission économique et budgétaire du Parlement européen,

la Commission n’en est plus à l’étape des requêtes mais bien du chantage aux fonds européens.

Il s’agit de 57 milliards d’euros, dont 23 milliards sous forme de subventions et 34 milliards de prêts à taux avantageux qui ont été promis à la Pologne dans le cadre du plan de relance Next Generation EU. La Pologne, comme la Hongrie, fait partie des 9 pays de l’UE encore en attente du feu vert de la Commission à leur plan de relance national, mais pour ces deux pays Bruxelles avance des raisons liées à l’état de droit, à la liberté des médias et aux droits LGBT.

On assiste donc à une mise en œuvre – sans le dire – du fameux mécanisme conditionnant le versement des fonds européens au respect de « l’état de droit » et des « valeurs européennes ». Pourtant, les 27 avaient signé ensemble une déclaration commune en décembre dans laquelle il était dit que la Commission n’utiliserait pas ce mécanisme avant que la CJUE ne se soit prononcée sur sa légalité par rapport aux traités européens (ce que la CJUE n’a pas encore fait).

Parlant du plan de relance soumis par Varsovie dont l’approbation par la Commission est nécessaire pour le déblocage des fonds promis à la Pologne, l’ancien premier ministre italien a déclaré :

« Le fait est que nous n’en sommes pas encore là, que la discussion se poursuit. Nous savons qu’il s’agit des exigences du règlement et des recommandations spécifiques à chaque pays, et la discussion, comme les autorités polonaises le savent très bien, inclut également la question de la primauté du droit de l’UE et les conséquences possibles de cette question sur le plan de relance et de résilience polonais. »

Après plusieurs reports d’audience, le Tribunal constitutionnel doit justement se pencher le 22 septembre prochain sur la question de savoir si les jugements de la CJUE dans des domaines qui n’ont pas fait l’objet d’un transfert de souveraineté en vertu des traités ratifiés selon la procédure démocratique prévue par la constitution, et qui sont de ce fait contraires à la constitution polonaise, peuvent s’appliquer en Pologne.

Le 16 août dernier, la Pologne a déjà reculé face à l’ultimatum de la Commission concernant la Chambre disciplinaire de sa Cour suprême.

Malgré le jugement rendu à la mi-juillet par son Tribunal constitutionnel qui affirmait que la CJUE n’est pas compétente pour suspendre le fonctionnement d’un organe judiciaire polonais ou ordonner sa dissolution, le gouvernement Morawiecki – comme cela avait déjà été annoncé par le leader du PiS Jarosław Kaczyński – a promis à Bruxelles qu’une nouvelle loi serait votée à l’automne et que cette loi entraînerait la suppression de cette instance disciplinaire du système judiciaire polonais sous sa forme actuelle. Dès le 5 août, la première présidente de la Cour suprême avait déjà suspendu à nouveau le fonctionnement de la Chambre disciplinaire peu de temps après avoir levé cette suspension à la suite du jugement du Tribunal constitutionnel.

Plutôt que d’apaiser la situation, le recul du gouvernement polonais semble avoir encouragé la Commission à continuer le bras de fer dans lequel elle s’est engagée avec la Pologne,

encouragée en cela par l’attitude de certains juges polonais en révolte contre les réformes votées par la majorité parlementaire du PiS depuis 2017. C’est ainsi que les « vieux juges », qui sont majoritaires à la Chambre civile de la Cour suprême, viennent d’adresser à la CJUE de nouvelles questions préjudicielles – c’est-à-dire des questions concernant l’interprétation du droit de l’Union européenne – portant sur la légitimité des nominations des nouveaux juges après les réformes du PiS (y compris leurs collègues à la Chambre civile) alors que l’affaire qu’ils avaient à examiner concernait… les clauses interdites des crédits hypothécaires accordés par les banques polonaises en franc suisse. Normalement, la CJUE devrait rejeter de telles questions sur l’interprétation du droit de l’Union européenne qui ne concernent pas directement l’affaire examinée par les juges à l’origine de ces questions, mais en ce qui concerne la Pologne elle les accepte désormais pour s’immiscer dans les réformes polonaises de la justice.

Dans ce contexte de conflit permanent nourri à la fois par la Commission européenne et par une partie des juges polonais qui n’acceptent pas les réformes du PiS ayant rétabli une petite dose de contrôle démocratique sur le système judiciaire,

la déclaration du social-démocrate italien Gentiloni a fait sortir de ses gonds le ministre de la Justice polonais Zbigniew Ziobro. Ziobro a accusé en conférence de presse le commissaire européen de tentative de corruption, puisqu’il demande à la Pologne de renoncer à sa souveraineté en échange des milliards d’euros du plan de relance.

Ziobro a aussi rappelé qu’il avait mis en garde l’année dernière le premier ministre Mateusz Morawiecki contre l’acceptation du « mécanisme d’état de droit » et du danger que ce mécanisme représentait pour la souveraineté polonaise et pour le respect des traités européens tels qu’ils ont été ratifiés par la Pologne.

Le leader de l’opposition libérale, Donald Tusk, ancien président du Conseil européen, a au contraire réagi au chantage de la Commission avec la déclaration suivante :

« La politique irresponsable et stupide de Jarosław Kaczyński cause un préjudice dramatique à la Pologne et à tous les Polonais. Aujourd’hui, l’Union européenne retient des milliards d’euros d’aide, dont notre pays a besoin comme de l’oxygène. Elle les retient uniquement parce que le PiS détruit l’État de droit polonais et l’ordre juridique européen. La Pologne n’a pas eu droit au plan Marshall parce que nous étions un pays illégalement gouverné par les communistes. Au lieu de l’aide occidentale, nous avons eu l’ordre soviétique. Aujourd’hui, la situation commence à être semblable. »

Sur ce sujet, la gauche est sur la même ligne que les libéraux, mettant en garde contre le risque de perdre l’accès aux fonds européen et faisant porter toute la responsabilité de cette situation à la majorité PiS.

À la droite du PiS, en revanche, la coalition des nationalistes et des libertariens de Konfederacja rappelle comme Ziobro qu’elle avait mis la majorité parlementaire et le gouvernement en garde contre le mécanisme « d’état de droit » mais aussi contre la dette commune contractée par les 27 pour financer le plan de relance, qui allait rendre la Pologne solidairement responsable de la dette de pays en mauvaise situation financière sans être même sûre de pouvoir accéder elle-même aux fonds européens.

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