Les aides financières ne remplaceront pas les travailleurs confinés

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En France comme ailleurs, l’argent n’est que la courroie de transmission du moteur, mais ce n’est ni le moteur ni le carburant. Ce sont les hommes et eux seuls qui nous fourniront le nécessaire.

Par Yves Montenay.

La masse d’argent que les principaux pays du monde, dont la France, ont prévu de distribuer pour « soutenir l’économie », gravement atteinte par le confinement, sera-t-elle efficace ? Pas longtemps, car ce qui soutiendra vraiment l’économie, ce sera le retour au travail.

De plus, cette distribution renforce l’idée qu’il existe une solution financière à portée de la main et génère des interrogations compréhensibles sur les réseaux sociaux. J’en veux pour preuve la question posée récemment sur la très populaire plateforme Quora permettant de poser aux experts des questions d’intérêt général : « Le monde est capable de débloquer 5000 milliards d’euros pour relancer l’économie, alors pourquoi n’en fait-il pas autant pour l’écologie, les sans-abris, les pays extrêmement pauvres, etc. ? »

D’abord, que signifie « débloquer » des milliards d’euros  ?

C’est un terme journalistique qui donne l’impression que cet argent existe et qu’il suffit de donner une autorisation pour s’en servir.

En fait ces 5000 milliards n’existent pas. Il s’agit au mieux du montant d’éventuels emprunts par les différents pays, dont les conditions ne sont pas encore déterminées, et qui de plus ne sont pas forcément utilisables faute de produits à acheter.

Prenons l’exemple français.

L’État doit rembourser aux entreprises la prise en charge du chômage partiel de plus de 8 millions de salariés, et va régler bien d’autres dépenses relatives à la pandémie : des fournitures pour les hôpitaux, les augmentations et les primes à leur personnel, le soutien des non-salariés.

Pour ces derniers il s’agit de 1500 euros pour les TPE et indépendants ayant perdu 50 % de leur chiffre d’affaires du fait de leur fermeture car « non essentielles » ou de la disparition de leurs clients confinés.

L’État a également promis de soutenir nos « fleurons nationaux » pour leur éviter d’être rachetés pour presque rien, tels Air France ou Renault qui sont durablement atteints. Air France parce que les vols de mars, avril et mai sont définitivement perdus et Renault parce que la saturation du marché automobile mondial date d’avant la pandémie, qui bien sûr va l’aggraver.

Tout cela fait des montants considérables.

D’où viendra l’argent ?

Nous sommes déjà en situation très déficitaire avec une dette d’environ 100 % du Produit National Brut. L’État devra pourtant s’endetter davantage. Nous passerons probablement à 150 % du PNB selon Les Échos du 15 avril 2020.

Mais qui va prêter de l’argent à la France, sachant que tous les États du monde vont emprunter massivement en même temps ?

Un État comme l’Italie se trouve un peu dans la même situation que la Grèce il y a quelques années, qui a dû accepter des taux d’intérêt très élevés pour trouver des prêteurs.

La France est dans une situation un peu moins mauvaise, mais fait néanmoins partie des emprunteurs massifs.

L’idéal est d’emprunter « moins cher » grâce une signature européenne, c’est-à-dire en pratique une garantie par l’Allemagne, mais cette dernière et les autres pays « sérieux » ne veulent pas garantir les dettes des autres.

Les 27 ont certes rédigé un communiqué commun mais qui reste flou sur la nature des crédits.

S’agissant des injections d’argent de ces dernières années pour éviter la récession que tout le monde voyait venir bien avant la pandémie, les financiers ne sont même pas certains que la monnaie ainsi « créée » se déverse effectivement dans l’économie1.

On voit donc qu’on est très loin d’un argent au sens courant du terme qu’il suffirait de « débloquer ».

Je vais donc rester très terre-à-terre : l’argent c’est ce qui permet d’acheter quelque chose.

Pour pouvoir utiliser cet argent, il faudrait que tout le monde travaille

Dans l’immédiat, l’objectif est de permettre aux particuliers de se nourrir.

Pour les salariés, cela passe par le chômage partiel, avancé par les entreprises et qui devrait être remboursé par l’État après des formalités qui devraient durer environ trois semaines (et en pratique peut-être davantage).

Pour les retraités, les caisses feront le relais de la baisse des cotisations puis devront s’endetter ou recevoir une aide de l’État, ce qui revient au même.

À côté, il y a des reports de charges et impôts ou la garantie par l’État de prêts bancaires que les entreprises devront rembourser… bref on gagne du temps mais le payeur final sera l’entreprise… à moins qu’elle ne fasse faillite, auquel cas on retombe sur l’État.

Une fois l’argent emprunté et distribué, on aura gagné un peu de temps mais on se retrouvera avec le problème précédent : pour avoir des biens et des services, il faudra bien les produire, et donc que tout le monde travaille.

Sinon, il n’y aura pas assez de produits à acheter par rapport à l’argent distribué, les prix monteront et ce sera l’inflation. Certains diront « nous importerons » (mais avec quoi paierons-nous ?). Et surtout beaucoup de produits ne seront pas physiquement disponibles, puisque la majorité de la planète est confinée et produit beaucoup moins.

Allons plus loin : tout cet argent servira donc (en principe) d’amortisseur temporaire le temps de déconfiner. C’est déjà beaucoup. Mais un possible effet pervers serait que cet argent rende le confinement supportable, ce qui aggravera encore le mal !

En effet, à l’extrême, si personne ne travaille et qu’on donne de l’argent à tout le monde, iI n’y aura plus de boulangers chez qui acheter le pain, tandis que les médecins seront paralysés par la disparition du petit matériel réputé non essentiel, tel que par exemple un fil électrique et sa prise.

Faire payer « les autres » ?

Quand les circuits économiques seront réamorcés, les plus sérieux demanderont « un effort » (comprendre : des impôts) pour commencer à payer les dettes du pays, et ils auront appui des idéologues qui y verront l’occasion de « réduire les inégalités ».

Ainsi Thomas Piketty, grand pourfendeur des riches, a déjà réclamé que l’on taxe « les gagnants de la mondialisation ».

Ces gagnants sont surtout les Chinois, mais ce n’est pas eux que vise Piketty. Il parle des employeurs français et de leurs actionnaires, en oubliant qu’ils sont ruinés aujourd’hui par la disparition de leurs clients et la baisse corrélative de la bourse !

Et comme les riches sont minoritaires, on retombe sur la vieille formule : des impôts, oui, mais pour les autres…

Le gouvernement a néanmoins plusieurs fois répété qu’il n’est pas question d’augmenter la pression fiscale. Mais même le très libéral Jean-Marc Daniel déclare dans Les Échos du 15 avril que ce sera inévitable…

En fait, à moyen terme, nous avons le choix entre plus ou moins d’impôts supplémentaires et plus ou moins d’inflation.

Il y a d’ailleurs plusieurs années que les économistes proches des gouvernements occidentaux la souhaitent « pour réduire les dettes », car ces dernières sont en valeur nominale. L’inflation n’est finalement qu’un impôt discret.

En résumé que ce soit par l’impôt ou l’inflation, et probablement par les deux, il faudra bien « payer » l’argent distribué sans production en contrepartie.

Il est déjà extraordinaire que nous puissions utiliser cette sorte d’argent virtuel comme relais d’un retour à la production.

Plus le déconfinement sera tardif, plus salée sera l’addition

Le vrai problème ce n’est pas l’argent, c’est de produire ce dont nous avons besoin, donc le nombre d’Hommes au travail.

Confiner systématiquement devient très vite contre-productif.

Revenons à la question initiale : puisque les gouvernements vont nous arroser d’argent, et que le grand public se moque complètement du montant de la dette nationale, pourquoi ne pas en « débloquer » pour l’écologie, les pays pauvres… ?

Nous venons d’y répondre : l’augmentation massive de notre endettement nous mettra dans une situation suffisamment pénible pour ne pas financer en plus d’autres chantiers !

Le cas de la dette des pays pauvres

Mais voici que notre président nous demande néanmoins de financer aussi l’aide nécessaire aux pays du Sud pour lutter contre la pandémie. Il a déjà prévu 1,2 milliard d’euros qui comprendront, ou auxquels s’ajouteront, les remises de dettes, directement par la France ou via des organismes multilatéraux comme le Fonds Monétaire International (FMI) auxquels la France contribue.

D’une part pour des raisons humanitaires puisque la pandémie pourrait y être infiniment plus grave que chez nous, et d’autre part dans notre propre intérêt, parce que tout ce qui rendrait dramatique la situation africaine se répercuterait rapidement sur la France, par exemple en matière de migration, domaine auquel les électeurs sont très sensibles.

Le problème, en Afrique plus encore qu’en France, est que l’argent n’est rien sans les hommes pour faire le travail qu’il financera. En particulier l’argent ne se transformera pas en médecins et en infirmières au fond du Congo.

Car non seulement ces médecins et infirmières n’existent pas, mais aussi parce que leur arrivée sur le terrain suppose une administration qui fonctionne et une limitation de la corruption. Il faut aussi que les produits que l’on cherchera à acheter avec cet argent existent physiquement quelque part dans le monde pour pouvoir être importés.

Ce n’est évidemment pas le cas aujourd’hui pour les masques, les ventilateurs… ni même pour la nourriture : le Vietnam vient d’interdire les exportations de riz, grand aliment dans les villes africaines, sans parler des questions de transport d’une rizière asiatique au fond de la campagne africaine.

Remarquons au passage qu’une grande partie des dettes africaines est envers la Chine, puisque les dettes envers l’Occident ont été plusieurs fois réduites ou abandonnées. La Chine est en train de découvrir les difficultés des rapports avec l’Afrique.

Cette question de la dette des pays pauvres doit être abordée de la façon la plus concrète possible, les expériences passées ayant eu des succès très inégaux.

Bref en France comme ailleurs, que ce soit au Nord ou au Sud, l’argent n’est que l’huile ou la courroie de transmission du moteur, mais ce n’est ni le moteur ni le carburant.

Ce sont les hommes et eux seuls qui nous fourniront le nécessaire. Les confiner longtemps et aveuglement n’est pas la solution.

Source: https://www.contrepoints.org/2020/04/18/369354-les-aides-financieres-ne-remplaceront-pas-les-travailleurs-confines

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  1. Voir à ce sujet mon article sur cette controverse un peu technique : Comprendre l’action des banques centrales : « La monnaie vue de dessous ».

Yves Montenay

yvesmontenay.fr

Polyglotte, Yves Montenay est doté d'une riche carrière internationale nord-sud de cadre, conseil et chef d'entreprise. Démographe de formation, passionné d’histoire, d’économie et de géopolitique il est actuellement écrivain, consultant et enseignant. Auteur de plusieurs ouvrages de démystification sur les relations nord-sud, notamment le Mythe du fossé Nord Sud, ainsi que Nos voisins musulmans, il publie également Les Echos du monde musulman, une revue hebdomadaire de la presse orientale et parfois occidentale sur le monde musulman, avec une priorité donnée à l'humanisation des récits. Il tient le site yvesmontenay.fr et un compte Twitter « @ymontenay ».

2 commentaires

  1. Posté par antoine le

    Très didactique, facile à comprendre !
    On était déjà très endetté en France (100% du PIB), on le sera beaucoup plus à la fin de la pandémie.
    Les autres chantiers (immigration, climat, tournant énergétique, niveau social, etc …) seront mis obligatoirement en veilleuse.
    La fraude sociale risque d’exploser et d’atteindre des sommets jamais atteints !
    L’instabilité sociale et l’insécurité doivent être surveillées, sinon ce sera le grand dérapage !
    Nos Libertés si chèrement acquises devront être défendues becs et ongles !

  2. Posté par Dominique le

    Augmenter des dettes immorale ne fait que reporter les problèmes.

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