Comme nous, Caroline Fourest en a soupé de la génération « offensée »

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Il y avait la « Génération J’ai le droit » chère à Barbara Lefebvre. Voici la « Génération offensée » de Caroline Fourest : le propos est sensiblement différent, mais à l’arrivée les deux livres se rejoignent.

La génération 2000 (et même en grande partie la génération précédente, celle des années 1990) est tellement atomisée par une inculture sidérante qu’elle préfère sacrifier le bon sens sur l’autel de ses passions que s’imposer l’exercice, toujours rude, d’un examen rigoureux de son mode de pensée et de son rapport au réel.

En l’absence de toute culture, on s’insurge pour des riens

Le livre de Fourest est — entre autres — une collection des hauts faits du politiquement correct, des deux côtés de l’Atlantique. Il y a la narration des épisodes connus, l’interdiction d’un spectacle au Québec, le lynchage d’un prof à Evergreen, le blocage des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne pour cause de « blackface », ou l’interdiction de parler imposée à Sylviane Agacinski à Bordeaux. De tout cela j’ai parlé par ailleurs.
Il y a aussi l’exposé, moins documenté dans la grande presse (et cela seul est significatif du climat de peur qu’ont instauré les tenants du multi-culturalisme et de la pensée décoloniale) d’une multitude d’incidents, de pressions sur des artistes, de lynchages inaboutis (y compris celui de la narratrice, en Belgique). Une convergence d’horreurs qui à terme, parce que cette génération est arrivée aux commandes de nombreuses facs — via le secteur inépuisable de bêtise de la Sociologie —, menacent de ranger la France sous la bannière, déjà déployée aux Etats-Unis, du sectarisme et de l’anti-universalisme. Voir par exemple les ennuis d’Exhibit B, un spectacle sur le colonialisme que la Brigade anti-négrophobie (non, je n’invente rien !) a tenté d’interdire en 2014 au théâtre de Gérard Philippe de Saint-Denis.

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Le récit du scandale du Bánh mì inscrit dans les menus de la fac d’Oberlin en 2015 est ainsi un petit bijou narratif. En deux mots, une étudiante d’origine vietnamienne ne retrouve pas dans le plat proposé à la cantine les ingrédients traditionnels, et hurle à la mort — et à « l’appropriation » par une culture blanche (le blanc, c’est le mal, chacun sait ça) d’un produit spécifiquement asiatique…

Sauf que Bánh mì vient de « pain de mie », et que ce plat si culturellement vietnamien est en fait une pure production de la période coloniale. Une appropriation par les Indochinois de la baguette française — une excellente idée, par ailleurs, et pas de quoi monter sur ses grands chevaux. Mais en l’absence de toute culture, on s’insurge pour des riens.

Et c’est ce qui frappe dans ces anecdotes soigneusement rassemblées. L’inculture absolue des étudiants d’aujourd’hui. Pas de quoi s’en étonner pourtant. Nous savons bien qu’on ne les a pas éduqués, et que l’école US ne vaut pas mieux que la nôtre — qui en a d’ailleurs copié les tares, acquises là-bas dès la fin des années 1960.

Reprenons au début. Fourest analyse remarquablement la clé de tous ces comportements apparemment incohérents : « La légitimité vient du statut de victime », les jeunes d’aujourd’hui préfèrent être pots de terre que pots de fer. C’est le leitmotiv de son livre : «Les sociétés de l’honneur, explique-t-elle avec une grande pertinence, flattaient l’héroïsme, au prix d’un virilisme guerrier. Les sociétés contemporaines ont placé le statut de victime tout en haut du podium» — et ont même généré une «compétition victimaire». Cette dévirilisation, dont Nietzsche attribuait les symptômes au triomphe du christianisme, qui exhibe une victime exemplaire comme modèle indépassable — et l’islam joue désormais sur la même corde sensible —, touche tous les secteurs, principalement la jeunesse.

Qui se réfugie dans les « safe spaces » (ces lieux préservés dans les facs américaines où l’on ne craint plus d’être offensé par les propos de qui que ce soit — l’entre-soi absolu), et profite des « trigger warnings », ces avertissements proférés par les enseignants afin d’éviter aux oreilles sensibles de leurs étudiants d’être heurtées par des propos sur les races, le viol, les femmes, et j’en oublie car la sensibilité des « victimes » est infinie : ainsi ceux qui craignent les agressions psychologiques peuvent sortir tout de suite de la salle, au lieu de se lever, indignés, en plein milieu du cours.

Quel idiot de ne pas y avoir pensé ! Travaillant cette année — entre autres — sur les Liaisons dangereuses, insistant particulièrement sur la façon grotesque — que souligne la Marquise de Merteuil — dont la pauvre Cécile raconte son dépucelage, j’aurais pu, par la grâce d’un trigger warning de bon aloi, vider ma salle, encombrée d’élèves, de la moitié des effectifs. Nous nous serions retrouvés entre gens intelligents — quel bonheur… Sans compter que c’est un excellent moyen de résoudre le casse-tête des classes surchargées.

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Caroline Fourest n’a pas de mal à expliquer que cet anti-racisme de carnaval est un vrai racisme dans les faits. Que ce féminisme tribal est un anti-féminisme : voir la façon dont Houria Bouteldja, qui rêve sans doute du succès, outre-Atlantique, d’une ordure antisémite comme Louis Farrakhan, le créateur de la Nation of Islam, explique que seul un viol pratiqué par un Blanc est un vrai viol, et que ses « sœurs » seraient bien inspirées de ne pas dénoncer ceux pratiqués par des salopards « racisés », comme disent élégamment ces gens-là. Le livre de Fourest a été écrit et imprimé avant l’affaire Mila, mais le silence d’Osez le féminisme et des associations LGBT sur le cas de cette adolescente vilipendée parce qu’elle est lesbienne et a expliqué ce qu’elle pensait de la religion musulmane est significatif : au nom de l’intersectionnalité des luttes, pas question de soutenir une femme qui se plaint de Musulmans. « C’est tout le problème du droit à la différence », explique Fourest. « Au lieu d’effacer les stéréotypes, il les conforte et finit par mettre les identités en concurrence ».

Fourest explique alors de façon lumineuse les enjeux cruciaux de ces combats : « Porté par une jeunesse estudiantine assoiffé de radicalité pour faire oublier ses privilèges, l’antiracisme identitaire ne songe qu’à éliminer sa concurrence : l’antiracisme universaliste ». Dans un monde où seuls des « transgenres » peuvent jouer des transgenres, Marlon Brando, qui avait des origines fort diverses mais pas d’ADN italien, n’aurait pas dû être autorisé à jouer le Parrain.

Là où je ne suis plus Caroline Fourest, c’est lorsqu’elle dit que les prises de parole de la Gauche postmoderniste « ne servent qu’à gonfler les voix de l’extrême-droite » — qu’elle persiste à croire un danger sous prétexte que de vieux fachos parlent sur Radio-Courtoisie (combien d’auditeurs ?) ou dans les colonnes de Minute (combien de lecteurs ?).
Parlons clair, pour redresser les idées tordues que nombre d’imbéciles colportent. Ceux qui se dressent aujourd’hui contre cette Gauche identitaire, contre ces antiracistes racisés, contre ces féministes capables de défendre le viol et l’excision au nom de l’intersectionnalité des luttes, sont des Républicains purs et durs. Majoritaires dans le pays, mais éparpillés, et qui se soucient fort peu d’être rangés dans les petites cases de Droite et de Gauche. Dire que leurs prises de position — y compris les miennes — servent l’extrême-droite, c’est faire le lit d’une seconde session, 2022-2027, du « centrisme totalitaire », selon le joli mot de Polony.

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Vous vous rappelez sans doute que dans vos manuels du Primaire (je m’adresse ici aux plus de 50 ans, Fourest y a sans doute échappé), on vous racontait le dialogue du fils de Jean le Bon qui, se battant avec son père à la bataille de Poitiers, lui lançait : « Père, gardez-vous à droite ! Père, gardez-vous à gauche ! » Nous sommes tenus de marcher sur la crête — et ce n’est pas bien commode. Mais c’est essentiel.

Un mot encore. Dans Réflexions sur la question juive, Sartre explique très bien que les racistes ne sont pas susceptibles d’être convaincus — parce qu’ils sont dans la passion (un mot que Fourest utilise à bon escient pour décrire l’état d’esprit des dictateurs en herbe) et non dans la raison. Et que seule une grande claque dans la gueule peut les faire changer d’avis. Ma foi, je crois qu’effectivement il ne faut pas essayer de convaincre de leurs torts des gens qui pensent n’en avoir aucun. Plus qu’à la « génération 2000 », ils appartiennent à l’espèce « sombres connards », et je ne vois pas d’autre solution, à chaque rencontre, que de les châtier durement. Ils vivent d’impunité ? Eh bien, il faut que cesse cette impunité, et qu’ils paient, dans leur chair, les exactions qu’ils se permettent. Ce sont de vrais fascistes, il faut les traiter comme des fascistes. C’est de la légitime défense — et rien d’autre.

 

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2 commentaires

  1. Posté par Gérard Guichard le

    De toute façon, une bonne partie de ces générations nouvelles sont des illégitimes, divers bâtards, enfants et petits-enfants de soixante-huitards. Ils sont pathologiques et pathogènes

  2. Posté par Francine SIDLER-SICARD le

    Excellent article. Ce que je pense depuis quelque temps déjà! Et parler d’inculture est encore un euphémisme.

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