ADN et reconnaissance faciale : la promesse technologique qui fait rêver la Chine

Texte par : Sébastian SEIBT

Pékin utiliserait des échantillons de sang prélevés sur des Ouïghours pour mener des recherches sur une technologie émergente qui permet de déduire des caractéristiques physiques, telles que la couleur des yeux ou de la peau, à partir de l’ADN. Des scientifiques s'élèvent contre l'utilisation à mauvais escient de ces expérimentations.

Opprimés et utilisés comme cobayes scientifiques. Les Ouïghours, cette minorité musulmane sous stricte surveillance chinoise dans la région du Xinjiang, sont forcés à donner leur sang aux autorités chinoises. Ces dernières s’en servent pour établir un vaste fichier biométrique et mener des recherches sur une technologie émergente, qui suscite de nombreux fantasmes : le phénotypage d’ADN, affirme le New York Times mardi 3 décembre. Cette technique a pour but de déduire des caractéristiques physiques de l’ADN.

L’enquête du quotidien américain a suscité un certain remous dans la communauté scientifique. Le New York Times affirme, en effet, que ces recherches doivent permettre à la Chine de faire de la reconstruction d’imagerie faciale à partir de l’ADN. En clair, Pékin chercherait à perfectionner cette technologie pour pouvoir établir des portraits robots à partir d’échantillons de sang, afin d’améliorer ses algorithmes de reconnaissance faciale. Le Big Brother chinois se nourrirait, tel un vampire technologique, du sang de sa population pour mieux la surveiller. Sauf que de l’avis de tous les experts interrogés, la capacité de créer des portraits robots fidèles à partir de l’ADN relève encore de la science-fiction plutôt que de la réalité.

Vampire technologique

Une des raisons pour lesquelles ce fantasme au sujet du profilage ADN a pris corps tient à un fait divers de 2015 survenu en Caroline du Sud. Dans une affaire de double meurtre, la police avait fait circuler un portrait-robot du suspect réalisé par un ordinateur à partir d’un échantillon d’ADN prélevé sur les lieux du crime. Mais rien n’indique que cette prouesse technologique avait joué un rôle déterminant dans l’arrestation du tueur présumé. “Il faut avoir conscience des limites de cette technologie pour ne pas exagérer les possibilités offertes”, affirme Matthias Wienroth, chercheur à l’université de Newcastle, qui travaille sur les implications éthiques et sociales de l’utilisation de biotechnologies et a cosigné une lettre ouverte sur l’utilisation du phénotypage d’ADN dans les affaires criminelles, contacté par France 24.

Le phénotypage d’ADN est une technologie relativement récente “dont les origines remontent à la fin des années 1990, mais qui ne suscite un réel intérêt que depuis les années 2010 lorsque des applications concrètes ont semblé possible”, explique Matthias Wienroth. L’idée est d’identifier dans l’ADN d’une personne les marqueurs génétiques qui influent sur des caractéristiques physiques. “À l’heure actuelle, on peut prédire à partir de l’ADN quelle est la couleur des yeux, celle des cheveux ou encore de la peau. Mais il s’agit de catégorie générale”, explique Manfred Kayser, directeur du département d’identification génétique à l’Erasmus MC University Medical Center de Rotterdam, contacté par France 24. La technologie ne permet pas, par exemple, de différencier entre des yeux bleus clairs ou bleus foncés ou entre des cheveux blonds et châtains clairs. Elle peut aussi donner des informations sur l’origine géographique, indiquant si une personne vient plutôt d’Europe, d’Afrique ou d’Asie.

Deviner la couleur de cheveux, des yeux ou de la peau

Comme pour toute technologie récente, les connaissances évoluent aussi très vite. “On s’attend à mieux pouvoir prédire dans le futur la structure des cheveux, la présence de grains de beauté, la couleur de sourcils ou encore si un homme est chauve ou non”, précise Manfred Kayser, l’un des principaux spécialistes mondiaux du phénotypage d’ADN.

Des promesses qui intéressent au premier chef la science médico-légale et la police. Si, en Europe, le recours à cette technologie est encore largement interdit, aux États-Unis, “elle a déjà été utilisée dans plusieurs affaires”, souligne Matthias Wienroth. Mais attention à ne pas crier "eurêka" à la moindre trace d’ADN trouvé sur les lieux d’un crime. L’analyse du code génétique “ne donne que des probabilités et des pas des certitudes”, souligne le spécialiste de l’université de Newcastle. Il ne permet pas, non plus, d’identifier des “individus, mais seulement des types de personnes”, note cet expert.

C’est la raison pour laquelle l’idée de portraits robots leur semble encore saugrenue. “Si vous tentiez de faire deviner à un ordinateur à quoi je ressemble à partir de mon ADN, il en ressortirait un visage d’Européen lambda”, affirme Peter Claes, chercheur à l'université catholique de Leuven, qui travaille depuis plus d'une décennie sur cette technologie. D’abord, parce que les scientifiques sont encore très loin de comprendre tous les marqueurs génétiques, qui influent sur la forme d’un visage. Et ensuite, parce qu’il “faut aussi prendre en compte des facteurs environnementaux, tels qu’un régime alimentaire particulier, qui peuvent influer sur notre apparence et n’ont rien à voir avec la génétique”, explique Peter Claes.

Préjugés et stéréotypes

Pour lui, le phénotypage d’ADN doit avant tout servir à “éliminer des suspects potentiels qui n’appartiennent pas aux types d’individus désignés par l’analyse du code génétique”. C’est ce qui s’est passé en 2003 lors de la traque d’un tueur en série en Louisiane. La police avait identifié un suspect qui correspondait au profil psychologique, mais des traces d’ADN l’ont blanchi car il n’avait pas la bonne couleur de peau.

Procéder par élimination permet aussi de minimiser l’un des principaux risques soulignés par les experts interrogés : que le phénotypage d’ADN accentue les préjugés et les stéréotypes. Si l’analyse de l’ADN indique qu’un suspect n’est pas de type caucasien, cela ne devrait pas pousser la police d’un pays européen à chercher uniquement parmi la population immigrée car il peut très bien y avoir des ressortissants nationaux de couleur.

Le phénotypage d’ADN est donc un nouvel outil  “dont il ne faut pas exagérer les possibilités ou nier les défauts”, souligne Matthias Wienroth. La Chine n’est ainsi probablement pas en train de se constituer un immense fichier de portrait-robot de Ouïghours grâce à leur ADN. Ce qui est beaucoup plus probable “c’est que les autorités cherchent à identifier les caractéristiques qui permettent de repérer facilement qui appartient à cette minorité”, estime Peter Claes. Un travail de profilage génétique inquiétant qui, d’après lui, “risque de donner une très mauvaise réputation à une technologie qui, par ailleurs, peut être très utile si elle est utilisée à bon escient”.

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