Mauvaise conscience. À la morale du péché, on peut opposer l’éthique de l’honneur

Source et auteur : Alain de Benoist, Revue Eléments, No 175, déc-janv 2019

 

Éditorial

 À la morale du péché, on peut opposer l’éthique de l’honneur. Dans l’éthique de l’honneur, on ne se repent de rien. Never explain, never complain.

  

Alain de Benoist 

 

Mauvaise conscience

 

La religion séculière de la repentance se fait toujours plus lourde. Chaque jour, les Européens se voient sommés de présenter leurs excuses pour des actes qu’ils n’ont pas commis. Il faudrait avoir honte de son passé, réduit aux seules pages noires d’une histoire qui a pourtant compté bien des pages lumineuses. Se repentir de ses péchés passés en reniant une culture dénoncée comme criminelle. Se vider de soi pour mieux s’ouvrir aux autres. Devenir étrangers à nous-mêmes pour que nul ne puisse plus se sentir étranger chez nous. Tout désir de contrôler les flux migratoires relèverait du racisme ontologique de l’Occident, de la haine de l’étranger, d’une indéracinable mentalité « postcoloniale ». À la limite, l’Europe serait coupable d’exister.

Que disent les avocats de la repentance ? Repentez-vous ! Mais de quoi ? D’où vient cette obsession ? L’une des causes évidentes est l’idéologie du progrès qui, par principe, dévalue le passé par rapport au présent (et le présent par rapport à l’avenir). Le passé n’aurait à nous transmettre que des traditions paralysantes et des croyances dépassées. Il serait par nature imparfait, immature et c’est à lui qu’il faudrait s’arracher pour grandir. Selon les uns, nous n’avons pas de passé, selon les autres nous en avons un, mais il est détestable. Dans les deux cas, l’amour des autres est censé passer par la détestation ou pour le moins l’oubli de soi – mais comment « aimer son prochain comme soi-même » si l’on n’a pas d’estime de soi ? Une nation qui ne s’aime pas est en passe de se désagréger. C’est justement l’effet recherché.

 

La morale du ressentiment

 

Mais l’idéologie du progrès n’est pas seule en cause. Il y a aussi une idéologie de la mauvaise conscience. Nietzsche, dans sa Généalogie de la morale (1887), consacre de longs développements à la morale du ressentiment, à la genèse du sentiment de culpabilité et à la mauvaise conscience. À l’origine, la culpabilité signifiait simplement qu’une dette était due (Schuld « dette », schuldig « coupable »), et la punition n’était rien d’autre qu’une garantie de remboursement. L’homme de la mauvaise conscience présuppose l’homme du ressentiment. Celui-ci inculque la mauvaise conscience au moyen d’un raisonnement simple : si je souffre, c’est que tu es méchant, et si tu es méchant c’est que je suis bon. Les Européens sont des méchants, ceux qui les dénoncent représentent le bien. Ainsi se trouve moralisée la conscience psychologique d’autrui. Ainsi se trouve intériorisée le sentiment de culpabilité qui débouche sur la haine de soi.

La mauvaise conscience agit comme puissance inhibitrice, qui transmue la violence potentielle à l’égard des autres en haine de soi. Elle est un auto-empoisonnement maladif, que « seule une vengeance imaginaire peut indemniser ». C’est pourquoi Nietzsche écrit que la mauvaise conscience est « la maladie la plus grave et la plus inquiétante, dont l’humanité n’est pas encore guérie, l’homme souffrant de l’homme, de lui-même ».

La mauvaise conscience refoule le naturel instinctif. Nietzsche dit qu’« elle met un terme tragique à la spontanéité naturelle ». Elle est une façon de diminuer la vie dans ce qu’elle comporte d’affirmation profonde. Les forces du ressentiment veulent se venger de la vie au nom de leur conception du bien et du mal. La mauvaise conscience est inhibitrice et paralysante. C’est un bourreau intérieur. La faire naître, puis l’entretenir, est une façon de saper une puissance que l’on n’ose affronter en face. Quand on ne peut affaiblir directement celui que l’on veut incapaciter, on peut le conditionner moralement pour qu’il s’affaiblisse lui-même en retournant contre lui sa propre puissance, pour qu’il se punisse lui-même en s’éprouvant comme coupable, comme éternel suspect, c’est-à-dire comme éternel débiteur. Perte d’énergie et fatigue de soi.

Freud, de son côté, mettait en relation le sentiment de culpabilité avec la névrose obsessionnelle. Dans Le malaise dans la civilisation, paru en 1930, il dit que ce sentiment « n’est au fond rien d’autre qu’une forme topique d’angoisse » qui, sous ses formes ultimes, « coïncide entièrement avec la peur du Surmoi ».

Les révolutionnaires d’autrefois ne se posaient pas en victimes, mais en acteurs de l’histoire. Nous sommes à une époque où les victimes ont remplacé les héros : c’est beaucoup plus rentable. Ainsi sommes-nous entrée dans l’ère de ce que Jean-Pierre Le Goff appelle le « nihilisme d’affaissement ». « Le sentiment de culpabilité fait partie de l’ADN de la gauche, écrivait récemment André Versaille. Il faut dire que 2 000 ans de christianisme nous ont planté dans la tête le sentiment de culpabilité du péché originel. C’est ainsi que nous avons lancé cette trouvaille de curé : la mode de la repentance ».

Le pape François prône l’accueil inconditionnel aux migrants au double prétexte que tout chrétien est par nature étranger à ce monde, puisqu’il est d’abord citoyen de la patrie céleste, et qu’un monde sans frontières préfigure la cité de Dieu. Du point de vue de la foi, en effet, l’étranger n’existe pas : le peuple de Dieu ne connaît pas de frontières. Mea culpa, mea maxima culpa. Une religion qui fait naître tout être humain en état de péché héréditaire, qui lui attribue une nature déchue, qui en fait un pécheur tenu de demander qu’on ait pitié de lui, qui ne parle que d’amour indiscriminé, de repentance, de repentir, de rédemption et de pardon, est mal armée pour faire face aux défis de notre temps, et surtout pour susciter une résistance sans états d’âme.

À la morale du péché, cependant, on peut toujours opposer l’éthique de l’honneur. Dans l’éthique de l’honneur, on ne se repent de rien. Quand on a fait une faute, on en tire la leçon. On oublie souvent, mais l’on ne pardonne pas plus qu’on ne demande à être pardonné. Never explain, never complain. On ne s’explique pas, on ne se justifie pas. On ne se plaint pas, on ne se pose pas en victime, on ne cherche pas à faire un instrument de pouvoir d’une souffrance réelle ou supposée. On ne s’agenouille pas, on ne courbe pas la tête. On vit et on meurt debout.

Ndlr. Merci à François Bousquet, redacteur en chef, pour l'autorisation de reproduction

 

2 commentaires

  1. Posté par monde-tombé-sur-la-tête le

    Cette maladie de l’occident a commencé avec la suppression de l’institution de la confession/ absolution qu’offraient la religion chrétienne- qui d’une part a servi pendant des siècles à contrôler les gens et les tenir en laisse, mais de l’autre, a assure un équilibre psychologique et social basé sur des notions claires de bien et de mal.
    Avec la sécularisation du monde occidental, ce besoin psychologique fondamental de chaque être humain d’avoir bonne conscience s’est retrouvé sans issue et sans réponse, et du coup la recherche d’absolution/ approbation s’est canalisée par des voies alternatives, dont certains très tordues, allant jusqu’à la negation de soi, pour être en suite exploité cyniquement par des movements sociaux et politiques pervers et destructeurs, emmenant la société vers le déséquilibre et l’auto-destruction, dont on voit l’aberrant résultat partout en Europe aujourd’hui.

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