Gouverner la Suisse: Manuel Tornare face à Yves Nidegger
Jean-François Mabut
Ce mercredi 5 décembre, les Chambres fédérales devraient élire deux nouvelles conseillères fédérales. L’une succédera à la très médiatique Doris Leuthard régulièrement en tête du palmarès des ministres les plus appréciés par les Suisses, l’autre à Johann Schneider-Ammann, un ministre bien moins médiatique. La gouvernance de la Suisse est un cas unique dans le monde. Le poids du parlement fédéral est important et celui des lobbies aussi. Sans oublier le peuple qui vote régulièrement et imprime fortement sa marque. Le modèle suisse est-il vraiment exemplaire. Est-il exportable? Deux parlementaires fédéraux genevois s’expriment à ce sujet: Manuel Tornare, conseiller national socialiste et Yves Nidegger, conseiller national UDC.
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Le poulpe, génie propre de nos institutions
Yves Nidegger, conseiller national UDC
La Suisse est-elle bien gouvernée? Partout ailleurs, la question déchaînerait des passions, tout particulièrement à la veille du remplacement de deux conseillers fédéraux sur sept, soit entre un quart et un tiers de la tête de l’État. Pas en Suisse. Car le citoyen place une plus grande part de sa confiance dans le génie propre des institutions politiques que dans celui des individualités qui les habitent.
La métaphore de l’historien François Garçon, qui compare la gouvernance suisse au système nerveux d’un poulpe, est éclairante. Le poulpe, en effet, n’est pas doté d’un système nerveux central mais décentralisé, seul un tiers de ses neurones est situé dans sa tête, les deux autres tiers étant répartis tout le long des tentacules. C’est ce qui rend le poulpe concrètement intelligent: de par la réactivité décentralisée de ses tentacules, il est capable de résoudre des problèmes complexes dont les vertébrés à gros cerveaux n’arrivent pas à venir à bout. Comme dévisser le couvercle d’un bocal pour s’emparer de la nourriture aperçue à l’intérieur. De la même manière, l’intelligence et l’agilité de la Suisse doivent plus aux millions de microdécisions prises organiquement le long des tentacules, citoyens, communes, cantons, qu’à la part de neurones que les partis sont capables d’allouer au gouvernent fédéral.
Cela est vrai même en matière de relations internationales, domaine de compétence fédérale s’il en est, où une clarification tardive de l’Union syndicale suisse s’est avérée plus déterminante pour le sort de l’accord-cadre exigé par l’UE que des années de forcing et de diplomatie de Didier Burkhalter. Depuis plus d’un quart de siècle, le pays se montre capable de composer sans y céder avec la pression de l’Union européenne et de tirer de cette agilité des dividendes économiques appréciables.
Un défi complexe que des États à plus gros cerveaux ne sont pas arrivés à relever. Et ce n’est pas au Conseil fédéral que l’on doit cette performance, mais aux peuples des cantons. Est-ce à dire pour autant que le choix des conseillers fédéraux serait sans importance pour la gouvernance de la Suisse? Aucunement, bien au contraire. D’abord, parce que plus les neurones sont rares, plus il importe de les choisir avec soin. Ensuite, parce que le choix des conseillers fédéraux doit impérativement reproduire dans la tête de l’octopode les équilibres, pérennes ou fluctuants, à l’œuvre dans les tentacules cantonaux.
De ce point de vue, le remplacement d’un PLR bernois de 66 ans, diplômé de l’EPFZ et ancien chef d’entreprise par une PLR saint-galloise de 55 ans, traductrice de formation et ancienne conseillère d’État en charge de Justice et Police n’apparaît que comme un renouvellement générationnel. Tel ne serait pas le cas, en revanche, du remplacement d’une PDC argovienne de 55 ans, ancienne avocate et proche de l’économie par une PDC haut-valaisanne de 56 ans, notaire et notoirement positionnée à gauche. Car ce choix consacrerait une rupture de l’alchimie actuelle, un retour au regrettable déséquilibre qui prévalait avant le remplacement de Didier Burkhalter par Ignazio Cassis en septembre de l’année dernière.
Article entier : Tribune de Genève
On comprend que Tornare n’aura pas le sentiment du devoir accompli avant que la Suisse ne fasse entièrement partie l’UE.